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La Terre des âmes errantes
les avis de Cinemasie
3 critiques: 4.17/5
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1 critiques: 4.25/5
Misère infinie
Le sort semble s’acharner sur les habitants du Cambodge. Après 20 ans de guerre civile et 2 millions de morts, le retour à la vie normale et libre s’effectue dans la douleur, laissant à nouveau à la dérive des gens qui avaient déjà terriblement soufferts jusqu’alors. Et même quand l’espoir renaît, il est de courte durée… La terre des âmes errantes est en effet un documentaire décrivant les conditions de travail de paysans à qui on demande, par le biais de la société Alcatel, de creuser des centaines de kilomètres à travers le pays pour faire passer des câbles de fibres optiques ; situation métaphorique s’il en est, puisque des cambodgiens aident à la sueur de leur front l’avancée technologique fulgurante des pays riches tout en restant sur le bas-côté, spectateurs du fossé qui se creuse entre ces 2 mondes. Lorsqu’un ingénieur explique avec passion à un paysan l’intérêt de ces fibres optiques qui permettent de communiquer avec l’Europe ou les Etats-Unis, ce dernier hausse les épaules et lui répond que chez lui, il n’a même pas l’électricité !
Au fil des minutes, les avaries se succèdent sur le chantier : la terre creusée est bourrée de mines et l’on risque sa peau à chaque instant, l’espoir d’un salaire meilleur oblige les paysans à faire travailler femmes et enfants jour et nuit, les maladies et blessures se multiplient, le salaire s’avère bien maigre, à peine de quoi nourrir la famille, quand il n’est pas volé par des cadres cambodgiens peu scrupuleux. Survient alors les regrets dus au régime khmer rouge, qui a maintenu la population dans l’ignorance la plus totale et la condamne aujourd’hui à creuser pour survivre. A travers ce reportage bouleversant, on mesure toute la détresse d’êtres humains que les pays riches contribuent à enfoncer au-delà de toute compassion. Réellement désespérant.
Au nom du profit...
Le délicat réalisateur Panh continue à retourner sur ses lieux d'enfance pour capter au mieux ses anciens compatriotes et de dénoncer les ravages de l'ancienne dictature des khmers rouges sur son peuple.
Mais les soldats rouges ne sont pas les seuls inculpés dans cet édifiant documentaire : pour ne pas mourir de faim, de nombreux cambodgiens s'évertuent à tirer un long fil de fibre optique à travers leur pays, l'enterrant à un mètre sous terre. Payés une misère, leur exploitation est d'autant plus désolante, que leurs efforts surhumains nullement récompensés servent à nous, grassouillets européens et enfants du capitalisme. Emu, le spectateur occidental prend donc en pleine face, l'extrême état de misère, le courage et optimisme sans bornes d'un peuple écorché et une belle leçon d'humilité quant à se re-approprier les choses (en l'occurrence le fibre optique) par une population ne sachant même pas ce qu'ils enterrent.
Panh réussit une nouvelle fois à prendre suffisamment de recul pour ne pas tenir un discours enragé et engagé, bien que sa colère envers les coupables du génocide se ressent à chaque plan. Les silences parlent autant que les quelques dialogues très intelligents, renforçant encore un constat édifiant des difficiles conditions de vie. L'histoire de vie des quelques protagonistes rencontrés sont d'une horreur indescriptible; pourtant ils ne baissent pas les bras, mais espèrent toujours un meilleur avenir.
Toute la famille délaisse village et leurs quelques biens, pour partir accompagner le chef de famille creuser la longue et étroite tranchée. Sol rendu dur par la sécheresse, encombré par maintes racines, il est encore plus difficilement exploitable en traversant les grandes villes, où deux rangées de pierre, voire du bitume ou du goudron ne facilitent nullement la tâche aux pauvres ouvriers. Nul abri ou sanitaire leur est pourvu; ils doivent dormir à même la terre à l'endroit où ils sont rendus à creuser. Pour se nourrir, ils s'endettent à acheter quelque bol de riz en attendant la paie ou envoient chercher leurs enfants fourmis, limaces ou grenouilles pour un complément de protéines. Au détour d'un coup de houe, il n'est pas rare de toucher une des 7 millions de mines toujours enfouis dans le sol à travers le pays; ou de tomber sur des ossements de quelque soldat enterré à la va vite ou fosse commune oubliée datant du régime de terreur.
Creusant jour et nuit, les coups de houe répétés leur font s'infecter les muscles de la main, qui se remplissent de pus - peu leur importe, puisqu'ils n'auront pas assez pour payer les frais médicaux.
Parallèlement à ces dures conditions de travail, quelques protagonistes se livrent à quelque confidence quant à leur vie (passée); si Panh n'oublie pas de rajouter quelque réplique drôle, ni d'y inclure d'étonnantes notes d'optimisme, la plupart des témoignages sont accablants quant à leur pays.
Quant à la fin, elle ramène à la dure réalité et de constater que n'importe où sur terre, l'homme n'est pas fiable et tout simplement impitoyable envers son prochain.
Magnifique documentaire édifiant et l'une des plus sensibles réalisations de Panh à ce jour.