Rencontre avec une légende

Par Drélium et François - Novembre 2004

Annoncée sur plusieurs forums, la venue de Ti Lung au festival d'Amiens n'a pas manqué d'être remarquée. Il faut dire qu'il est déjà difficile de voir des légendes de la Shaw dans des festivals, qui plus est en France et dans un festival tout de même assez "modeste". Cinemasie a donc formé une valeureuse équipe de fans de la Shaw pour se rendre à Amiens, couvrir le festival le temps d'un week-end, et surtout rencontrer Ti Lung. Si cet article se montre peu objectif dans le sens où il s'attache beaucoup à retranscrire nos impressions, c'est avant tout car au delà même de l'intérêt des films présentés et de la présence de Ti Lung, le festival a surtout permis à des fans de la Shaw de rencontrer une de leurs idoles. Donc à ma droite, Drélium, sponsorisé par Absolut Vodka, dans un état second le matin du départ (ddré : hé ho, j'ai revu un vieux pote la veille, il fallait fêter ça). A ma gauche, François réveillé aux aurores et rechargé à bloc à l'idée de rencontrer un de ses acteurs préférés de la Shaw (avec l'inoubliable Jimmy Wang Yu, dit "La Crevette Atomique"). Passons sur le voyage à vitesse modérée et fenêtre grande ouverte pour éviter au passager de restituer son achat de la veille et salir la belle voiture du conducteur.

Video Introduction Ti Lung

Arrivés à Amiens, un petit sandwich, briefing rapide sur le questionnaire, la pression monte. Appel de la fort sympathique attaché de presse, Ti Lung demande à décaller l'interview d'une heure et demie. Nous en profitons pour essayer de nous relaxer, et finir de préparer le questionnaire et le cadeau préparé par Drélium. 17h10, l'heure est venue, et nous nous rendons à l'hôtel dont nous cacherons ici le nom, mais pas partout hélas. La traductrice nous apprend que Ti Lung pourra assurer l'interview en anglais ce qui nous laisse dans l'expectative quant au rendu final. Arrivés dans le lobby, un homme se tient devant l'accueil, inutile qu'il se retourne, sa prestance l'a déjà trahi. Il va peut-être se retourner brusquement avec un sabre dans une main et un automatique dans l'autre. Inutile, son regard suffit à nous terrasser. La pression des dernières minutes avant l'interview n'a même pas pu monter, nous échangeons les premières politesses dans quatre langues (anglais, français étonnament bien utilisé par Ti Lung, cantonais et mandarin pour lui rendre la pareille). Ravi d'entendre sa langue natale, il teste alors François qui se retrouve assiégé et ne peut dès lors que se rétracter en sortant un malheureux : "Euh... Ng meng bah (je ne comprends pas), sorry". Installation de matériel à grande vitesse, les mains tremblent un peu quand même, on ne fait pas attendre Ti Lung... Nous lui offrons le portrait réalisé par Drélium ("such a pleasure to meet you"), qui évoque déjà les premiers souvenirs de la Shaw, Soul of the Sword, l'acteur commence déjà à se montrer bavard, l'interview n'a pourtant pas commencé.

Video Interview Ti Lung: bientôt!

Premières questions, l'appréhension est encore là, l'homme a tout de même une image très sérieuse, comment seront ses réponses? Et surtout comment seront nos questions? Aura-t-il envie d'y répondre? Passés deux questions, tout le monde est rassuré, l'icône de la Shaw est d'une sympathie confondante et surtout très loquace et intéressant. Interviewer un acteur ne conduit pas toujours à des propos aussi fournis que ceux de certains réalisateurs, mais force est de constater que Ti Lung a beaucoup à dire. Sur la Shaw évidemment, sur ses relations avec David Chiang, Chang Cheh, la famille de la Shaw. Mais aussi sur sa seconde vie, le Syndicat du Crime, ses films plus récents. Il semble même très touché lorsque l'on évoque la mort de Leslie Cheung. L'homme parle un anglais tout à fait impressionnant, surtout pour un acteur de sa génération. Il ponctue ses interventions de quelques phrases en français, auxquelles nous tentons vainement de répondre avec un peu de cantonais. Notre questionnaire complet y passe, Drélium a fait un peu trembler la caméra d'émotion (pour sa première interview en tant que caméraman, le briefing tant attendu avant l'interview manque gravement à son assurance), François a caffouillé quelques questions, mais tout le monde passe un bon moment, Ti Lung appréciant visiblement de parler de la Shaw et étant parfois difficile à arrêter. Mais toute bonne chose a une fin, et nous quittons l'hôtel en planant à 30 centimètres au dessus du sol pour rejoindre la Maison de la Culture où se tiendront les projections du soir.

Histoire de ne pas nous laisser redescendre, l'acteur nous rejoint dans le hall quelques minutes plus tard avec sa femme, et nous continuons à évoquer sa carrière, notamment sa participation avec son fils dans Star Runner. Mais il est rapidement l'heure de la séance, Have Sword Will Travel en copie non restaurée, mais de bonne qualité. Ti Lung introduit le film sous de vifs applaudissements, manie anglais et français pour se mettre le public dans la poche et laisse les spectateurs découvrir le Show Shaw. Lesquels en ressortent plutôt étonnés, des rires ont fusé bien sûr, mais le film a été applaudi au final, et certains en redemandent déjà. Ca tombe bien, nous enchaînons sur Vengeance, toujours présenté par Ti Lung, malgré le décalage horaire. Have Sword a déjà converti quelques spectateurs, l'accueil de l'acteur se fait plus chaleureux, le public réagit plus vivement à ses interventions, surtout au poème de Victor Hugo qui finit de charmer l'auditoire. S'en suit une deuxième séance aussi plaisante que la première, même si un peu répétitive dans le style. Les spectateurs en ressortent tout de même contents pour la plupart, certains reviendront le lendemain à n'en pas douter.

 

La journée se termine dans un pub pizza nommé "Au bureau" que nous recommandons vivement puisqu'il sert de bons petits plats aux amateurs de cinéma qui sortent tardivement. La seconde journée débute par une table ronde composée de Ti Lung et de trois grands spécialistes du cinéma de la Shaw, Pierre Rissient, déjà aperçu sur un des DVD Wild Side, un des responsables des archives du cinéma à Hong Kong, et un programmateur du festival de Singapour qui nous attendent pour discuter de l'histoire du studio et répondre à nos questions. L'heure qui suit se révèle être une présentation de haute volée complétée par des questions d'un public fin connaisseur. La traductrice peine un peu à suivre le flot ininterrompu de références et de noms qu'elle a manifestement beaucoup de mal à digérer en un temps si restreint, mais les connaisseurs comme les novices apprennent beaucoup de choses.

Vidéo Table Ronde: bientôt!

 

S'en suit la projection de Blood Brothers, un très bon choix pour une rétrospective Ti Lung tellement sa prestation dans le film est éclatante. Ti Lung prouve une nouvelle fois sa gentillesse et son incroyable énergie en venant saluer le public à la fin du film. Son personnage singulier dans Blood brothers est un rôle qu'il apprécie tout particulièrement et il tenait à être présent pour répondre au public de tout âge venu encore plus en nombre que les projections précédentes. Toujours aussi communicatif et plein d'humour il se retire sur quelques mots en français : "Je ne vais pas prendre plus de votre temps... mal à la tête, mal à la gorge... Je prend congès maladie !". La légende s'éclipse en signant des autographes et termine ainsi un week end qui aura été aussi chargé que le nôtre et nous l'espérons pour lui, aussi rempli en émotions, le tout dans le cadre d'un festival à l'ambiance très appréciable et à l'organisation pas moins réussie. La programmation Shaw Brothers et Ti Lung est de qualité, puisqu'on trouve à la fois des "classiques" déjà disponibles en DVDs, mais aussi quelques perles comme "The Assassin" de Chang Cheh, que nous n'avons hélas pas pu voir. Mais des films comme Golden Swallow, Vengeance, Blood Brothers, Le Syndicat du Crime, Boxer From Shantung sont une introduction tout à fait correcte à la Shaw et à la carrière de Ti Lung, et la présence de l'acteur ainsi que de bons spécialistes de la Shaw constitue un plus indéniable.