Twins Effect
Par Alain - Février 2004

Charlene et Edison
On pourrait écrire beaucoup de choses quant aux caractéristiques du cinéma post-rétrocession et surtout quant au supposé abandon de la culture locale pour la culture étrangère et surtout hollywoodienne. Mais face à des produits ouvertement influencés comme Infernal Affairs ou Heroic Duo qui restent fortement marginales au regard de la réelle production HK, s'opposent des productions de première classe comme Twins Effect qui se retrouve révélateur d'une culture mondialiste plus proche du melting-pot que de l'acculturation. Rien que son titre donne la couleur : Twins Effect, c'est l'intégration définitive de la culture de la canto-pop (preuve inébranlable que même l'hyper-économie peut reposer sur une pensée hyper-localisée) au cinéma dans ses genres les plus objectivement éloignés (en l'occurrence les vampires dans le cas ci-présent). Hong-Kong connut pendant un moment une vague de films de vampires suite au succès de Mr Vampire, ces films restaient toutefois très ancrés dans les croyances et traditions autochtones si bien qu'avec le temps, ils restent maintenant confinés à une sorte de charme nostalgique proche de la désuétude. De l'autre côté du Pacifique, la série télé Buffy et les deux films Blade se chargent de renvoyer les vieux Dracula et cie aux oubliettes en modernisant et réinventant le genre. Fort du succès de ses homologues américains, l'usine à idoles EEG se met en tête de grignoter une part du gâteau en proposant leur propre version du film de vampires via leur filiale cinéma EMG. Au niveau du marché strictement local, Twins Effect crée la surprise et l'engouement car l'implication d'idoles dans un genre aussi éloigné commercialement parlant que les vampires est un pari osé et inédit qui tranche radicalement avec l'univers clean des films habituellement réservés aux idoles (romances ou comédies). Evidemment, il est d'ores et déjà prévisible que Twins Effect ne sera pas un film gore ou trash, il ne faut pas faire fuir les groupies non plus. C'est sur ce pari que commence à se produire Twins Effect, film hybride par excellence.

Les Twins, c'est tout d'abord Charlene Choi et Gillian Chung, fausses soeurs (et absolument pas jumelles) mais vraies sensations de la canto-pop actuelle. Frôlant un rythme de travail propre de l'esclavagisme imposé par EEG, nos deux starlettes cultivent les goûts vestimentaires flashy et excentriques, se la jouent copines pour la vie et j'en passe. Du côté masculin, on a Edison Chen : faux rappeur, vrai fils à papa et tombeur de midinettes. Dans la tranche "plus ou moins jeune mais déjà considéré comme has-been" figure Ekin Cheng dont la gloire remonte à la seconde moitié des années 90 quand ils tournaient des Young & Dangerous à la pelle. Puis dans le registre newcomer, on a Mandy Chiang et Maggie Lau (membres des 3T dont la plus célèbre est Yumiko Cheng) dans deux petits rôles. C'est tout pour l'écurie EEG. A ça se rajoutent Anthony Wong (en quête réussie de renommée après de nombreuses daubes dans les années 90), Josie Ho (éternel espoir féminin qui hélas n'a jamais vraiment percé), la chanteuse/actrice Karen Mok dans un caméo inutile et surtout Jackie Chan qui vient gonfler le budget du film pour seulement deux scènes, histoire d'assurer une plus-value sur le marché international.

La scène d'introduction est un modèle à elle seule de piège culturel, le but étant en premier lieu d'accrocher le spectateur pour la suite du spectacle. Le but de cette scène est de présenter Ekin Cheng en chasseur de vampires, son assistante (Josie Ho) et le bad guy du film (Michael Hardt) comme moteur de l'intrigue en antagonisme dans le sens où cette confrontation entre le bien et le mal apparaît en ouverture et en conclusion de l'histoire générale.(où autrement dite, donner la possibilité d'un début et une fin au film, alors que tout ce qu'il y'a entre est dispensable d'un point de vue dramtaique ou scénaristique). Avare en dialogues, cette introduction repose avant tout sur l'accroche internationale du film, se fondant sur des codes audio-visuels compréhensibles au-delà des langues et par tout spectateur. Cette scène constitue sans doute ce qu'il existe de plus courant quant à la représentation mondiale des vampires : les chauve-souris, les victimes ensanglantées, les pouvoirs surhumains, etc. Mais au-delà de ces dix première minutes d'action se profilent déjà les caractéristiques d'un cinéma hong-kongais de souche avec la mort prématurée de Josie Ho, conséquence logique d'un script typiquement hong-kongais se devant de placer un élément déclencheur avant toute scène d'exposition en dépit des canons sécantistiques du cinéma commercial international (qui préviligie l'exposition en premier lieu).

Gillian et Ekin
Passé la longue scène d'introduction, c'est là que les choses se gâtent pour le puriste du cinéma de genre car Twins Effect révèle enfin sa direction artistique en mettant en scène toute la culture inhérente à la canto-pop en vue de flatter son public-cible, les fans des stars EEG, en proposant la romance contre nature (un vampire et la soeur d'un chasseur de vampires) de la façon la plus désinvolte et tendre possible tout en étant délibérément fashion. Juste en prenant la scène de la première rencontre Charlene et Edison, bon nombre de choses sont en mesure de déranger l'amateur occidental de cinéma fantastique : l'humour décalé et pince sans-rire où nos vampires aristocrates boivent du sang dans des bouteilles de vin parce que c'est dégradant de sucer le sang directement dans le cou des gens, l'apparition en guest de Chapman To (assurément l'acteur comique et de second rang le plus prolifique d'Hong-Kong en 2003) la mèche de cheveux violette de Charlene Choi et son look hyper-tendance en général, la scène de pleurs de Charlene pleine de violons. Sans compter que par après ça continue de plus belle avec photos prises et envoyées par GSM, etc : si vous ne comprenez pas la jeunesse actuelle, vous ne serez jamais en mesure d'aimer Twins Effect car ce film n'est jamais que le reflet de l'hyper-superficialité ambiante et du cocooning à l'extrême. Plus tard dans le métrage arrive la scène désormais culte de la bataille du nounours où nos deux comparses se bastonnent à mort pour un ours en peluche : c'est vraiment le moment où soit vous décrochez complètement du film, soit vous vous dites "Putain mais c'est génial, c'est la scène de l'année.". Personnellement, je crois que c'est la scène la plus "extrême" qui fera de vous un partisan ou un détracteur de Twins Effect car à la fois toute sa superficialité et sa nouveauté se retrouve condensées en quelques minutes intenses à l'enjeu complètement farfelu.

Si pour la partie "jeune" de son casting, Twins Effect remplit son contrat, il n'en est pas de même pour sa partie "vieux" qui met face à face deux pôles opposés de ce que peuvent être les anciennes stars du ciné HK aujourd'hui : d'un côté un Anthony Wong qui a su gérer sa carrière de main de maître en se réinventant même si il reste une personnalité à part entière dans l'industrie locale avec un rôle de second plan qui fait mouche avec ses répliques d'humour à froid genre "As-t'on déjà vu quelqu'un tombé amoureux d'un filet de saumon ?" (en commentant la love-story entre Charlene et Edison), de l'autre côté on a un Jackie Chan dont on se demande sincèrement quand il arrêtera de vouloir jouer sur son image public et dont la vieillesse devient de plus en plus criante (syndrôme de Peter Pan?).

Twins Effect est avant tout le bon exemple d'un film de producteur et non de réalisateur (deux d'ailleurs dans le cas ci-présent). Dante Lam fût un temps l'un des nouveaux espoirs du cinéma hong-kongais avec Jiang-Hu The Triad Zone mais comme c'est souvent le cas, on néglige vite qu'un film est un travail d'équipe et qu'en l'occurrence, scénaristes et producteurs ont souvent le dernier mot : Jiang-Hu The Triad Zone peut être considéré comme un "incident de parcours" dans la carrière d'un réalisateur à la merci des scripts qui lui sont fournis et dont la qualité première revient avant tout à un art de la réalisation et de la mise en scène (la qualité technique de son précédent film Tiramisu ayant eu une influence non-négligeable quant à son choix d'être nommé à la tête de ce projet). Le cas de Donnie Yen s'avère plus complexe car on se retrouve en présence d'un auteur (ou plutôt d'une personnalité au caractère bien trempé) bridé par son statut de co-réalisateur et chorégraphe des scènes d'action : la contrainte étant de fournir une direction artistique dans la lignée de celle imposée par Dante Lam et la production, dès lors sa participation "active" se limite à faire des Twins des combattantes plus crédibles que Sarah Michelle Gellar dans Buffy. Dante Lam et Donnie Yen ne sont dès lors que deux noms de plus au générique, assurant néanmoins un label de qualité et de compétence technique et esthétique nécessaire à une production de cet ampleur, de même que l'utilisation de ces "jeunes" réalisateurs apportent une nouvelle façon d'aborder le genre esthétiquement au contraire d'un Era Of Vampires du tandem Tsui Hark/Wellson Chin qui reste engoncé dans un classicisme qui lui est fatal artistiquement et commercialement parlant.

Gillian
Si Twins Effect a une importance au sein de l'industrie locale au-delà de critères purement cinématographiques, c'est qu'il constitue une avancée importante en matière de communication et de marketing de la part de sa boîte de production envers aussi bien le public que les professionnels. Pour sa stratégie commerciale, EMG s'est inspiré de toutes les ficelles du système hollywoodien pour créer soi-même la hype autour du film. Tout d'abord en ouvrant le plateau aux reporters ce qui a assuré une couverture médiatique importante pendant plusieurs mois à coup de photos et de rumeurs people (pseudo love-story entre Gillian Chung et Edison Chen, etc.), l'avantage de cette méthode est qu'elle est gratuite, régulière et qu'elle alimente les conversations courantes ("Oh, t'as vu la dernière photo des Twins s'entraînant avec Donnie Yen ?"). A côté de ça, la gestion de la distribution mondiale du film avec l'aide étrangère de la société australienne Arclight Films aura été un plus niveau marketing dans les pré-ventes du film via des affiches teasers assez moches mais permettant de pitcher directement le film visuellement en passant outre la barrière de la langue (deux filles contre des vampires, ça n'est pas très dur à transmettre). Pour convaincre encore un peu plus les acheteurs potentiels, un teaser sera mis en place montrant juste le montage d'un séquence d'action avec Ekin Cheng aux prises avec un vampire : photo froide et bleutée, bonne chorégraphie, réalisation convainquante, le but étant surtout avec ce teaser de laisser entre-apercevoir une production-value de qualité à un niveau international. Aussi, grâce à la participation de Jackie Chan, un autre poster-teaser sera monté, le présentant en premier plan alors qu'il est juste limité un petit rôle mineur. Rapidement, Twins Effect attire l'intérêt des distributeurs étrangers et là, toute la stratégie mise en place par EMG dépasse les espérances avec l'achat des droits pour l'Europe et l'Australie par le studio Universal pour un montant avoisinant les 62 millions de $HK : autrement dit, pour une production s'étant élevé à 50 millions $HK, le film était d'ores et déjà rentabilisé et bénéficiaire avant même sa sortie ce qui est un peu le rêve de n'importe quel producteur. Puis à l'approche de la sortie cinéma à HK, le marketing du film n'était plus qu'en pilotage automatique, proche des promotions habituelles de tout film HK mainstream : campagne d'affichage, évènements avec les stars, site web, etc. Toutefois, l'histoire prouvera que le coup de poker d'Universal a été salvateur pour EMG car sans cet achat de droits, l'avenir de la société aurait été plutôt sombre car malgré le fait que Twins Effect ait fait un score honorable au box-office local (28 millions $HK), c'était évidemment très insuffisant pour rembourser tous les frais de production(à ce jour, le film n'est sorti au ciné et en dvd qu'à HK, la Chine n'ayant eu droit qu'à une sortie directement en dvd). A l'heure où Twins Effect 2 se tourne, le grand point d'interrogation est de savoir si EMG parviendra à nouveau à utiliser une bonne stratégie commerciale ou bien si ce nouveau film sera un gouffre financier pour le studio. Mais du fait que Twins Effect 2 sera calibré en partie pour une sortie cinéma en Chine, il est probable le succès possible du film sur le territoire chinois suffira à compenser largement les frais de production.

Pour en revenir au premier volet, le film vaut ce qu'il vaut (script inégal avec problèmes de rythme, scènes d'action honnêtes, casting agréable) mais outre ses méthodes de vente, il peut très bien devenir dans les prochaines années une nouvelle pierre angulaire du cinéma HK et du courant pop-cinema comme l'ont été les Feel 100% et les Young & Dangerous en leurs temps. Dès lors, est-ce que Twins Effect est de l'art ou bien un fléau du commercialisme éffrèné? La seconde option serait tentante mais c'est nier toute la richesse de la culture populaire par rapport à l'art "officiel", cette richesse est facilement décelable si on se focalise par exemple sur la culture pop selon les décennies (la new wave musicale et toute a mode qui l'entoure dans les années 80, etc.). Pour l'instant, Twins Effect est encore trop récent dans le temps mais sa faculté à s'ancrer dans l'inconscient collectif dans les années à venir pourrait être sa plus belle réussite.

Alain - Février 2004