Interview Rintarô : à propos de Yona Yona Penguin

Yona Yona PenguinEvènement sur la "croisette" de l’animation, Rintarô était venu en personne à l’édition 2007 du Festival International du Film d’Animation d’Annecy, afin d’y présenter son tout nouveau film en cours de développement, Yona Yona Penguin. Le réalisateur culte (Metropolis, Kamui, Harmageddon...) nous en a dévoilé un peu plus lors d’une interview, avant de revenir sur le sujet le lendemain au cours d’une longue conférence de présentation. Long métrage d’animation budgété à plus de 10 millions d’euros, Yona Yona Penguin marque une nouvelle étape dans la longue carrière de Rintarô qui s’attaque là, pour la première fois, à un film en "full 3D". Mais ce projet se distingue également en tant que co-production franco-japonaise importante. C’est Denis Friedman (producteur du premier film français tout en 3D, Kaena La Prophétie), via sa société Denis Friedman Productions, qui se charge de la production côté français, tandis que pour le Japon c’est bien entendu le mythique studio Madhouse qui s’y colle. Sortie espérée pour la fin de l’année 2008, ou courant 2009.

 
 

Interview


Vous êtes ici à Annecy pour présenter une co-production avec la France, Yona Yona Penguin, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la genèse de ce projet ?

Et bien c’est une histoire originale que j’ai écrite moi-même. Il se trouve qu’avec Mr MARUYAMA Masao, le CCO (Chief Creative Officer) de Madhouse dont il est aussi un des fondateurs avec moi, nous évoquions la possibilité d’un projet afin de nous lancer réellement dans l’animation 3D. Et puis ensuite mon projet a été présenté à une société qui s’appelle Wild Bunch Distribution et le storyboard que j’avais réalisé leur a plu. C’est donc via Denis Friedman qu’ils ont décidé de participer financièrement à ce projet.

                     Rintarô au Festival du film d'animation d'Annecy 2007


C’est un film qui semble posséder un univers bien particulier, donnez-nous quelques détails sur l’histoire et les personnages...


L’action prend place dans un univers souterrain. Le personnage principal de cette histoire est Yona, une petite fille qui porte sur elle, tout le temps, un costume de pingouin offert par sa maman. Chaque nuit, cette petite fille de six ans se promène dans la ville déguisée en pingouin. Son nom, Yona Yona, signifie d’ailleurs en japonais "nuit après nuit". Comme c’est une fillette très éveillée, elle est quasiment aussi autonome qu’un adulte, et donc ses parents ne s’inquiètent pas vraiment de ses sorties nocturnes à répétition. Lors de ses escapades, elle va ainsi faire la rencontre de personnages insolites : Chaley le gobelin et Zammie, un angelot déchu de seconde zone qui s’est mit au service du mal. Cette rencontre entre ces trois personnages marque le début de l’histoire, une histoire qui devrait voir apparaître Satan en personne...

 Yona Yona PenguinYona Yona PenguinYona Yona Penguin


Pourquoi le choix de la 3D précisément, qu’est ce qui vous motive en tant qu’animateur pour passer de la 2D à la 3D ?


Ecoutez, j’ai travaillé dans l’animation 2D pendant quarante cinq années et j’avais vraiment envie de faire quelque chose de complètement différent. Et dans une réflexion notamment par rapport à l’avenir de l’animation au Japon, je pense que le futur appartient à la "full 3D" et donc pour moi c’était comme un horizon à atteindre, un point à franchir. C’est une façon de me lancer un défi à moi-même que de me lancer dans une forme de 3D complètement neuve.


Et qu’attendez-vous artistiquement d’un tel défi ?


Et bien avant d’en arriver à ce point là, à savoir celui de mes attentes, je voudrais aborder la question d’un point de vue plus générale. Nous allons effectivement travailler en 3D sur ce film et lorsqu’on évoque cet outil qu’est l’infographie en 3D, on pense bien évidemment immédiatement, au niveau mondial, à Pixar. Ce que nous cherchons à faire avec notre équipe sur Yona Yona Penguin, c’est quelque chose de complètement différent dans l’approche. On ne cherche pas à se lancer à la poursuite du studio Pixar sur ce terrain. Nous voulons produire une animation en 3D qui tire pleinement partie de la façon de faire au Japon, d’un certain nombre de traits spécifiques à l’animation en 2D qui y est produite. On part donc véritablement d’une sensibilité qui est celle de la 2D et on utilise la 3D comme un outil, une "machinerie", pour obtenir une "saveur", une sensibilité qui soit inscrite dans la lignée de l’animation en 2D telle qu’elle existe au Japon. C’est une démarche qui risque de nous amener à produire un film qui sera sans précédents en termes formels.


Entamez-vous votre collaboration avec des animateurs français avec des critères particuliers sur ce plan ?


Tout d’abord il faut préciser que c’est Cédric Babouche qui gèrera la production artistique du côté français. Par ailleurs ce que je peux vous dire c’est que les animateurs français que je connais, pour ce que j’en ai vu, ont une forme de sensibilité qui est très proche de celle des japonais. Ce que j’attends au travers de cette collaboration c’est avant tout que notre film gagne en amplitude formelle grâce au travail commun avec les talents français.

Yona Yona Penguin


Vous avez connu plusieurs générations d’animateurs au cours de votre carrière, et vous travaillez au sein de Madhouse qui, ces dernières années, est un des studios d’animation à la pointe, en produisant de nouveaux talents... Dans ce contexte, qu’est-ce qui vous pousse à encore vous remettre en question?


Vous savez que le cinéma d’animation est un médium aux formes très variées : animation en pâtes à modeler, 3D, animation 2D...Ce que je peux vous dire sur ce qui me pousse à continuer dans ce domaine, c’est qu’il s’agit avant tout pour moi d’explorer de nouvelles facettes de ma propre sensibilité. J’essaye de mettre en forme ce que j’ai à exprimer. L’animation est une forme d’expression dont j’essaye à chaque fois de repousser les limites. Pour vous donner un exemple, pour faire dans une comparaison qui sera peut-être un peu grandiloquente mais simple à saisir : ce que je vise à réaliser en animation, le personnage qui représente un peu mon horizon, c’est Picasso. Picasso c’est la construction d’une forme de réalisme et en même temps sa destruction en tant que telle, c’est la recherche d’une nouveauté incessante et en même temps un esprit très ludique, une forme de jeu permanent. D’une certaine manière, plus que sa peinture c’est sa vie qui me semble très belle et ce que je voudrais faire dans le domaine de l’animation, c’est de parvenir à quelque chose de similaire à ça, proche de ce que lui  pu tracer dans sa vie. C’est sans doute un peu grandiloquent mais je pense que c’est assez clair.


Vous êtes à l’origine de certains classiques de l’animation japonaise, et pourtant vous continuez à participer à des projets en faisant des choses comme storyboarder sur un épisode de la série TV Paranoïa Agent, ou le chara-design sur une production comme Pet Shop of Horror, ou encore storyboarder sur un épisode de Paradise Kiss... Ils ne vous payent plus assez à Madhouse ?


(Rires) Oui, j’imagine que ça doit vous surprendre, ça doit vous paraître un peu curieux. Il est vrai que souvent les gens qui ont une certaine carrière dans l’animation, des gens qui ont réalisé un certain nombre de films, et bien ne font pas ce type de travail, on ne les retrouve pas dans ce genre de positions. En ce qui me concerne, ce que je peux vous dire c’est que je ne colle sans doute pas à cette image du grand réalisateur. Je travaille à Madhouse depuis très longtemps avec Mr Maruyama, nous avons un partenariat qui date, et du moment qu’un projet suscite mon intérêt ça me suffit, c’est ce qui compte à mes yeux. Et donc que ce soit un travail avec Kon Satoshi, ou une collaboration avec Otomo Katsuhiro, quelle que soit l’envergure du travail, le cadre, ce qui reste déterminant pour moi c’est la possibilité d’explorer quelque chose qui soit neuf sur le plan formel.

                        Paranoia Agent, série de KON SatoshiKemonzume, série de YUASA Masaaki (Mind Game)La Traversée du Temps, de HOSODA MamoruNasu un Été Andlou, de KÔSAKA Kitaro


Madhouse produit depuis quelques années toute une nouvelle génération d’animateurs réalisateurs : Yuasa (Kemonozume), Hosoda (La Traversée du Temps), Kon (Paprika), Kitaro Kôsaka (Nasu)... Vous qui êtes au studio depuis les débuts, et qui avez une large expérience de l’industrie de l’animation, pensez-vous qu’on puisse parler d’une « nouvelle vague » à propos de cette génération ?


Oui, je pense que vous avez parfaitement raison de ce point de vue là. Et puis il est clair que Madhouse fait partie de ces studios qui font le maximum pour donner un tant soit peu leur chance à de jeunes talents. Ce qui est certain, c’est qu’en se contentant de ne produire et de ne travailler qu’avec les grands réalisateurs, les grands noms, les talents confirmés, le cinéma d’animation en tant que registre n’ira pas en s’élargissant, on n’explorera pas de nouvelles voies de cette façon là. Ce que fait Mr Maruyama comme producteur, en accordant leur chance à des jeunes qui ont un talent, une compétence, est quelque chose de précieux qu’il faut encourager et poursuivre.


Il y a une discussion qui traverse le milieu de l’animation japonaise depuis un certain temps et qui pointe, dans le futur, une possible crise avec une baisse de la quantité d’animateurs de qualité. Quel est votre sentiment sur cette question ?


Bien sûr. Il y a un sentiment de crise, en tous les cas moi je le ressens. Effectivement, que ce soit les animateurs ou d’autres professions du cinéma d’animation, les gens de talent viennent à manquer, et plus précisément il est clair que leurs effectifs ne vont pas croissant. Mais cette situation ne date pas d’hier. Ce qui change dans la situation actuelle, ce qui est en jeux, c’est que le nombre de productions, le volume de production est en nette augmentation. Cette situation est bien évidemment liée à l’impact, à l’engouement que connaît l’animation japonaise depuis quelques temps dans le monde. Aujourd’hui nous produisons trop. Trop de séries et de films, ce qui amène à un déséquilibre qui va en s’aggravant entre les effectifs de talent capables de travailler, et le volume de travail. C’est là une source de failles, de craquelures dans la profession et il est certain que c’est, pour nous, un sujet d’inquiétude.

                    Yona Yona Penguin

Crédits

© Denis Friedman Productions - Madhouse Inc.

Propos recueillis par Anton GUZMAN en juin 2007.
Merci à Ilan NGUYEN pour sa traduction.
Remerciements à Denis FRIEDMAN et à Claire VIROULAUD, ainsi qu’à toute l’équipe du festival d’Annecy.
Interview partiellement et initialement publiée dans Japan Vibes 39, retranscrite ici dans son intégralité.

date
  • janvier 2008
crédits
  • interprète
  • Ilan NGUYEN
  • interviewer
  • Astec
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