Beaune 2017 : Joint Security Area



Beaune, avril 2017. Temps nuageux, époque trouble

J’arrive à Beaune. Je me gare le long du Bd Jacques Copeau, comme d’hab’, marche vers le Cap Ciné en longeant la piscine, comme d’hab’, et là paf : des barrières. Pas comme d’hab’ ! Mais pas deux barrières, hein, une bonne dizaine ! Je fais demi-tour pour longer le Bd Maréchal Joffre : pas de trottoir. Je monte sur un muret, joue l’équilibriste, avant de me rendre compte que là aussi ils ont mis des barrières. Fichtre ! Je suis à la bourre, je vais rater la séance, aaaaarghl ! J'aimerais voir The Limehouse Gole, j’aime bien l’époque Victorienne, vous comprenez. N’ayant pas le temps de faire tout le long tour en traversant la rocade ni l’envie de marcher sur le boulevard pour me faire écraser, avec un complice nous bougeons quelques barrières, rampons sous d’autres, escaladons une dernière et hop : nous entrons dans l’enceinte du cinéma ! Tout le monde est évidemment déjà entré et la porte fermée. Diable ! Je fais le tour par l’accueil, enjambe une corde et me faufile dans la salle n°6. Le film est déjà commencé. Je m’assoie en bout de rangée. La porte s’ouvre, un gars de la sécurité approche. « C’est vous qui venez d’entrer à l’instant ? » « Euh... oui. » « Veuillez me suivre, s’il vous plaît ! » On ressort pour les explications de texte. « Il fallait venir nous voir, on ne sait jamais », dit-il, gentil comme tout après avoir reconnu ma bonne bouille de festivalier. J’ai un peu l’impression d’être un de ces fantômes qui errent à Poudlard, dans les Harry Potter. Je me vois bien avec une vie post-mortem qui y ressemblerait, à la manière d’un Truly, Madly, Deeply. « En effet, vous avez raison blablabla… », concède-je au Gardien du Temple. Puis je retourne m’asseoir. En fait, la démonstration en uniforme fait partie du show. On n’est pas déçus, ça claque ! Quel accueil ! On s’y croirait presque. A Beaune, pendant le festival, les gendarmes, c’est un peu comme Mickey à Disneyland. Ils sont là pour l’ambiance.

— Les hôtesses ont bien leurs compteurs ?
— Affirmatif !


Cet échange entendu via talkie-walkie entre deux vigiles dans la 1ère file d’attente, ce SAS où l’on fouille vos sacs avant de vous laisser profiter des autres files d’attente, traduit assez bien cette ambiance de dingue due à l’Etat d’alerte. Aussi justifié soit-ce, on ne peut s’empêcher de trouver ça absurde, tout en sachant que si un drame survenait... voilà. Cette situation a amplifié la sécurité du Festival, en tant normal déjà bien chargée sur cette petite ville très (très) fière de sa police. Cannes peut remballer ! S’il y avait un concours parallèle de sécurité, j’attribuerais la Barrière d’Or à (roulements de tambour) : Beaune ! Après tout, on ne saurait s’étonner qu’un Festival de films policiers s’y tienne, c’est cohérent. Surprenant, mais cohérent. Même si polar et point de vue policier diffèrent parfois – souvent ? -, on reste dans la thématique.


La classe de maître Park Chan-Wook




L’inénarrable Yves Montmayeur anime pertinemment cette MasterClass avec le réalisateur coréen. Le documentariste entame la session en soulignant qu’avec PCW ce pays a cessé d’être celui du matin calme...

La peur

Le réalisateur d’Old Boy avoue une enfance préservée, et une peur tardive liée à l’uniforme, plus généralement à l’uniformisation, née pendant son service militaire sous le régime de la dictature. Il nous fait profiter d’une anecdote importante, qui explicite une partie de sa filmographie, à, savoir que sous les drapeaux il se coupait un ongle par jour, jamais le même, afin qu’ils ne soient pas tous de la même longueur. Il parle de la répression de Guangju (1980) où il y eut plusieurs milliers de morts, et précise qu’à l’époque, il n’y avait pas internet, que les pays étrangers avaient les infos avant les sud-coréens, qui ont su ce qui se passait avec un temps de retard. Par la suite, cet évènement a été le nerf de la guerre pour les étudiants. L’équivalent, plus récemment, aura été le naufrage du Sewol (2014). PCW affirme que trois de ses films sont des réactions à ça : JSA, Sympathy for Mr Vengeance - qui traite de la lutte des classes - et Mademoiselle - qui évoque la condition de la femme en Corée.

Les ruptures de ton

PCW parle d’histoires pleines de tension et de souffrance. « L’humour, lorsqu’il arrive au pire moment, amplifie les tensions. L’humour est comme un vin qui met en valeur les saveurs, il ajoute du relief à une histoire. »

Les films que l'on pouvait voir sous la dictature


"J’en voyais plein avant JSA. Après, les projets s’amoncelaient, donc j’avais nettement moins le temps. Ma culture d’alors se faisait à l’arrache, avec des films japonais interdits etc. Les critiques français étaient étonnés de voir que je connaissais plus de films bizarres que de classiques ! Un de mes films de chevets reste Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia, de Sam Peckinpah. Sans doute une référence. "

Le chaos dans la propreté, le désordre dans l’ordre


Lorsque le cadre est préparé, propre, il amplifie le chaos qui suit. Un idéal de cinéma à ce niveau reste celui de Paul Verhoeven. Il casse son ordonnancement de façon remarquable."

Importance du christ, mais pas du pardon

"Je suis issu d’un milieu catholique. J’allais à l’église tous les dimanches. Je garde une influence visuelle forte. Enfant, on avait des cartes saintes, avec pas mal de martyrs – des exécutions, des tortures. La rédemption est un élément central de mon univers. Mes personnages ont souvent cette volonté maladroite d’être sauvés. Mais il faut savoir qu’en Corée on a vu des pardons absurdes, gratuits, auxquels je ne souscris pas. Il n’y a pas eu d’épuration après la dictature. Les collaborateurs sont restés là. "

Définition du mal

"Je ne crois pas en une force terrifiante. Davantage en une vie ordinaire, en la loi du silence, la passivité, l’entente tacite. En un pouvoir collectif effrayant."

Le serpent aux mille coupures

"J'ai appris seul. Leng T'che, c'est le nom chinois de ce châtiment, la mort par les mille coupures". (Le tueur Tod, incarné par Terence Yin).

La raison première de ma visite à Beaune cette année, la voici, conjointe à mon entretien avec son réalisateur. Si vous avez lu le polar de DOA, vous savez à quoi vous en tenir, et l'on ne saurait trop vous conseiller de découvrir celui qui a précédé, Citoyens Clandestins, si vous souhaitez en savoir un peu plus sur le mystérieux protagoniste incarné par Tomer Sisley. L'adaptation frôle la perfection. En digne héritier d'Yves Boisset, Eric Valette fait bien monter la sauce (tension, humour noir gonflé, personnages forts...) jusqu'à un gunfight final qui crache bien. Le métrage est interdit aux moins de 16 ans, surtout pour des scènes de torture - dont une d'anthologie - et de nudité explicites. Des séries comme GoT, Hannibal ou Walking Dead le sont, ça se tient. Terence Yin est une révélation : il incarne un bad guy franchement épatant, à savoir le serpent du titre. Malgré quelques prestations de vilain notables dans Colour of the Truth, un très bon cru Wong Jing qui date déjà de 2003, et le Life Without Principle de Johnnie To, il n'avait pourtant pas, jusqu'alors, marqué les aficionados du ciné HK. La "faute" en revient sûrement à son arrivée post 2000 et sa participation à des films qualitativement déclinant par rapport à l'âge d'or pré-rétrocession. Il a bien évolué depuis son boys band Alive, Terence, où il côtoyait alors son ami Daniel Wu (Hit Team, One Night in Mongkok, Purple Storm...), que beaucoup connaissent maintenant à travers la série bourrine Into The Badlands.



C'est sans doute à une grand-mère Allemande que Terence Yin doit son physique surprenant. Allié à sa prestation droite, inquiétante, à des lentilles bleu clair et à un rictus aussi mémorable que glaçant, il renvoie à certains jeux de Mads Mikkelsen (Hannibal, Casino Royale). A croire que le rôle a été écrit pour lui.

Qu'un tel foutoir international débarque à Moissac surprend autant qu'il amuse, et l'on comprend que le concept ait plu à un Eric Valette originaire de Toulouse. Moissac - Toulouse = 70 bornes. Le cadre est pour le moins charmant.

L'intrigue et son traitement évoquent le western, "cow-boy sans nom" inclus. Le français Total Western, déjà un bon défouloir campagnard d'Eric Rochant, n'en est pas si éloigné. La vraie fraîcheur du film se trouve là : pas de thriller domestique - enfin - ni de canevas post-Charles Bronson avec un type s'en allant remonter la chaîne alimentaire pour venger qui sa soeur, qui sa femme, qui une énième prostituée maltraitée ou encore un chien. En-fin ! Non, on a affaire à un polar, un vrai, de ceux qui ne se font plus, ne se vendent plus parce que sans doute qu'ils cherchent à prendre leur distance par rappor à un contexte délétère justifiant ce palliatif. En ces temps troubles, la protection de la famille et la vengeance guident les instincts. 

On peut s'étonner de ce hasard faisant se jouxter cette trame autour de la ferme et celle du Logan de James Mangold, chipoter sur quelques rares jeux d'acteurs approximatifs - pas Tomer Sisley, eh non, débarrassé de son tic de langage de dandy parigot, le voilà sacrément crédible - et un ultime duel que j'aurais personnellement aimé un poil plus long, mais en l'état c'est de la bonne came, au budget serré optimisé - elle n'est pas coupée - et tournée en 34 jours de tournage seulement. Vu la gueule du ciné de genre français actuel, l'exploit relève quasiment du miracle. A charge (?), sur Télérama.fr on peut lire : " (...) quelques autochtones, au milieu de cette violence mondialisée, en sont encore, les imbéciles, à attaquer un fermier parce qu'il est noir... On est en pleine furie irréaliste, dans une France américanisée à la Jacques Audiard." et retourner ce même constat à l'avantage du film. Encore que juger irréaliste que des paysans attaquent un noir, c'est occulter le passé de notre glorieux pays, ignorer certainement des fait-divers actuels et, pourquoi pas, être dans le déni quant à un avenir tout proche. Ce thème, agencé avec d'autres placés au même niveau : pardon, communication, mais aussi cahier des charges propre au genre (violence, sexe, ambiance...) participe d'un polar aussi fun qu'intelligent et bienvenu.


Entretien avec Eric Valette

Aussi long que passionnant, axé autour du ciné asiatique et de sa tête d'affiche hongkongaise, l'entretien est disponible sur cette autre page.



Tour d’écran en un tour d’écrou



Sur The Limehouse Golem, je profite d’un show très correct, apprécie le décor Victorien, la description passionnante d’un cabaret de l’époque, mais regrette ce sentiment d’easy watching ainsi qu’un rebondissement repérable au bout de 20mn à peine. Narration globalement filoguidée, donc soporifique. On trouve tout de même de quoi se sustenter.



Avec Get Out, on se dit que ce film aurait davantage eu se place à Gérardmer, mais compte tenu de la qualité de l’objet : on prend. Si encore une fois les plus blasés d‘entre nous flingueront peut-être comme moi le twist dès le contrôle de police, ils resteront surpris par une astuce très maligne en bout de course. Un énième Terry Gilliam’s like aurait pondu un truc anxiogène et dépressif, pas Jordan Peele. En saupoudrant ce vrai film d’horreur d’un humour potache black optimiste, il équilibre assez magiquement une œuvre au postulat proche d’un épisode de La quatrième dimension. Il transforme donc ainsi un concept de moyen métrage en long cohérent. Bien joué.



Fabrice du Welz nous envoie, lui, son Message from the King. Bien que dans l’air du temps, à savoir avec du Charles Bronson qui remonte la chaîne alimentaire pour venger sa soeur et un p'tit twist à la fin, ce petit polar outre-atlantique est très plaisant et doté de quelque scènes éparses marquantes (un défonçage de tronche à la chaîne de vélo, la visite d’une morgue de L.A en mode boucherie de masse, etc).

Fin du festival, déjà. Je pars en comptant cette fois traverser le boulevard et faire tout le tour pour rejoindre ma voiture, comme un bon citoyen. Je vois le gars de la sécu en poste sur le SAS, le même qui m’avait "introduit" le festival ! « Bonne continuation, patron ! » lui sors-je. Il me répond « Merci, à toi aussi ! » en me souriant sincèrement. Drôle d’époque, tout de même, me dis-je en pensant aux plantons en uniforme du JSA de Park Chan-wook évoqué la veille.



http://www.beaunefestivalpolicier.com/2017/

Enorme merci à Eric Valette d'avoir eu l'amabilité de répondre à mes nombreuses questions.
Merci à Nathalie Iund, de MIAM, pour son soutien.
Merci à Marine Moutot, du Public System, pour son accueil ainsi que pour son aiguillage bienvenu.
date
  • avril 2017
crédits
Festivals