Interview Coyote Mag

Une première expérience Coyote Magazine avait été tentée il y a quelques années. Y as tu participé ? Ou alors à d’autres expériences dans le domaine de la presse avant Coyote ?

La première version de Coyote Magazine avait été fondée à l’époque par Laurent Koffel, notre directeur artistique, et deux de ses amis. C’était une revue faite par des gens sans expérience mais qui affichaient avec un certain courage leurs goûts pour une vaste sous-culture allant de la BD au cinéma. L’expérience a duré le temps de deux numéros, le temps de comprendre qu’il est très difficile de s’auto-éditer sans moyen…
Je n’ai pas personnellement participé à cette aventure mais je l’avais suivie d’assez près.
A mon niveau, je viens essentiellement de la presse cinéma. Cela fait quatre ans que je travaille pour SFX Magazine et j’ai collaboré à une quinzaine de supports différents. Donc j’avoue que le manga est quelque chose de relativement nouveau pour moi même si j’ai toujours été un passionné de BD.

Coyote Magazine, par rapport aux autres titres traitant de l’actualité du manga et de l’animation japonaise, se distingue principalement par sa ligne éditoriale plus éclectique (animation, manga et cinéma asiatique). D’où vient cette volonté de parler du cinéma HK, japonais, coréen... ?

Essentiellement à cause de la rédaction. On est tous des amateurs de cinéma asiatique et en réfléchissant à la formule de la revue, cela nous est apparu évident d'en parler. Si les fans de mangas, souvent jeunes, se retrouvent instinctivement dans des films comme Battle Royale ou Matrix, il est facile de les amener du côté de Hong Kong et de les faire creuser l'idée assez sommaire et incomplète qu'ils peuvent avoir de Jet Li ou de Jackie Chan pour ne prendre que les plus connus. Notre lectorat féminin a également très bien réagi. Ils nous écrivent souvent pour nous remercier d'avoir parlé de films qu'ils ne seraient sans doute jamais allés voir, comme The Eye. Tous nos lecteurs connaissent maintenant Hero vu qu'on les bassine avec depuis un an. Cela nous conforte dans notre position : on répond à une vraie demande et on essaie d'élargir leurs horizons.

A l'heure où les magazines de pré-publication font leur entrée en force sur le marché français, il est également amusant de noter que Coyote Mag a investi ce créneau dès ses débuts... en publiant de jeunes auteurs français influencés manga (feu le magazine Yoko avait fait de même pendant un temps). Est-ce que ça correspond à un projet éditorial particulier avec en ligne de mire des parutions sous forme d'albums ?

Numéro 3

C'est même la seule véritable raison, le seul défi éditorial. Beaucoup nous ont dit que c'était suicidaire et ils avaient raison puisque le secteur des revues de BD se portait assez mal. Nous nous sommes dit que cela pourrait fonctionner sur un marché naissant et avec de bons artistes. Aujourd'hui nous avons gagné notre pari puisque le premier volume de Sentaï School est paru début juillet et marche très fort. Chercher, accompagner et publier des auteurs sont des choses autrement plus valorisantes que se regarder écrire dans notre travail journalistique…

Animation, manga, cinéma asiatique, pré-publication... et tout ça dans les mêmes proportions en nombre de pages : la mayonnaise a-t-elle pris ? En plus d’un an d’existence le magazine a-t-il trouvé son lectorat ?

Oui, on peut le dire. Sans surprise, on touche un lectorat assez jeune, relativement mixte (avec une légère majorité pour les filles). Tout le monde n'achète pas Coyote pour les mêmes raisons. Disons que les mangas et les sujets de japanime attirent une majorité. Le cinéma reste un bonus, encore une chose qu'ils ne trouveront pas ailleurs. En même temps, le mag fait 128 pages, cela nous permet, sans être exhaustifs, de ne pas survoler les sujets.

Mais avec l’arrivée massive de nouveaux éditeurs mangas/manwha/vidéo, de la montée en force des magazines de pré-publication, de l’existence d’une concurrence bien réelle dans le secteur de la presse spécialisée, les 128 pages de Coyote Mag suffiront-elles ?

Je l’espère même si ce marché souffre en ce moment. Nous avons la chance d’avoir été les premiers à déclencher les hostilités et nous avons eu plus de temps pour fidéliser un lectorat. C’est actuellement le cas donc nous ne nous sentons pas en danger. Ceci dit le secteur arrive déjà à saturation et il y aura forcément de la casse d’ici l’année prochaine.

Et d’ailleurs le public français ciblé suivra t-il, aussi bien en quantité qu’au niveau du portefeuille, le rythme toujours plus soutenu des sorties anime et surtout manga ?

Comme pour la presse magazine, les éditeurs se précipitent trop. De très bons titres mangas ou DVD n’ont pas le temps de trouver leur public. On édite beaucoup de titres, en très peu de temps et sans discernement. En mangas, le problème se concrétise dans la qualité d’éditions de certains titres. Ceux de Soleil par exemple présentent une qualité d’impression déplorable. En DVD, c’est la fréquence d’éditions entre deux volumes d’un même titre qui est paradoxalement très longue. Jusqu’à six mois pour certains DVD. C’est très frustrant pour les fans. D’ailleurs, le frein de la consommation a déjà commencé. La plupart des éditeurs et des distributeurs ont enregistré jusqu’à 20% de baisse de ventes en avril dernier. Cela les fera peut être réfléchir pour une nouvelle politique : temporiser les sorties et soigner celles déjà parues. Encore faut-il qu’ils aient une vraie philosophie de l’édition. A part Akata et Tonkam pour les mangas papiers et Dynamic pour les DVD. Aucun éditeur ne peut se vanter d’avoir un catalogue digne de ce nom : l’explosion du marché coïncide avec une baisse générale de la qualité.

Chihiro gagne un Ours d’or à Berlin et rafle l’Oscar du meilleur film d’animation, Animatrix consacre pour le grand public l’animation japonaise (ou le contraire ?), les annonces d’adaptations live américaines (ou non) d’anime/manga pleuvent... Qu’est-ce qui se passe ?

La japanime n’est donc pas quelque chose de nouveau en Occident, mais, comme pour beaucoup d’objets considérés comme de la sous-culture, la reconnaissance de ses qualités et même de son existence est tardive. On assiste peut être enfin à une mondialisation de la japanimation qui touche désormais le grand public et plus seulement les enfants téléphages. Je dis peut être car certains pensent qu’il s’agit d’un phénomène de mode et ils ont en partie raison. Et puis, les médias intellos commencent à peine à s’y intéresser (voire le dossier lamentable consacré au mangas par Télérama). Est-ce que cela permet une diffusion de masse de la japanime ? Pas vraiment. Cette mondialisation existe depuis bientôt trente ans dans les programmes télés pour enfants en Europe et aux Etats-Unis.
Les rediffusions n’ont jamais cessé en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Le cas de la France est un peu particulier car le CSA avait donné un sérieux coup de frein il y a dix ans. La conséquence est qu’aujourd’hui, la japanime est confinée sur le support DVD dans un marché tenu par une poignée de petits éditeurs qui n’ont ni les moyens, ni la volonté de se développer.
Il faut donc mesurer la taille de ce marché. Si on faisait la somme de tous les chiffres d’affaires générés aujourd’hui par les DVD d’anime et si on comparait ce chiffre avec les recettes de pubs de TF1 sur les créneaux tenus par le Club Dorothée il y a dix ans, on serait surpris…
Tout ça pour dire que la télévision est le support naturel de la japanime et qu’en France, japanimation et télévision, ça fait deux (je ne sais pas si j’ai répondu à la question…)

Numéro 6
Pour en revenir au magazine, et particulièrement à l’équipe... Tu disais que le caractère éclectique du contenu du magazine venait de la nature de l’équipe de rédaction. Comment s’est-elle constituée ?
On se connaît depuis cinq ans, dix pour certains. Nous sommes donc des amis avant d’être des collaborateurs. On a partagé les mêmes bancs à la fac, les mêmes pages de fanzine, puis de magazine professionnels. Et surtout, nous partageons sensiblement les mêmes goûts, à part bien sûr Laurent qui défend toujours des choses indéfendables…
Travaillez-vous avec des contacts au Japon ?
Dans la mesure du possible, nous entretenons des contacts au Japon avec certains éditeurs et certains studios d’animation. Mais ce n’est jamais évident quand on n’a pas de correspondant sur place. On travaille ainsi dans une logique plus ponctuelle que régulière.
La série Sentaï School a eu droit à son édition reliée. Comptez-vous sortir d’autres séries, pré-publiées dans vos pages, en album et si oui lesquelles ?

C’est déjà prévu pour notre nouvelle série, Le mystère d’Aloa. Notre éditeur a d’ailleurs d’abord signé pour un album avant la pré-publication. Le format de cette BD sera en revanche dans un standard franco-belge (grand format, 48 planches couleurs). Nos autres séries se prêtent également à la publication en volume mais un problème de taille subsiste. Nous n’avons que 8 pages à consacrer par épisode et avec notre rythme de parution, il faut un minimum de 2 ans avant de constituer un volume de manga. Ce délai serait intolérable entre deux volumes…

Et le site Internet de Coyote, il en est où ?

Je n’ai pas envie d’en parler, mais le nouveau site arrive très bientôt…

Coyote Mag est un bimestriel, à quand le passage à une périodicité mensuelle ?

Ce serait génial mais il est impossible pour l’instant de mensualiser. D’abord en raison des délais alloués aux dessinateurs. Ensuite pour la somme de travail que cela représente. Nous fonctionnons en équipe réduite et nous avons tous des activités à côté donc ce n’est pas réaliste.

Des projets pour le futur, des numéros spéciaux ou hors série ?

Tout a fait. Dès le mois prochain, un hors série consacré au studio Clamp et un autre en décembre mais il est un peu tôt pour en parler.

Cite moi l’anime, le manga et le film asiatique du moment à ne pas rater selon toi...

Je ne suis pas le mieux placé pour conseiller des mangas. Mes goûts sont assez éloignés de la majorité de nos lecteurs. Récemment, j’ai beaucoup aimé Planètes et Banana Fish. J’ai un gros faible pour Yoshikazu Yasuhiko, enfin publié chez Tonkam. Par exemple Jeanne est pour moi un modèle. C’est le genre de BD que tout le monde devrait lire pour comprendre cet art. Le niveau graphique, la limpidité de la narration, la qualité du scénario, la dramaturgie, on devrait l’enseigner dans les écoles…
Sinon Satoshi Kon est définitivement la nouvelle locomotive de la japanime. Millennium Actress et Tokyo Godfathers sont des classiques instantanés. Pour la série télé, c’est encore inédit mais Last Exile du studio Gonzo m’a soufflé.
Enfin, il est très difficile de parler cinéma. On a la chance en France d’avoir accès à un catalogue de DVD zone 2 qui s’étoffe très vite en plus des sorties salles, des imports et malgré le manque de films japonais. Mon tiercé du moment : Sympathy for Mr Vengeance, Infernal Affairs bien sûr et le très étonnant Waterboys… et je suis (comme tout le monde) très partagé sur Hero.

date
  • septembre 2003
crédits
Interviews