Interview Im Sang-soo

Aurélien - Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a poussé à adapter pour le grand écran le roman Le Vieux Jardin ?  

En fait, Hwang Sok-yong est quelqu'un de très connu et respecté en Corée, c'est un grand auteur et je pense avoir lu à peu près tous ses livres. Justement, celui-là, je l'avais lu à sa sortie, dans la fin des années 90, et je me rappelle avoir beaucoup pleuré et que cela m'avait beaucoup plu. A l'époque, je ne pensais pas en faire un film, je me disais que cela serait difficile, mais après avoir terminé The President's Last Bang, je me disais que, comme l'époque était la même et que le massacre de Kwangju avait justement lieu juste après l'assassinat du président, cela me faisait une bonne transition. C'est là que je me suis dit que j'allais en faire un film. Et, en fait, les années 80 correspondent à ma période de la vingtaine, de vingt à trente ans, et je savais que je voudrais un jour faire un film sur cette période, tout en sachant que je ne pourrai pas faire une histoire qui surpasserait celle du Vieux Jardin. C'est pour cela que je m'y suis attelé. En même temps, j'avais ce côté volontariste qui faisait que je voulais que les jeunes puissent avoir connaissance de cette période et de cette histoire puisque, malheureusement, les jeunes coréens d'aujourd'hui ne lisent plus de livres sérieux comme ceux de Hwang Sok-yong.

Gilles - Que vous êtes-vous dit devant ce livre de 600 pages que vous alliez devoir condenser en deux heures ?

Il m'était déjà arrivé de faire une adaptation d'un roman au cinéma, même si je n'étais pas réalisateur. Beaucoup pensent qu'il s'agit de quelque chose de très difficile mais, pour moi, c'est quelque chose de plutôt facile. J'ai donc compressé le roman et laissé de côté les choses qui ne m'intéressaient pas. Je suis d'ailleurs assez content d'avoir pu faire la structure du scénario final.
Les gens qui ont aimé Le Vieux Jardin ne sont pas très contents de mon film. Je pense que c'est le destin de tous les réalisateurs de films quand ils sont confrontés à l'adaptation d'un roman si important. Hwang Sok-yong viendra ce soir à l'avant-première et verra le film pour la première fois. Je suis curieux de savoir ce qu'il va me dire.

Aurélien - Alors que ce film commence peu de temps après la fin du précédent, on a le sentiment qu'il y a une véritable rupture, dans le fond mais surtout dans la forme, et que vous livrez un film peut-être un peu moins personnel que les précédents. Comment expliquez-vous cette rupture ?

Je pense que le style d'un film diffère selon son genre et le sujet que l'on va traiter. C'est justement parce qu'il s'agit d'une histoire d'amour sur fond de politique que j'ai choisi d'appliquer ce style-là. Quand on a annoncé que j'allais réaliser une histoire d'amour, beaucoup de gens n'y croyaient pas. Mais je pense avoir changé de style dans tous mes films. J'aime en tout cas à le croire. Ce que je voulais également, c'est que les producteurs qui voient le film puissent penser que je suis justement capable de faire tous les styles de films au cinéma. Dans votre question, vous soulevez le fait que les effets de style qui me sont propres se voient moins que dans mes précédents films. Cela s'explique par les nombreux soucis rencontrés suite à la sortie de mon film précédent : The President's Last Bang. Il y a vraiment eu une grosse polémique et il allait de mon désir de faire un film un peu plus calme. Ne soyez pas déçu... le prochain film sera très bruyant et créera une grosse polémique.

Gilles - On constate qu'il y a une cassure au milieu du film, à partir de l'arrestation de Hyun-woo : si la première partie est très fidèle, le film semble devenir plus personnel, avec beaucoup de décalages par rapport au roman. Comment expliquez-vous cette cassure ?

Il y a deux choses. Tout d'abord, le jeune homme qui a une aventure avec Yoon-hee, j'ai changé ce personnage, j'ai même changé son prénom. En fait, il ne me plaisait pas beaucoup. Je voulais que ce soit, comme moi, un jeune qui a vécu les années 80. Je lui ai donné comme prénom Young-jak et c'est le même passé que celui du personnage principal dans Une Femme Coréenne, qui s'appelle justement Young-jak et qui est un célèbre avocat. Je voulais que ce soit ce personnage et que ce soit donc une sorte de préquelle à Une Femme Coréenne. La deuxième chose, c'est que j'ai énormément effacé les passages qui racontaient la vie de Hyun-woo en prison et je me suis beaucoup plus concentré sur la vie de Yoon-hee car c'était pour moi un personnage qui était plus important.

Gilles - Vous avez quand même effacé toute la partie où elle était en Allemagne, où elle avait d'ailleurs une autre aventure...

Oui, j'ai en effet effacé toute la partie qui se passait en Allemagne, mais cela avait plus à voir avec l'ambition de l'auteur car, à cette époque, il a vu de ses propres yeux la chute du mur de Berlin car il y vivait. Le livre racontait pour lui l'histoire d'un jeune socialiste coréen, vivant donc dans un tout petit pays d'Asie, et il voulait finir son livre ainsi, que l'histoire tende vers celle du monde, qui verrait la fin du communisme. Cela faisait beaucoup trop pour le film, et je me suis rendu compte qu'enlever le passage en Allemagne ne nuirait en rien à l'histoire d'amour et au côté politique du film.

Gilles - Pourquoi faire apparaître Yoon-hee à la fin du film ?

Quand on se concentre sur le film indépendamment du livre, cela raconte l'histoire d'un homme qui a passé 17 ans en prison, qui retrouve pendant environ deux semaines la maison de sa bien-aimée qu'il a perdue et cela se clôt par la rencontre avec sa fille. Quand il sort de prison, il constate que le monde a beaucoup changé, que ses idéaux politiques ne valent plus rien et ne sont plus à l'ordre du jour, et il ne sait plus comment vivre désormais. Même du point de vue psychologique, c'est quelqu'un qui ne va pas bien, qui ne sort pas indemne, et c'est à travers les textes et les dessins de Yoon-hee qu'il trouve la force de continuer, mais également avec la rencontre avec sa fille. C'est tout cela qui lui permet de guérir ses blessures. C'est vraiment Yoon-hee qui lui donne la force de continuer. Même si c'est une explication un peu drôle, on peut considérer Yoon-hee comme une revenante. Hyun-woo est quelqu'un qui ne va pas bien quand il sort de prison, qui n'a pas tous ses esprits. Donc, en fait, il verrait  le personnage de Yoon-hee, qui ne cesse de revenir, comme une revenante qui lui remémore le passé. A la fin, quand on voit cette femme qui revient aux côtés de sa fille et de Hyun-woo, elle les protège et cela se clôt par une sorte de réunion familiale. Il était important pour moi que Yoon-hee soit présente à la fin.
Et puis, là, on est assis tous les quatre en tant qu'êtres vivants dans cette pièce, mais vous savez qu'il y a d'autres personnes invisibles qui nous entourent et que ce ne sont pas toujours des esprits mauvais ou qui font peur. Il y a aussi des esprits qui nous veulent du bien et qui sont là pour nous protéger.
Je voulais absolument que ce film se termine par la réunion de cette famille. C'était mon devoir envers cette famille composée de trois personnes.

Aurélien - On trouve justement dans votre film quelques similitudes avec des oeuvres plus commerciales. Y avait-il une volonté de rendre votre film plus accessible au public coréen ?

Malgré ce que vous dites, le film a été un désastre au box-office. Sinon, bien sûr, quand j'ai fait le film, je l'ai tourné de manière paisible et douce, même pour la scène de la fin, mais je pense que ce n'est pas si simple que cela. Quand Hyun-woo sort de 20 ans de prison, à cause d'une idée politique, et qu'il rencontre cette fille, avec des cheveux bizarres, issue d'une génération toute jeune qu'il n'a jamais connue auparavant, on peut se poser des questions et se demander comment ils pourront vivre ensemble. Bien entendu, je pense qu'ils pourront vivre ensemble, mais c'est seulement grâce à ce qu'a légué Yoon-hee.

Aurélien - Malgré l'irruption de la violence dans la seconde partie, il est difficile de déterminer votre point de vue sur ces évènements.

Quand on fait un film, on se concentre sur quelques personnages. Pour moi, observer quelques personnages équivaut à adopter un regard assez critique sur eux. Dans The President's Last Bang, j'observais les personnages d’une manière assez froide et critique. La gauche m’a reproché d’avoir été trop gentil avec le président Park Chung-hee, mais c’est seulement leur position politique car, pour ma part, je voulais conserver une certaine distance, avoir une position assez objective en tant qu’artiste. Là, c’est pareil pour ce film. J’ai beaucoup de respect pour les activistes des années 80 mais, en même temps, je ne pense pas qu’ils sont intouchables, ce ne sont pas tous des héros. C’est pour cela que je me retrouve finalement critiqué aussi bien de la gauche que de la droite en Corée et que je me retrouve tout seul.


Propos recueillis par Aurélien Dirler  et Gilles Collot le 2 avril 2007 à Paris.
Chaleureux remerciements à Kim Ye-jin, Im Sang-soo, Laurence Granec et Karine Ménard.
date
  • avril 2007
crédits
Interviews