Amer Béton : entretien avec Michael ARIAS

C’est dans une salle d’un grand hôtel parisien que nous avons eu le plaisir de rencontrer le jeune réalisateur Michael ARIAS, de passage à Paris pour la promotion de son film Amer Béton (Tekkon Kinkreet), adaptation du manga éponyme de MATSUMOTO Taiyô. Originaire des Etats-Unis mais résidant au Japon depuis de nombreuses années, Michael ARIAS n’est pas un inconnu des amateurs d’animation, notamment pour son travail de producteur sur Animatrix. Mais avec Amer Béton, il devient le premier occidental à réaliser un film d’animation japonais.

Genèse

Pourquoi avoir choisi de tourner au Japon et dans un style japonais ?

Parce que je vis au Japon et que j’y ai trouvé un groupe d’animateurs et de réalisateurs très, très talentueux. Je parle bien entendu des gens avec qui j’ai travaillé au studio 4C sur Amer Béton, mais aussi de l’industrie de l’animation japonaise en général. Il y a des gens vraiment talentueux là-bas et qui travaillent dur. L’histoire que je voulais faire était une histoire japonaise et c’est juste que... ça ne pouvait être fait nulle part ailleurs ! C’est le seul endroit au monde où on peut faire de l’animation comme ça. Personne d’autre ne le fait. L’animation traditionnelle est complètement morte partout ailleurs. Je sais qu’il y a quelques jolis films en France et aussi aux Etats-Unis, mais vous savez je voulais faire cette très grosse histoire et je me suis identifié avec elle... Et puis j’aime vivre et travailler au Japon, donc ce n’est pas vraiment à dessein que j’ai eu cette démarche, mais c’est plutôt venu naturellement. 

Vous étiez déjà impliqué dans la production du pilote d’Amer Béton réalisé par MORIMOTO Koji, au sein de 4C, il y a quelques années...

Oui, je l’ai produit et j’en ai réalisé la 3D...

Etait t-il déjà question que vous preniez la direction d’un éventuel film ?

Oh non, non pas du tout. J’avais en fait cette idée de faire Amer Béton en film d’animation, et au même moment MORIMOTO Kôji voulait voir ce qu’il était possible de faire avec la 3D, et ça c’est ma spécialité. Et donc nous avons travaillé pendant un an et demi sur le pilote, si on inclus le travail sur les designs et ce genre de choses. Ensuite nous avons bien entendu travaillé ensemble sur Animatrix. Et à la fin d’Animatrix on aurait du attaquer la réalisation d’Amer Béton, mais il était alors très occupé et peut-être plus aussi intéressé que ça à faire le film. Il a alors réalisé que je pensais à ce film et en parlais tellement, j'en avais même écrit un scénario avec mon ami Anthony WEINTRAUB, que je n’étais plus un simple producteur ou réalisateur 3D seulement, mais que j’évoquais le film en termes de réalisation. Et puis il m’a dit que le film qu’il voulait faire était très différent de celui que je voulais faire, et que je n'avais qu'à la fermer et le réaliser moi-même. Il m’a beaucoup aidé sur ce film...

En effet, il a par exemple été impliqué dans le storyboard...

Oui, un très, très petit segment. En fait il n’a pas tellement fait de storyboard, mais surtout du concept-art (ndr : recherche graphique), et il nous a été très utile. Et puis c’est un très bon ami, il est toujours très sympa avec moi et il m’a effectivement soutenu...
Ce n’était donc pas un objectif que de réaliser et je n’y ai pas pensé avant que les gens ne se mettent à me dire de le faire. Vous savez, j’ai toujours pensé que j’aurai pu faire n’importe quel boulot sur ce film, comme la production, la 3D, le design, la musique ou le doublage..., n’importe quoi, mais réaliser c’est vraiment la seule chose que je n’ai jamais voulu faire ! Je ne sais pas, je crois que j’ai été chanceux de trouver une histoire assez puissante pour me faire devenir réalisateur alors même que je ne le voulais pas. C’est comme cela que ça devrait se passer d’ailleurs. Maintenant que c’est fini je me dis qu’on ne devrait réaliser que des choses auxquelles on tient si fortement qu’on a certaines perspectives que personnes d’autres ne peut avoir, ou alors que l’on sait vraiment ce qu’on veut et qu’on en a une réelle vision... Je pense que la chose la plus dure maintenant que le tournage d’Amer Béton est fini pour moi, si je veux continuer à réaliser, ce sera de trouver quelque chose d’autre qui me passionne autant.

         

Dans une interview sur le net (www.pingmag.jp), EIKO Tanaka, productrice et « boss » de 4°C, expliquait que le storyboard du film avait été divisé en plusieurs parties et dessiné par des personnes différentes. Ce n’est pas vraiment une façon de faire habituelle, pourquoi ce choix ?

Eh bien, en fait j’avais réalisé deux jets de mon storyboard, mais comme je suis un très mauvais illustrateur – mon dessin est très limité – il donnait toutes les indications de montage de base et de timing qu’il fallait, mais en l’état il n’était pas adapté pour servir en production. On avait besoin d’un storyboard de production avec des dessins beaucoup plus détaillés, avec beaucoup plus d’informations. Mais bon, entre temps avec mes deux jets j’avais déjà pu réunir mon équipe, expliquer ce que je voulais et le travail de recherche artistique s’était donc mis en place. On avait pas mal de pression de ce fait d’ailleurs, nous avions beaucoup de temps pour faire du design, NISHIMI (ndr : directeur de l'animation) avait passé près d’un an à faire du character-design, KIMURA (ndr : directeur artistique) avait aussi réalisé des centaines et des centaines de dessins... Et donc on avait tout nos design mais il fallait maintenant s’attaquer à l’animation très rapidement, et il nous fallait donc un storyboard de production tout aussi rapidement. Alors j’ai pensé à diviser le travail – les différences de styles n’étant pas très importante dans ce cas – entre les directeurs de l’animation URATANI Chie, KUBO Masahiko, NISHIMI Shôjirô, ANDO Hiroaki, un peu pour MORIMOTO Kôji et puis moi.

Nous-nous sommes donc partagés les scènes : KUBO s’est occupé de toutes les scènes avec des yakuzas, URATANI Chie qui elle apprécie particulièrement le personnage de Blanc, s’est chargée des scènes avec les enfants, NISHIMI - avec toutes ses merveilleuses idées pour ce qui touche à l’action – s’est occupé de toutes les grosses scènes d’action... En fait nous avons passé 6 mois à faire exclusivement du storyboard. Je crois que c’était finalement une bonne idée, même si effectivement ce n’est pas vraiment la façon de faire habituelle...

Oui, en générale c’est le réalisateur qui s’en occupe totalement...

C’est vrai, c’était une façon vraiment différente de faire. Lorsque vous regardez les storyboards de KON Satoshi, ou ceux de MIYAZAKI Hayao, ils sont si consistants, si riches... Presque parfait ! Oui, c’est vraiment une question de consistance... Notre storyboard n’est pas aussi jolie, on y voit 5 ou 6 styles graphiques différents mélangés et qui d’une certaine façon, reflètent autant de style différents de réalisation, même si mon assistant ANDO Hiroaki et moi-même avons ensuite passé pas mal de temps à couper, à peaufiner le rythme et à affiner ces storyboards. Mais bon, c’était aussi une opportunité d’évoluer, d’aller un peu plus loin en permettant aux animateurs d’exprimer un peu plus leurs sensibilités respectives dans le storyboard... Vous savez, on a 15 animateurs et chacun regarde le monde à travers différents yeux. A la fin c’est véritablement devenu un animal vraiment complexe et une vraie collaboration.

De ce que j’ai entendu de gens ayant travaillé sur Paprika, leur storyboard était en fait les layouts (ndr : étape suivant en général le storyboard qui consiste en sa décomposition et en l’organisation précise des plans de l’anime) prêts pour le tournage. La méthode implique en l’occurrence sans doute moins de collaboration. C’est un travail artistique magnifique mais peut-être pas si fun que ça pour un animateur de travailler dessus.
En fait le directeur de l’animation de Paprika, ANDÔ Masashi, a aussi fait beaucoup d’animation sur notre film et il nous disait que c’était une méthode vraiment différente de ce que nous étions en train de faire... Je pense que les animateurs trouvent plus de liberté dans notre cas...

Et qu’en était-il de votre expérience comme réalisateur ?

J’ai eu pas mal de problèmes dans ce domaine, parce que je brûlais d’envie de réaliser alors même que j’étais en train de réaliser... Et puis une partie du travail de réalisateur c’est avant tout de communiquer ses idées aux autres, et avec mes pauvres dessins je n’allais pas bien loin. Donc je sortais tous les jours, je prenais beaucoup de photos de lieux afin de fournir des références aux animateurs et de les inspirer..., et surtout énormément de discussions, probablement beaucoup plus qu’un réalisateur comme KON Satoshi qui peut tout simplement tout dessiner. Je ne sais pas vraiment comment les autres réalisateurs travaillent, mais moi je faisais beaucoup de choses différentes : beaucoup de compositing, de la 3D, du travail sur les décors, la musique, le son...

développement

Dans une interview de 2005 de KATAAMA Mitsunori (réalisateur 3D de Ghibli), il disait à propos de ses préférences softwares aimer spécialement les outils que vous aviez développé. Pour Amer Béton, avez-vous développé des outils 3D particuliers ?

J’ai fait mes derniers développements de programmes très tôt dans la production du film, en ajoutant du Fishey Lens et du Lens Distortion aux possibilités du Toon Shader de Softimage (ndr : logiciel d’animation qui permet de donner aux volumes 3D une apparence de 2D classique). Bien entendu, nous avons intensivement utilisé le Toon Shaders pour Amer Béton, sur tous les véhicules du film, sur les personnages distants et les éléments mobiles qui composent la ville. Nous avons aussi développé pas mal de nouvelles techniques pour créer nos images de pseudo décors 3D, et également pour ajouter des manipulations type « caméra à l’épaule ». Mais il n’y a pas vraiment de gros développement logiciel, juste de nouvelles façons d’utiliser ensemble les outils habituels.

Votre film et le manga de MATSUMOTO Taiyô sont très proches l’un de l’autre, vous êtes resté très fidèle au matériau d’origine. Etait-ce votre intention dès le départ ?

Oh non, non ! En fait c’est amusant, nous avons essayé de changer, mais c’est juste que le manga est si bon qu’il n’y a pas moyen de changer. Je le pense ainsi et mon directeur de l’animation, NISHIMI Shôjiro, également. A chaque fois que nous étions perdus, nous revenions au manga, parce qu’il est vraiment parfait... Mais bon, on a tout de même changé différentes choses, structurellement, au niveau du script nous avons changé l’ordre de beaucoup de choses, mis l’accent sur certains passages plutôt que d’autres, rajouté des éléments dans certaines séquences, rajouté des séquences... On a aussi accentué le côté spectaculaire par rapport au manga. Mais quand on en vient à l’aspect visuel d’Amer Béton, le travail de MATSUMOTO Taiyô est tout simplement extraordinaire et une source d’inspiration permanente. Lui-même, dès le début, m’a dit : « fait tout ce que tu veux, change-le, détruis-le, c’est à toi ». Je trouve ça très généreux de sa part, mais au final nous en sommes restés proches, le manga est simplement trop fort. 

MATSUMOTO Taiyô a un style graphique affirmé dont l’adaptation en animation n’est pas forcément des plus évidente, non ?
 
Oui, sont style est particulier n’est ce pas ? Pour ce film nous avions pas mal de défis techniques à relever sur ce plan, parce que l’animation demande en générale des personnages faciles à dessiner, et on voulait aussi que le film utilise le style de dessin de NISHIMI Shôjirô. C’est un style un peu différent de celui de MATSUMOTO, pas exactement la même chose parce que c’est un animateur et que ses dessins sont techniquement plus consistants. Alors on s’est dit que pour animer l’ensemble du film il fallait utiliser son style à lui pour essayer d’avoir un résultat le plus expressif possible. Lorsqu’un animateur dépense toute son énergie à essayer d’imiter un autre style de dessin, ça se voit, ça ne prend pas vie. Il fallait donc garder le style de NISHIMI si on voulait garder son énergie. Et puis même si les styles de Taiyô et NISHIMI diffèrent, ils partagent une énergie commune et le style de NISHIMI fonctionne finalement comme un analogue. Et puis c’est un animateur merveilleux... 

Si on avait voulu que le film d’Amer Béton ressemble exactement au manga visuellement, ça aurait été probablement impossible. Et puis ce n’est pas très intéressant de simplement imiter le travail de quelqu'un d’autre, je préfère plutôt en donner une nouvelle interprétation.

         

Une des réussites visuelles de votre film sont les décors. La ville est particulièrement bien représentée, dans une veine beaucoup plus réaliste et, forcément, plus colorée que dans le manga. Comment s’est déroulé le travail avec KIMURA Shinji, responsable des décors ?

Dans ma toute première réunion avec KIMURA j’ai décrit Treasure Town (ndr : la ville de Takamarachi) comme le véritable « héros » du film. Amer Béton est structuré de telle façon que c’est l’histoire du développement de la ville qui lie le tout ensemble. Donc je voulais que la ville soit aussi riche et crédible que possible, plus que des fenêtres alignées, et plus que de simples images derrières les personnages. Il acquiesça avec beaucoup d’enthousiasme. Bien sur, faire des décors la star du film était un grand challenge pour lui, et quelque chose à même de faire couler à flot la créativité.

Quelles étaient vos références visuelles en plus du manga d’origine ?

J’avais déjà collecté une bonne quantité de références lors de visites au Sri Lanka, à Hong Kong, en Indonésie ainsi que tout Tokyo et Osaka. En fait nous voulions que la ville soit un monde organique complètement crédible, et nous ne voulions pas non plus l’aborder en tant qu’image réaliste, dans le sens de photo-réaliste. Une des grandes choses à propos du style de MATSUMOTO Taiyô, particulièrement dans son manga Amer Béton, c’est l’enjouement du trait et la représentation fantaisiste. L’impression que MATSUMOTO voulait créer, je crois, était celle d’une boîte à jouets d’enfant au contenu renversé sur le sol, et nous voulions que le visuel du film soit une analogie animée de la boîte à jouets. Donc, les designs de KIMURA et ses choix de couleurs, dès le début, furent décidés comme peu réalistes bien qu’incroyablement détaillés. En plus de ça nous avons aussi utilisé les techniques hybrides 2D/3D développées pour ce film et qui donnent plus de liberté aux mouvements de caméra : style caméra à l’épaule, ou steady-cam, plan grue... etc. Ainsi, l’impression finale que l’on en retire est celle d’un monde surréaliste présenté de façon « réaliste ».

Qui a fait quoi exactement ?

KIMURA a lui-même fait le design de tous les « lieux » en consultation avec moi, excepté le bureau de Serpent et les dirigeables du Château des enfants dont j’ai réalisé les designs. Il a également peint la moitié des décors lui-même. Et pour le reste, on a fait appel à son équipe artistique qui avait travaillé avec lui sur Steamboy (KONNO, NAKAMURA et d’autres...). Tout le monde a eu beaucoup de liberté pour les affinements et petits détails, même si KIMURA supervisait l’ensemble de près.

L'Enfer du Minotaure

J’ai été particulièrement impressionné par une des séquences de fin du film, celle où le personnage de Noire se retrouve à contempler les visions du Minotaure. Un passage beaucoup plus spectaculaire et immersif que son équivalent dans le manga...

Je suis très fière de cette séquence. En fait, de toutes les séquences du film, c’est ma favorite et celle à laquelle j’ai le plus directement contribué pour l’image finale également. Initialement, je n’étais pas très satisfait du traitement de la séquence de « l’Enfer du Minotaure », aussi bien dans le manga originale que dans le scénario. J’ai trouvais que le manga fonctionnait bien sur le papier mais n’étais pas particulièrement cinématique. Le scénario était un bon jet et donnait à la séquence une touche beaucoup plus dramatique, mais il ne suggérait pas le genre d’images que je recherchais. Je voulais réellement quelque chose de très abstrait, un peu dans le genre d’une expérience type porte des étoiles à la 2001 l’Odysée de l’Espace, quelque chose de très psychédélique et immersif, presque non narratif.

Mais avant que j’aie fait quoi que ce soit de sérieux sur l’Enfer du Minotaure, la majeure partie du film était finie, et nous étions donc dans une situation très précaire, sans une « fin » pour le film et avec une deadline de livraison à l’horizon, ce genre de choses quoi. Le seul vrai point de référence était les images que nous avions créé pour les séquences d’Amer Béton basées sur la réalité, et quelques portraits de Francis BACON ainsi que des photographies de MORIYAMA Daido que j’aimais bien. Cependant parfois, comme nous l’avons découvert, la pression est d’une grande inspiration ! Ma première intention en créant cette séquence était de déconstruire l’ensemble du processus que nous avions utilisé pour créer les autres aspects visuels du film. J’espérais que ça allait finalement ouvrir la voie vers une approche intéressante...

C'est en effet une partie du film qui tend vers une animation plus "abstraite"...

D’ailleurs, au lieu de ses décors habituels, KIMURA nous donna juste plusieurs représentations très abstraites – peintures projetée sur l’acétate de cellulose, encre égouttée sur le papier... Pour ce que j’en sais, KIMURA a vidé sa tasse de café pour obtenir ces peintures... Nous les avons scanné à une très haute résolution, avec l’intention d’en choisir de petites portions pour les utiliser ensuite comme décors. Et si quelque chose dans une peinture suggérait un horizon ou un avion, ou la terre ou les nuages, alors nous l'emploierions simplement en tant que tels, peut-être en y ajoutant quelques déformations de perspectives pour lui donner un peu de profondeur.

                               

Et comment avez-vous abordé l'animation des personnages dans cette séquence particulière ?

Pour le travail sur les personnages j’ai demandé à l’un des directeurs de l’animation, KUBO Masahiko, d’animer l’ensemble de la séquence en utilisant un procédé aussi éloigné que possible de ses méthodes habituelles. Ce qu’il choisit alors fût tout d’abord de dessiner tous les artwork au stylo à bille, en lieu et place du pinceau. Cela change le rendu du trait mais ça signifie aussi qu’on ne peut pas corriger son travail en effaçant, comme on a l’habitude de le faire. Je pense qu’il espérait que la pression de devoir dessiner sans possibilité de corriger les erreurs, aurait d’une façon ou d’une autre une influence sur son travail, et je crois que ce fût effectivement le cas. 
Ensuite, plutôt que de simplement dessiner les poses clés (ndr : images clés d’une séquence d’animation) et de laisser un autre animateur s’occuper du reste (ndr : ce qui est la façon de procéder habituelle), KUBO choisit d’animer l’ensemble de la séquence lui-même, poses clés et poses intermédiaires comprises, et sans mettre au propre les originaux, de façon a pouvoir préserver le style de dessin original des personnages. C’était une énorme quantité de travail pour un seul artiste, et ce que nous avons finalement obtenu ce sont des personnages non seulement « nerveux », « instables » mais aussi très expressifs.                      

Alors, avec les décors et les personnages prêts, quelqu'un de l’équipe 3D du studio 4°C, un collègue suédois nommé Mats ANDREN, décomposa la séquence et réalisa tous le compositing en plus d’ajouter tous les effets. Je pense qu’au final je me suis occupé d’une vingtaine de plan en premier, et Mats a pris le relais là où je m’étais arrêté en faisant les 60 autres plans.

Réaliser cette séquence était devenu, à la fin, une expérience très cathartique ! Et maintenant que j’y pense, laisser cette partie d’Amer Béton totalement vierge jusqu’au plus près de la fin de la production était tout a fait approprié, étant donné la nature de la séquence.

L'animation : fin et/ou moyen(s)

Comment vous situez-vous par rapport à des réalisateurs japonais de film d’animation de la « nouvelle génération » comme KON Satoshi (Paprika, 2006), YUASA Masaaki (Mind Game, 2004), HOSODA Mamoru (La Traversée du Temps, 2006) ?

Je pense que j’ai un regard et une perspective vraiment différente sur l’animation par rapport à eux. HOSODA et YUASA sont de vrais animateurs, de grands animateurs, KON Satoshi est un illustrateur et un merveilleux illustrateur, MORIMOTO Koji est aussi un grand animateur... Et donc cela implique une approche de l’animation, de la réalisation, vraiment différente. Tout ces gars sont mes héros. Mais pour moi faire de l’animation, réaliser un film d’animation, n’a jamais été, intrinsèquement, en soi, intéressant. Je pensais juste que c’était le meilleur moyen d’adapter Amer Béton, de donner vie aux personnages et à l’univers de MATSUMOTO. Et c’est parce que je travaillais dans l’industrie, que j’ai produit de l’animation, que je m’y suis mis. Je ne sais pas si je consacrerai le reste de ma vie à faire de l’animation. Je ne suis tout simplement pas un animateur de formation, ce n’est pas possible d’aborder les choses comme ça pour moi. Si je trouve un autre sujet qui s’adapte à l’animation pourquoi pas, c’est une magnifique façon de faire des films, on y contrôle tout ce qu’on fait, on peut vraiment avoir exactement ce qu’on veut...

       

C'est aussi un énorme travail...

J’avais justement une conversation intéressante avec OTOMO Katsuhiro - on va boire quelques coups ensemble parfois, parler de cinéma... – et c’est amusant, il disait qu’il regrettait vraiment d’avoir essayé de tout faire sur Akira et Steamboy. Et moi je pensais « ce mec a en fait tout fait, c’est extraordinaire ! » Et MIYAZAKI aussi ! Ce genre de personne arrive à faire exactement ce qu’elle veut et elle pourrait tout aussi bien travailler seule si nécessaire. Et maintenant qu’OTOMO réalise un film en prise de vue réelle (ndr : Mushishi), il regarde différemment ce qu’il considère comme son travail de réalisateur. Il me disait donc que ce qu’il faisait alors sur Akira et Steamboy ce n’était pas réaliser, mais qu’il passait bien plus de temps à corriger les erreurs de dessin des autres...

J’étais très surpris d’entendre ça mais je pense aussi que ça se tient dans le cas d’une collaboration trop uniforme. Dans le cas de mon film ce n’est peut-être pas la même chose parce que même si ce film est le mien, c’est aussi une affaire très collective où le directeur de l’animation, le directeur artistique et les animateurs ont eu leur place à prendre de façon créative, sûrement en raison du fait que je ne suis pas un animateur à la base. Quand on regarde un film d’OTOMO ou de MIYAZAKI, c’est complètement leur film, chaque plan est un petit bijou d’ingénierie de leur part.

En tous les cas c’était assez intéressant et un peu choquant d’entendre OTOMO dire ça. Il est un peu comme un dieu pour toute une génération de fans d’animation japonaise, et il état en train de dire qu’il avait des regrets... Waouh !

Les derniers films d’OTOMO, de MIYAZAKI ou de OSHII - « l’ancienne » génération de réalisateurs – ont tous coûté entre 15 et 20 millions de dollars, des budgets de blockbuster pour de l’animation japonaise ; au contraire, les budgets des derniers films de la « nouvelle » génération (KON, YUASA...) se situent tous entre 2 à 5 millions de dollars...

Oui, comme le mien aussi. Entre 3 et 5 millions.

C’est plutôt intéressant, dans le sens où les « nouveaux » réalisateurs n’en sont pas le moins du monde affecté au niveau créatif, leurs films apportant indéniablement un souffle nouveau...

Et bien, je pense que parfois ne pas avoir tout ce que l’on veut, ne pas être en position de faire tout ce que l’on veut..., parfois c’est une bonne chose parce qu’il faut travailler plus vite, être en quelque sorte plus ingénieux, plus astucieux, parce qu’on manque d’argent ou de temps... Et donc, vous voyez...

... Mais 20 millions de dollars, je ne saurai même pas quoi en faire ! C’est trop ! Je veux dire, Steamboy est un film si beau que lorsqu’on le regarde on se dit « waouh, et quoi encore, quoi encore ! ». C’est toujours plus gros, plus gros et plus gros ! J’ai envisagé Amer Béton d’une façon vraiment différente.

Une dernière question, par rapport aux personnages de l’histoire : vous sentez-vous plus proche de Noir ou de Blanc ?

C’est marrant, au début, à l’étape du script, je pensais que Blanc était le héros du film, mais pendant que je le réalisais c’est Noir qui m’est apparu comme le véritable héros de l’histoire. Son personnage, contrairement à celui de Blanc, évolue au fil de l’histoire, il change et c’est ce qui le rend plus proche de nous, il nous est compréhensible. Nous sommes tous un peu comme lui au fond, avec un côté fort et un côté faible, un côté sombre et lumineux en conflit permanent. Il est pris en sandwich entre Le Minotaure et Blanc, de la même façon que le personnage du jeune yakuza, Kimura, est pris en sandwich entre Suzuki et Serpent... Pour moi c’est donc Noir qui est le véritable héros du film et c’est avec lui, et Kimura, que je peux m’identifier le plus.

 

Propos recueillis par Anton GUZMAN en février 2007 et complétés par mails.
Merci à Michael ARIAS pour sa disponibilité, ainsi qu'à M. BURNSTEIN et à toute l’équipe de Bossa Nova.

© 2006 MATSUMOTO Taiyô / Shogakukan - Aniplex - Asmik Ace - Beyond C. - Dentsu - Tokyo MX

date
  • mai 2007
crédits
Interviews