Interview Japan Mania

Peux tu te présenter et nous donner quelques indications sur ton parcours professionnel avant ton activité au sein de Japan Mania ?

En fait, mon incursion dans le monde du journalisme s'est faite un peu par hasard. Au départ, j'étais étudiant en histoire de l'art et j'étais plutôt parti pour un cursus assez classique (c'est d'ailleurs là que j'ai été initié à l'esthétique japonaise) quand un ami m'a contacté pour faire des piges jeux vidéo et Internet au magazine Chronicart (www.chronicart.com). De fil en aiguille, je suis rentré dans le groupe Multimediapress qui est une société de presse spécialisée dans des produits multimédia (en gros n'importe quel magazine vendu avec un CD-Rom ou un DVD). Je m'occupais essentiellement de tout ce qui était jeux vidéos et informatique. En parallèle, le cinéma asiatique (hong-kongais au début, puis japonais par la suite) a commencé à prendre de plus en plus d'importance. Et naturellement, la partie animation et manga...

Comment et pourquoi est né Japan Mania ?

Japan Mania est né d'une manière assez ambivalente. Tout simplement parce que la presse spécialisée est relativement sujette à une exigence de rentabilité. Donc au départ, c'était un simple calcul comme quoi le marché était devenu assez mûr pour plusieurs titres. (A cette période, il n'y avait encore que deux titres, Otaku et Animeland). D'un autre côté, j'étais plus que partant pour m'occuper du projet, même si parfois la marge d'opération était assez faible (le titre ne fonctionnait pas avec des annonceurs, ce qui nous permettait d'avoir une grande liberté de ton, mais par contre devait absolument fonctionner, ce qui apportait aussi son lot de concessions...)

J’aimais bien le ton un peu plus distancié, moins animefan, de certains articles de Japan Mania (je pense aux quelques articles de Patrick Macias, les points de vue de professionnels sur le phénomène anime/manga...). Est-ce que cette approche procédait d’une « ligne éditoriale » établie ?

Numéro 6

Oui. Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il était hors de question de se limiter à faire uniquement de la chronique. Savoir que tel manga sort dans deux mois, c'est très bien, connaître que tel character-designer a aussi travaillé sur la dernière série culte du moment ou que l'avant dernier épisode d'Evangelion fait n secondes de moins que les autres opus de la série, ça devient franchement moins intéressant voire carrément barbant. Autre raison d'élargir l'horizon de Japan Mania et d'éviter un ton trop anime fan: celle d'apporter un point de vue global sur la culture populaire japonaise, c'est à dire ne pas se limiter à l'animation et au manga. Nous avions envie d'aborder en bloc la culture pop japonaise et de nous intéresser aux liens très forts qui existent entre cinéma, animation, manga, mais aussi graphisme, etc. C'est pour cela que les chroniques pures occupaient finalement assez peu de place dans le magazine aux profits des rubriques tenues par Patrick Macias ou quelques professionnels comme Tom Mes (qui vient de sortir un livre sur Takashi Miike) ou Valérie Dhiver, la traductrice de Jin Roh entre autres...

La parution de Japan Mania s’est-elle interrompue faute d’avoir trouvé son lectorat, qui plus est dans un contexte concurrentiel plutôt fort ?

Oui. Au fur et à mesure que les concurrents sont apparus, il y eut tout simplement un phénomène de saturation. On est passé de deux trois titres à plus d'une dizaine de titres avec des contenus rédactionnels relativement similaires. Forcément, le public s'est dispersé. Si au début, du magazine, on tournait entre 15 et 20000 titres vendus, sur la fin on était plus proche des 8000. Et même si cela peut paraître important, l'équilibre financier d'un tel titre devient rapidement instable. Il a donc été décidé d'arrêter le titre (de manière provisoire, j'espère).

En deux ans le nombre de magazines spécialisés japanime/manga et culture japonaise a connu une explosion. Penses-tu qu’il y ait assez de place pour tout le monde ? Cela correspond-il à la réalité culturelle et économique de l’animation et du manga en France ou sommes nous en situation « d’inflation rédactionnelle » ?

Oui, il y a bien sûr de la place pour tout le monde. Le seul problème est de trouver une manière originale et d'apporter un point de vue nouveau ou décalé. Si c'est pour se retrouver avec 10 magazines avec en couverture la même image et le même contenu rédactionnel, forcément, ça ne rime à rien. Mais malgré la surenchère rédactionnelle qui peut surprendre (surtout dans un espace-temps aussi rapide), on peut remarquer que chaque titre se différencie assez bien : il y a celui plus proche des fans, l'autre avec un DVD, un troisième axé sur la mode. Après le plus important, ce n'est pas tant de créer une identité, que de travailler correctement le contenu et ne pas apparaître comme un fanzine amélioré, bref réfléchir sur ce qu'il est possible de faire, travailler sur l'écriture, etc...
Après, sur la réalité culturelle et économique de l'animation et du manga, je ne sais pas trop. C'est évident qu'il existe de plus en plus de mangas disponibles, que le marché de l'animation augmente, et que le nombre de personnes qui lisent des mangas ou visionnent des animes aussi. Après, reste à savoir sur ce nombre quelle proportion est vraiment intéressée pour accéder à plus d'informations. Et dans ce cas là, par quel moyen elle souhaite accéder à ces informations : par un support papier acheté en librairie, par un magazine ou un site Internet. Car finalement les nouvelles technologies ont beaucoup fait évoluer la pertinence d'un magazine vendu en kiosque (et surtout si on compte parmi le public une proportion d'otakus qui vont télécharger des animes fansubbés via Peer to Peer...).

Numéro 5
Aux Etats-Unis, ce sont maintenant les éditeurs japonais qui s’installent, directement, dans le domaine de la presse spécialisée (Newtype USA) et aussi dans la prépublication (Shonen Jump et Rajin Comics), avec succès. Une telle situation est-elle un jour envisageable en France, lorsque le marché sera « mûr » ?
C'est déjà fait ! Bandai est en train de lancer son label vidéo Beez en sortant les séries qui étaient auparavant licenciées chez d'autres éditeurs. Plusieurs groupes commencent à s'intéresser au marché européen : Viz, le géant américain qui n'est autre que la succursale de géants de la publication au Japon lorgne du côté de l'Angleterre, Nissho Iwai (un géant de l'industrie qui possède des parts dans différents studios d'animation) étudie quelques pistes sans oublier la présence de pionniers comme Toei, qui même s'il ne débordent pas d'activité sont bien présents. Pika Edition devient de plus en plus proche de Kodansha grâce à leur mensuel de prépublication, Shonen. Reste à savoir si cela va aboutir au phénomène identique du marché de la vidéo, où les sociétés ont préféré directement s'implanter dans le pays de vente plutôt que de licencier des animes ou des mangas à des groupes français. Une telle présence permet naturellement de mieux contrôler les ventes et ne pas avoir à faire à des fausses déclarations.
Comment perçois-tu l’Oscar de Chihiro et le succès commercial d’Animatrix ? Un nouveau palier pour l’animation japonaise et si oui, un palier vers quoi ?
Je ne sais pas trop. Ce qui est assez flagrant, c'est que ces deux films d'animation ont bénéficié d'un support occidental nettement plus lourd que d'habitude, avec toute l'infrastructure marketing de Disney pour Chihiro et Warner et l'effet Matrix pour Animatrix. De là à voir un nouveau palier, je ne sais pas.
Si Japan Mania devait être relancé, quels sont les changements que tu y apporterais ?

Si Japan Mania devait être relancé... :-) J'aimerais bien me diriger vers une version plus hardcore (quitte à avoir peu de lecteurs, autant aller jusqu'au bout...) à la manière d'une revue avec beaucoup plus d'interventions et de carte blanche. Peut-être aussi donner à un invité la possibilité de choisir ce qu'il veut mettre dans une dizaine de pages, lui laisser la possibilité de faire son mini magazine à l'intérieur du magazine... Peut-être même enlever tout l'aspect chronique qui m'ennuie un peu (Genre vous savez, le tome 3 de ce manga, il est vraiment très, bien, l'histoire progresse, les combats sont magnifiquement mis en scène mais on s'ennuie un peu dans les dix dernières pages ...). Bon ok, c'est vraiment dans le cas où Japan Mania serait relancé, mais je pense qu'avec cette version, je risque de me faire vraiment lyncher par la rédaction :)

Et en attendant, d’autres projets ?

Oui, deux !
Un site qui fonctionne déjà : Japan-exp (http://www.japan-exp.com) qui, en gros, se divise en deux parties : un coté chronique avec un aperçu de toutes les sorties et une encyclopédie qui aimerait bien à terme fournir un aperçu global sur la culture populaire japonaise. Bon, là à vrai dire, on manque un peu de monde donc si des chroniqueurs veulent nous rejoindre, ils sont les bienvenus :) et l'aspect ambitieux de la chose tourne un peu au ralenti.
Un projet éditorial, IMHO (Im My Humble Opinion) avec au programme quelques mangas, un ou deux livres sur le cinéma japonais et un peu de vidéo. Si tout se passe bien, le premier titre sort en Janvier (mais pour l'instant, tout est en cours de signature, donc je ne peux pas en dire plus.

date
  • septembre 2003
crédits
Interviews