Interview KAMIMURA Migiwa

C'est enfoncer une porte ouverte que de dire de Migiwa KAMIMURA, fille du célèbre gekigaka, qu'elle est en partie à l'image des héroïnes des mangas de son père : charmante. En visite en France lors du dernier Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême, elle a bien voulu répondre à quelques questions sur le travail de son père décédé. Si l'oeuvre de Kazuo KAMIMURA, qui commence seulement à être distribuée chez nous avec deux titres en cours de parution (Lady Snowblood et Le fleuve Shinano), bénéficie de toute la popularité et le respect qu'elle mérite au Japon, elle gagne encore à être connue en France, au moins à l'image de celle d'un Jirô TANIGUCHI qui commença sa carrière comme assistant de KAMIMURA justement. Raison de plus pour lui rendre les honneurs. L'homme, malgré une vie abrégée par la maladie, a eu une carrière prolifique, accouchant d'une oeuvre dense, aussi bien en quantité que qualité, au graphisme empreint de sensualité et de poésie, une oeuvre au souffle romantique, dramatique et érotique essentiellement. Témoignage.

Vous êtes venue en France dans le cadre du festival d'Angoulême et en tant qu'ayant droit de l'oeuvre de votre père, non ?

Oui, et aussi parce que j'étais curieuse de voir par moi-même ce qu'il en était du marché du manga en France.

Votre père se définissait-il comme un mangaka ou un gekigaka ?

Kazuo KAMIMURA Il était toujours très gêné lorsqu'on parlait de lui comme un mangaka ou un gekigaka, parce que quelle que soit la dénomination, la réalité c'est qu'il n'avait jamais vraiment cherché à faire carrière dans le manga et s'il avait suivi des études d'art dans sa jeunesse, c'était surtout pour devenir illustrateur. Lui-même, au début de sa carrière, ne se posait pas les choses en ces termes, simplement les gens ont commencé à l'appeler mangaka, et ensuite quand le gekiga (ndr : courant né dans les 60's qui prônait un manga plus réaliste, « dramatique ») a pris de l'importance, on l'a qualifié de gekigaka.

Dans la biographie disponible sur le site internet officiel de votre père, il est indiqué qu'il lui était parfois arrivé de dessiner 400 planches en un mois. C'est énorme. Est-ce le chiffre exact ?

Personnellement je n'ai jamais vu mon père travailler donc je ne peux pas directement le confirmer, mais il paraît que c'était effectivement le cas. Ça a d'ailleurs été confirmé par les gens de la maison d'édition qui venaient chercher les planches. Mais il y a en d'autres qui en font plus...

Oui mais ils travaillent également avec des assistants. Est-ce que c'était également le cas pour votre père ?

Oui, il travaillait avec des assistants, dans un studio.

Avez-vous eu l'occasion, quand vous étiez jeune, d'échanger, de discuter avec lui de son travail, ou étiez-vous en dehors de tout ça...?

A la maison il ne parlait jamais de son travail, des ses mangas, puisqu'ils étaient destinés aux adultes. C'était un tabou chez nous.

Et depuis, après vous être intéressée à son travail notamment pour la gestion de ses droits, vous avez rencontré des gens ayant travaillé avec lui, vous avez même lu son travail ?

Oui mais pas si fréquement que ça. Mon père était, il est vrai, reconnu, mais lui ne voulant pas rester limité au milieu des mangakas, il avait des échanges limités avec ces derniers, peu de relations. Et donc moi-même je n'ai pas rencontré énormément de personnes avec qui échanger. Quant à mes lectures de ses mangas, c'est vrai que lorsque j'étais jeune j'ai essayé d'en lire certains, en cachette, mais comme ils étaient destinés aux adultes je ne les comprenait pas très bien, alors j'ai abandonné.

Et maintenant, qu'est-ce que vous inspire son oeuvre ?

Ce n'est pas la première fois qu'on me pose cette question... Il y a effectivement un côté sombre dans les mangas de mon père, et je comprends pourquoi maintenant que je connais l'enfance difficile qu'il a eu. Mais je crois que je comprends moins son oeuvre que ses fans. Mais quand je regarde les planches de mon père, je suis sensible à la force, à l'énergie de son dessin. Et ça me pousse à faire connaître son travail.

Dans ses nombreux mangas, non seulement Lady Snowblood, mais Le Fleuve Shinano ou son grand succès qui l'a révélé au public en 70, Dôse Jidai, il est souvent question de gens ballotés par le destin ou en marge de la société, de femmes en particulier. Vous dites qu'il a eu une enfance difficile, pouvez-vous m'en dire plus ?

Déjà je ne pense pas que mon père désirait véhiculer un message féministe, sociale ou politique quelconque dans ses mangas. Vous savez, il est né quand son père était déjà très âgé, il avait 65 ans et il est donc décédé très tôt dans l'enfance de mon père. Il a donc été élevé par sa jeune mère, seconde femme de son père, et par ses grandes soeurs. Trois femmes qui étaient toutes des hôtesses de bar. Il avait à la fois du rêve et du respect pour les femmes, et en même temps il avait été témoins d'horreurs les concernant. C'est comme s'il avait endossé la sensibilité d'une femme pour exprimer les sentiments des êtres humains...

                        Lady Snowblood vol.1 (ed. Kana) Le fleuve Shinano vol.1 (ed. Asuka) Dôsei Jidai (1973, inédit)

Lady Snowblood a été scénarisé par KOIKE Kazuo, avec qui votre père réalisera un second manga  quelques années plus tard (ndr : Bourbon Keisatsu, 2 vol. en 1978/79, inédits en France). Quel était leur relation de travail du point de vue créatif ? Votre père était-il un « simple » éxécutant graphique ou prenait t-il une part active dans « la mise en scène », le découpage, du récit ?

Il paraît que Mr. KOIKE donnait des indications plutôt précises. C'était lui qui définissait l'histoire, mais c'était mon père qui définissait le mouvement des personnages, le découpage de l'histoire, malgré le fait qu'il avait une formation d'illustrateur et qu'il avait appris le métier de mangaka comme un auto-didacte.

On a donné comme surnom à Mr. KAMIMURA celui de « peintre d’Ukiyoe de l’ère Showa », le rattachant à cette tradition d'estampes populaires datant du 19ème siècle, et il y aussi la dimension érotique de son oeuvre, de son dessin... Ce n'est pas un hasard non ?

Oui, c'est exact. Lorsqu'on évoque les peintres d'estampes en parlant de mon père, il y a la dimension purement graphique, qui se rattache à son style, et aussi le genre particulier des estampes érotiques - « shunga » - qui se rattache à son univers thématique. Il y avait donc un double sens à son surnom.

Combien de mangas a dessiné votre père au cours de carrière, vous en avez une idée ?

A peu près 200...

200 oeuvres – histoires – différentes ?! Plutôt 200 volumes, non...?

Oui, oui, 200 histoires !

Oh mon dieu !

Mais comme il est décédé tôt (ndr : elle sort un catalogue bien épais avec l'ensemble des travaux de son père présentés...) il n'a pas travaillé pendant très longtemps... Et il faut préciser qu'un tiers de ses oeuvres sont des mangas dont il a lui-même écrit l'histoire, seul. Il ne laissait même pas à ses assistants le soin de dessiner des personnages, il définissait lui-même cet aspect, entièrement.

Lady Snowblood a été édité par Kana en France, et Le fleuve Shinano par Asuka. D'autres éditeurs, d'autres titres en perspective pour le marché français ? En plus de Dôse Jidai j'aimerai bien pouvoir lire Maria, un manga fait avant Lady Snwoblood...

Effectivement, pour Le fleuve Shinano c'est l'éditeur français qui m'a contacté. Sinon, d'autres titres devraient paraître l'année prochaîne en France, 3 dont Dôsei Jidai (ndr : 1972/73, 6 vol., qu'on peut traduire par "l'époque où nous vivions ensemble) et Kiyôjin Kankei (ndr : 1973, 4 vol., titre qu'on pourrait traduire par "une relation démoniaque")... Quant au manga Maria (ndr : 1971, 2 vol.), c'est vrai qu'il est beau, avec une histoire intéressante. Je vais essayer de convaincre les éditeurs français pour la parution de ce titre(rires).

Allez, je suis certain qu'il trouvera preneur...

Mais je m'inquiète un peu de la censure éventuelle.

Il ne devrait pas y avoir de problèmes, enfin pour ce que je connais de son oeuvre ça reste de l'érotisme, des scènes sexuelles mais pas du porno, me semble t-il ?

Vous savez il y a parfois des choses maladives – des déviances ? - dans ses histoires.

Sur 200 titres on devrait pouvoir trouver de quoi faire, quoi qu'il en soit. Avez-vous une démarche active pour essayer de « placer » des titres de votre père, en France ou à l'étranger ?

Migiwa KAMIMURA Lady Snowblood a déjà été traduit et édité en plusieurs langues, anglais, allemand... Mais pour ce titre ce sont les éditeurs qui sont venus, maintenant j'essaye de faire moi-même les démarches, surtout auprès des éditeurs français parce que je pressent que l'oeuvre de mon père est plus susceptible de toucher le public français.

Lorsque j'ai vu le film français Betty Blue (ndr : 37°2 le matin, de J-J Beinex, 1986), j'avais trouvé qu'il ressemblait beaucoup à l'univers du manga de mon père, Josei Jidai (1972).

Mr. KAMIMURA a versé dans différents genres, du drame, du chambara, de l'adaptation d'oeuvres littéraires, érotiques... Avait-il des préférences ?

Et bien les mangas d'action ne sont d'abord pas si nombreux que ça dans son travail. Sur l'ensemble de son oeuvre il a plutôt fait des choses qui avaient trait à ses goûts. Par exemple des hommages à des écrivains comme Ichiyô IGUCHI, Katai TAYAMA, Osamu DAZAI, ou encore TANIZAKI (Jun'ichirô). Ou bien en hommage au peintre HOKUSAI. Il a aussi utilisé des personnages qu'il respectait particulièrement.

Il y a eu des adaptations en film ou téléfilm de mangas de votre père dans les années 70, vous les avez vu ?

J'ai vu Dôse Jidai, un petit peu parce que j'étais très jeune. Le film tiré du Fleuve Shinano je ne l'ai jamais vu, parce que je sais que le résultat ne doit pas être terrible (ndr : ces deux films comportent des scènes de nu. Dans le second, le personnage principal, interprété par Kaoru Yumi, y perd sa virginité. Une petite polémique s'en était suivie à l'époque, dans la foulée de l'impact d'un manga comme Dôsei Jidai. Pour l'anecdote, un lien vers une vidéo de la - sympathique - chanson thème du film interprétée sur scène avec en fond un dessin de KAMIMURA, témoignage de l'impact du manga en son temps : www.youtube.com/watch). Comparé aux dessins de mon père ça soutient difficilement la comparaison de toute façon. Les films de Lady Snowblood étaient réussis par contre. Pourquoi ne pas faire des films d'animation plutôt ? Je me pose la question.

Votre père a aussi eu une activité d'illustrateur constante, il y a même un ouvrage d'illustrations érotiques qui est paru cette année au Japon...

Effectivement, il a réalisé de nombreuses illustrations. Il y en a à peu près 650 aujourd'hui.

Un souvenir particulier de votre père, comme ça, de but en blanc ?

Pas de souvenir particulier, si ce n'est qu'il buvait beaucoup. Vous savez, il était rarement à la maison, et puis il fumait beaucoup. Il en est mort d'ailleurs...

 
Propos recueillis par Anton GUZMAN en janvier 2008
Remerciements à SHOKO Takahashi et Sabrina LAMOTTE (Kana).

date
  • octobre 2008
crédits
  • interprète
  • SHOKO Takahashi
  • interviewer
  • Astec
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