Ô temps ! Suspends ton film dans un ascenseur

Autant pour moi. C’est une image. Merci de remettre l’ascenseur en marche, je déteste être coincé entre deux étages.

Une scène dans laquelle intervient un ascenseur - ding ! - se doit de respecter le temps du déplacement d’un étage vers un autre avant d’embrayer avec la suivante. Parce qu’un rythme est imposé, ce passage-là en est rarement raté. Il crée de l’attente, une tension. Il dispose d’une once de mystère. A l’arrivée, bon nombre de scènes cultes ou mémorables se passent dans – ou autour – d’un ascenseur, fantasme qui en appelle bien d'autres.



La beauté de Shinobu se reflète régulièrement dans Patlabor 2. L'exercice du reflet est fréquent dans l'animation de scènes d'ascenseurs  (cf. aussi Akira, un peu plus loin).

Le célèbre fabriquant Otis, filiale de United Technologies Corporation , UTC, est un conglomérat américain basé à Hartford, Connecticut. Tout est dit. Ne nous leurrons pas, les plus célèbres scènes d’ascenseur sont américaines. Brian de Palma en tient le haut du pavé – de la cage, pardon – avec ses pulsions incorruptibles dans l’impasse, ce que se révèle être une cage verticale, à savoir une voie sans issue, intransigeante et parfois sujette à d’étranges caprices. Qu’on y entre ou qu’on en sorte, le mystère reste entier : qu’allons-trouver à l’intérieur ? Qu’est-ce qui nous attend au dehors ? En occultant l’évidence US (Piège de Cristal, The Blues Brothers, Smokin’ Aces…), à quoi ressemble cette composante au sein du cinéma asiatique ?

Au sein ? Il est vrai que l’ascenseur fait parfois office de prison maternelle. Cette envie ou ce besoin d’y pénétrer lié à cette peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas atteindre ou faire atteindre le 7ième ciel comme on arrive au 7ième étage, n’est pas sans rapports avec ceux que l’homme a avec le sexe dit faible. Dans Paprika, Satoshi Kon faisait génialement se promener son protagoniste de souvenirs en souvenirs à l’aide imagée de cette mécanique toute matérielle. L’élément fut d’ailleurs très joliment repris dans le Inception de Christopher Nolan, plus axé encore sur la femme puisque son personnage la fuit en même temps qu’il la cherche ET cherche, aussi, à la conserver, à l'aide de cet ascenseur.


                                                                      
                                                                     Paprika : surtout, éviter le 17ième étage !!



Si l’on reste dans le cadre De Palmesque du thriller on pense tout de suite à Infernal Affairs, dans lequel le personnage d’Anthony Wong use d’une feinte de sioux en entrant dans une cabine blindée de malfrats. Il fait semblant de téléphoner pour donner le change, noyer le poisson. Il y va au culot. Plus c’est gros, plus ça passe ? Pas ici, ça casse, et son personnage termine là violemment son chemin puisque les vilains l’envoient directement au ré de chaussée par la fenêtre du 23ième étage. Pour le ressusciter, les auteurs useront d’une préquelle. Sans ascenseur. Le final du premier opus est également mémorable. On se braque, on se menace, on fuit dans l'ascenseur, on en ressort... On en ressort ? La porte s’ouvre : qui est vivant ? Qui est mort ?... Ce dénouement est depuis entré dans les annales du genre.




Infernal Affairs : à gauche l'insert usuel inévitable de toute scène d'ascenseur ainsi que l'étage concerné, avec en passant une grosse faute de raccord le temps de quelques plans (vérifiez). A droite, Anthony Wong grille son forfait en même temps que sa couverture.

Peut-on dire que lorsqu’on cultive à l’excès des scènes d’ascenseur, on les élève à tort ?

Elevator, c’est très drôle.

Certain à Hong-Kong aiment se servir de cet outil comme d’un élément de relief rigolo histoire de pimenter quelques bastons et autres gunfights. Dans The Big Heat de je ne sais plus quel réalisateur – de mémoire, ils sont nombreux – on se tire dessus le temps d’un p’tit gunfight vertical efficace, lunette de vision nocturne incluse. Sympatoche. Dans Flash Point, Donnie et Xing Yu échangent quelques torgnoles et coups de feu dans cet espace confiné avant d’enchaîner avec une furieuse course poursuite et l'affrontement proprement dit. Le réalisateur Wilson Yip entame sa grosse scène d’action avec un ascenseur en guise d’apéritif avant de se mettre à table en l’explosant avec les semelles énervées de Donnie. Mais de quoi il semelle ??

Dans A toute épreuve, pendant le fameux plan séquence culte, CYF recharge son fusil à pompe dans un ascenseur en attendant que la porte s’ouvre. Il papote bavure avec Tony Leung CW, les portes s’ouvrent enfin, on shoote as usual sur les bad guys ponctuation qui viennent émailler la visite de l’hôpital. Sans ralenti aucun, la présence de l’ascenseur crée ce même résultat d’apesanteur avant la déflagration, du faux calme avant la tempête, de l’attente qui permet de rythmer un gros films d’action qui ne peut pas défourailler décemment tout le temps non plus, soyons sérieux. Parfois, même chez John Woo, on recharge : et les flingues (des protagonistes) et les accus (du spectateur !). Si les scènes d’action sont formidablement lisibles chez Woo, une petite pose dans un ascenseur permet, à défaut de vraiment glorifier les enjeux, d’apprécier à sa juste valeur la déflagration d’un fusil à pompe par la suite.



                                                                                    Blablablablablabla...



                                                                                                 KABLAM !!

Ascenseur pour les chats, faut !

Ces petits félins sont de vrais feignants. Qu’ils prennent l’escalier, comme tout le monde ! Et pour redescendre, comme ils se vantent de savoir toujours retomber sur leurs pattes : qu’ils sautent !

 
                                                                                   
The Eye wide open in the elevator à gauche ; et Dark Water, ou cette sensation étrange que derrière il y a...

C’est que ça peut foutre les bolox un ascenseur : l’inconnu crée la peur. Mais c’est le connu qui marche encore le mieux. Se retrouver coincé dans un ascenseur est une phobie que beaucoup de personnes partagent. Les femmes, surtout. Mettez ensemble dans une cabine une femme et, tant qu’à faire, un fantôme, vous obtenez alors une scène de flippe aisément réussie. A la fois dans The Eye et Dark Water une femme sait que derrière elle, dans la cabine il y a… Brrr, non, taisez-vous, j’en ai la chair de poule rien que d’y penser !                           


Dessine-moi un mouton.

- Tiens, le voilà ton mouton !
- Mais… mais ça n’est pas un mouton, monsieur. C’est un ascenseur !
- Oui. Il est dedans ton mouton. Débrouille-toi avec.

Montons le mouton non dessiné dans l’ascenseur destiné à abriter les personnages dessinés des cinés. Que voyons-nous ? Un mouton. Bon. Faisons sortir la bête, que voyons-nous ? Etonnamment, à part quelques animes qui jouent la carte du stress avec, par exemple, un ascenseur piégé qui descend à toute berzingue dans Cyber City Oedo 001, ailleurs on y papote ou on se tait, point. Si dans Akira le colonel et le savant échangent quelques propos philosophiques entre deux étages, c’est surtout dans les films de Mamoru Oshii qu’on aime à s’y prendre la tête. Un peu comme aux toilettes d’ailleurs : on y a le regard lointain, on pense à tout un tas de trucs, importants ou non, puis on se débarrasse de ses tracas existentiels comme du reste, 21 grammes ou pas. Il en va de même d'un trajet en solo en voiture : on s'y décrotte le nez, on profIte brièvement d'un moment de presque intimité. Et une fois la tâche terminée, on s’en va en passant – et pensant - à tout autre chose. De Patlabor 2 à Innocence, on y entre, les portes se ferment, on parle un peu ou on se tait puis on s’en va. Au milieu d'une ambiance pro active plutôt hypocrite, la pause s'impose. Trois petits tours et puis s’en vont.

 
               Dans Akira, une brève discussion dans un ascenseur est aussi l'occasion de profiter de Néo-Tokyo by night.

 
Major Kusanagi : "Il va falloir booster les implants olfactifs de Batu, il pue le chien mouillé et ne s'en rend même pas compte."
Batu : "Est-ce que j'ai bien pensé à filer ses croquettes au basset ce matin ? "



Togusa : "Je suis sûr que Batu pense encore à son foutu clébard !"
Batu : "Faudra pas que j'oublie d'acheter des croquettes à l'épicerie du coin en sortant".

L'antichambre de l'enfer

Dans Old Boy, un flash back important nait d’un bref temps pendant lequel le bad guy se retrouve seul face à lui-même dans un ascenseur.  Les parois métalliques, comme c’est souvent le cas, lui renvoient son image fantômatique. Il ne supporte pas ses propres démons, ces souvenirs qui le harcèlent et refusent de s’en aller, tournoient tout autour de lui sans cesse. Alors il se suicide. Le sang gicle sur les parois de l’habitacle. Voilà, c’est fini.


                                                      
                                                               Old Boy
, ou La tristesse en circuit fermé.


Dans The Unjust, un autre personnage empli de démons meure violemment dans un ascenseur. En Corée, cet outil semble représenter l’antichambre de l’enfer. Il figure cette solitude que tous les vilains fuient sans cesse parce qu’ils savent que leur propre conscience les pousse vers la disparition, la mort. Cela permet  enfin aux vivants à peu près sains d’esprit de batifoler inconsciemment et, surtout, paisiblement une fois ces parasites hors d’état de nuire. Un réel mal de vivre est palpable dans cette lointaine contrée, non ?

Should we call the ass-censor ?

Alors qu’à HK, on en profite : on nique ! On se cache dans un ascenseur et hop ! On a beau être gros et suer salement : on se tape une jolie pépé dans la cabine ! Les reflets des parois nous (lui, dommage) renvoient cette fois tout plein d’images excitantes. Aaaarghl, le bonheur ! Kent Cheng, dans le Crime Story de Kirk Wong









... ou alors, on se marre. Dans Fight Back To School 3, Stephen Chow conduit un ascenseur avec un levier de vitesse. Quand l’humour est bas de plafond, est-ce que se servir d’un ascenseur aide à palier le 3ième sous-sol ? Mmm…

The KING of The Elevator !!

Soyons sérieux. Parlons peu, parlons bien : il n’y a qu’un « King Of The Elevator » sur terre et il s’appelle Lau Ching-Wan. Développons ? Développons. En deux films seulement, cet interprète qui impressionne, entre autres belles choses, dans le Full Alert de Ringo Lam, démontre que l’homme supplante la machine, qu’un stupide ascenseur ne fait pas le poids face à son charisme naturel qui éclipse à ce point l’objet qu’on peine à voir qu’il existe. Les reflets ? Il s’en cogne et les cogne. Un coup de poing dans la paroi et les voilà déformés. Les états d’âme ? Pour les fiottes. Les fantômes ? Quels fantômes ? A peine entre t'il dans la cabine qu’ils s’en retournent déjà dans leur enfer minable. Lau Ching-Wan est seul dans la cabine ? Des types armés le poursuivent ? Ni une ni deux il reste à l’entrée, bloque la porte et invite ses ennemis à le rejoindre. Ils flippent, ils hésitent. Lui, calme, une main dans la poche, ne se démonte pas « Viens mon gars, viens » qu’il balance l’effronté. Comme si pour aider un coming out il proposait d'abord un p'tit coming in the elevator. The Longest Nite.



- Allez viens ma poule.



- Tu m'fais pas peur !



- Bah viens alors !



- ...


Dans un autre de ses grands films, il se sert presque d’un ascenseur comme d’une salle d’interrogatoire. Il joue de sa grande gueule, fout les foies à un pauvre gusse (Yu Rong-Guang) et tout le monde semble s’écraser autour de lui, même et surtout l’ascenseur. On ne titille pas Lau Ching-Wan, surtout dans un ascenseur, cela relève de la grosse boulette. Big Bullet !




- J'me fous d'ta gueuuuuuuuuuule...



- Qu'ouïe-je ?



- Eh ouais j'me fous d'ta...



- I AM THE KING OF THE ELEVATOR !!

Conclusion : à Hong Kong, la musique d'ascenseur, on l'a pendant tout le film.

… même s’il n’y a pas d’ascenseur dedans. Ce qui est en soi un hommage récurrent à ce magnifique objet chromé fait d’angles droits rassurants. Il est vrai que dans certains films dits de l’âge d’or, lorsque vous fermez les yeux vous pouvez sans trop d’effort, à l'écoute, vous imaginer dans un centre commercial en train de planer entre l’étage des fringues et celui du matériel hi-fi. « Ting badi badoum dam dim pililou… » Je vous laisse trouver vous-même un exemple : ils abondent, James ! Parce que James Bond. Qui est également sujet de sa majesté, même après la rétrocession de 1997 où l’on vit des hongkongais pourtant davantage « sujets » à de majestueuses déprimes.  Une rétrocession peut-elle d’ailleurs être assimilée à un renvoi d’ascenseur ?  Oui, entre la Chine et l’Angleterre, au terme d’un contrat de 50 ans. Dans ce cas, HK fait office d’ascenseur, d’où cette musique prégnante, d’où cette sensation de voir des ascenseurs partout à HK, et par extension toute l’Asie, d’où ce dossier. Tout s’explique.
 
 
 


 
 
 
date
  • juillet 2011
crédits
Films