Interview Kobayashi Masahiro

 

Ce film semble très autobiographique. Il est en effet dédié à votre mère. Etait-ce un projet que vous portiez en vous depuis longtemps?

Le premier scénario a été écrit il y a 15 ans, l'année où ma propre mère est morte. C'était un scénario très simple, pas du tout commercial. L'année dernière, Ken Ogata a été le premier à lire ce scénario, et c'est lui qui m'a vraiment incité à tourner le film. C'est lui qui est à l'origine de la réalisation du film. Je voulais absolument le présenter à Cannes, du coup j'ai eu très peu de temps pour le préparer, pour rassembler des fonds, et j'ai fait un tournage rapide, avec très peu de moyens. Mais je suis très content de l'avoir réalisé.

Ken Ogata est l'acteur des plus grands films de Shohei Imamura, vous lui aviez déjà donné un rôle excellent dans Koroshi (le mystérieux commanditaire des meurtres, ndr), et vous lui offrez un nouveau rôle en or dans L'Homme... Racontez nous comment vous l'avez rencontré et comment votre relation s'est établie...

Je l'ai rencontré au moment de Koroshi. Il avait déjà vu Bootleg Film à Cannes et il n'avait pas aimé. Donc, au début, la relation n'était pas aussi évidente que ça... Mais en travailant sur Koroshi, petit à petit, nous avons appris à nous connaître, et à créer une relation assez intime. Et nous sommes finalement devenus très amis. Et une fois le tournage terminé, Monsieur Ogata m'a téléphoné pour me dire: "Il faut absolument que tu fasses un autre film, et il faut absolument qu'il soit présenté à Cannes l'année prochaine!" (rires) Alors, nous avons beaucoup discuté de ce nouveau film et j'ai d'ailleurs utilisé dans L'Homme qui Marche... certaines répliques tenues par Ken Ogata dans nos discussions.

Jusqu'à quel point le premier scénario écrit il y a 15 ans a t-il été remanié?

Le premier scénario était situé dans une quartier populaire de Tokyo, Shitamachi (le quartier ou Kitano a grandi, ndr) Le premier changement est donc un changement de lieu, puisque je suis passé de Tokyo à Hokkaido. Le deuxième changement, c'est le fait que la copine du personnage du frère aîné, Ryoishi, est enceinte, est ça c'est lié à ma vie personnelle, puisque ma femme est enceinte et va accoucher en août (sourire), et ensuite le troisième changement, c'est qu'à la place de l'élevage de poissons, c'était un hopital où, tous les jours, le personage de Ken Ogata se rendait pour faire un examen médical. En fait, il n'était pas forcément malade, mais il était hypocondriaque.

De quelle manière aviez-vous envie de filmer les acteurs cette fois-ci?

J'avais envie de trouver un nouveau style par rapport à Bootleg Film et Koroshi. J'ai fait des plans larges, des panoramiques, et des gros plans, et j'ai voulu justement travailler le contraste entre les deux. Il y a une certaine influence de la Nouvelle Vague: Truffaut, Godard. Les plans larges sont plus dramatiques, les gros plans à la main ont un côté un peu plus documentaire.

En voyant les scènes où Ken Ogata porte une jeune femme sur son dos, c'est impossible de ne pas penser à La Ballade de Narayama. S'agissaient-il de clins d'oeil amoureux à ce film?

Ces scènes n'étaient pas dans le scénario initial. C'est pendant le tournage que je les ai proposées à Ken ogata. Il m'a demandé: "Mais pourquoi?" Et je lui ai dit: "Eh bien, ce serait pour parodier un peu La Ballade de Narayama..." Et en fait, ça lui a beaucoup plu! (rires) La parodie se trouve aussi dans le fait que la deuxième fois ce n'est pas Ogata qui porte la jeune femme, mais l'inverse.

Toujours en référence à Imamura, on pourrait dire que la neige de L'Homme... est beaucoup plus imamurienne que celle de Koroshi...

La neige est un élément qui collabore au tournage, à la réalisation de mes films. Au moment de Koroshi, il a neigé très, très fort, le tournage était très difficile. Cela a peut-être joué sur la manière dont le film a été réalisé. Alors que pour L'Homme..., il n'a pas neigé autant, les conditions climatiques étaient plus clémentes, et donc le tournage plus facile à faire. Cela a du jouer aussi sur l'ambiance du film.

Qu'est ce qui vous pousse à tourner à Hokkaido?

Tokyo est une ville tellement dense, il est très difficile de filmer une personne isolée, des choses bien précises, alors j'ai voulu aller dans un endroit beaucoup plus désert, esthétiquement minimaliste. Seulement voilà, Sapporo aussi est une grande ville, c'est pourquoi j'ai choisi une ville beaucoup plus petite, désertique (Mashike), pour pouvoir y mettre tout ce que que je voulais, et en particulier dans la neige, je peux mettre les éléments que je veux. C'est comme un échiquier blanc sur lequel je mets les pièces de mon choix.

Les grandes scènes de dialogue en plan large ont-elles été improvisées, ou étaient-elles très écrites?

Tous les dialogues ont été écrits et bien préparés à l'avance. Il n'y a eu aucune improvisation.

Le début du film fait très film muet, avec une musique entraînante, des cartons sous forme de senryû (haiku populaires)...

J'aime beaucoup les premiers films d'Hitchock, et les films muets en général. Donc j'ai effectivement eu envie de faire un film dans ce style là.

Avez-vous écrits certains des senryû?

C'est Ken Ogata lui-même qui les a inventés et écrits de sa propre main pendant le tournage. Ken Ogata a voulu exprimer ses propres sentiments à travers les senryû, et au début il a proposé de les dire devant la caméra. Mais ensuite j'ai eu l'idée de les mettre sous forme de "cartons".

Est-ce que certaines scènes de dispute familiale ont été un peu dures à tourner, en raison de leur aspect autobiographique?

Ce qui s'est passé, c'est qu'au début du tournage, Ken Ogata avait une idée très précise du père et de la manière dont il voulait le jouer. Au fur et à mesure du tournage, je réalisais que l'acteur qui joue le rôle du fils aîné, Ryoichi, jouait vraiment moi-même au même âge. Et au fur et à mesure que Ken Ogata et Teruyuki Kagawa jouaient ensemble les scènes de conflit, à la vue de ces scènes, je me remémorais ce que j'avais moi-même vécu à l'âge de 15 ans et c'est à partir de là que le film a été assez douloureux pour moi émotionnellement. Ken Ogata ressemblait de plus en plus à mon propre père... J'avais l'impression de retourner 15 ans en arrière.

Comment vous sentez-vous après avoir tourné un tel film? Cela a t-il eu comme un effet thérapeutique? Ou faut-il relativiser en se disant que ce n'est jamais qu'un film?

Maintenant, je suis en train de penser à faire un film sur ce qui m'est arrivé avant, ou ce qui m'arrivera dans 15 ans. Je veux mettre de côté cette expérience maintenant. Pas forcément oublier, mais raconter la suite. Que devient Ryoichi après ce qui s'est passé. Si ce film marche bien, j'aimerais bien faire la suite. Pourquoi pas une trilogie? (rires)

Entre Closing Time et ce film, il y a une prise de maturité incroyable, et plus la maturité vient, plus vos films sont autobiographiques... En êtes-vous conscient?

En fait, je trouve que L'Homme... est très proche de Closing Time, et Koroshi très proche de Bootleg. Avec L'Homme..., je retrouve en fait ce que j'ai travaillé dans Closing Time. Même si l'idée de déchéance qui était dans Closing Time est moins présente. L'Homme... est un peu plus optimiste, et ça c'est sans doute parce que j'ai pris de l'âge et eu des expériences qui m'ont donné une certaine sagesse.

Quels sont les réalisateurs japonais contemporains que vous admirez le plus?

Hmmm (il réfléchit) Nobuhiro Suwa. Il n'a rien à voir avec moi, nos deux mondes sont très différents, mais je m'intéresse beaucoup à l'atmosphère et au monde de ses films.

Que pensez-vous de Takeshi Kitano?

J'aime beaucoup ses films, il ne montre pas directement les choses, il les évoque par petites parties, par divers biais. Et je pense que Nobuhiro Suwa comme Takeshi Kitano ont vraiment des mondes très personnels, et c'est ça que j'aime vraiment chez ces deux réalisateurs. Ils réussissent à montrer leur propre monde.

Avez vous vu Audition de Miike Takashi, dans lequel votre ami Ryo Ishibashi se fait couper en morceaux à la fin? Et si oui, qu'en avez-vous pensé?

Ce que j'en ai pensé? (il prend un air incertain) Oooops.... (rires) Vous avez aimé Audition? Moi, pas beaucoup. C'est une imitation de Misery. Ce n'est pas une histoire originale.

Quelle sorte d'acteur est Ryo Ishibashi?

Il est très indépendant, pendant le tournage il travaille beaucoup tout seul, il écrit. Moi et Ken Ogata, on riait et on discutait tout le temps. (rires) Mais Ryo est très sérieux quand il travaille. Ryo est autonome, Ogata est plutôt dans la communication.

Quels sortes de films aimeriez-vous réaliser à l'avenir?

J'aimerais bien faire des films de suspense comme ceux d'Hitchcock et des comédies. J'adore Les Ripoux de Claude Zidi! Je m'en souviens encore (il chantonne le thème du film)

Comment s'effectue la distribution de vos films?

Ca change en fonction de chaque film. Koroshi a été distribué dans dix salles réparties dans tout le Japon, mais n'a pas eu de succès. Pour L'Homme..., je suis en train de voir. J'aimerais qu'il soit distribué dans tout le pays. Ce que j'ai très envie de faire, c'est de le présenter à Mashike, la ville où il a été tourné. Il n'y pas de cinéma dans cette ville, mais on va faire ça de manière un peu informelle, on va improviser un écran, et on va faire venir tout le monde.

Que ressentez vous par rapport à la présence d'Imamura dans la compétition cannoise cette année?

J'aurais bien aimé être moi aussi choisi en compétition officielle... (rires) Ken Ogata aurait ainsi eu beaucoup de raisons de venir à Cannes, et il serait venu avec moi. J'aurais aimé venir avec lui cette année. C'est dommage. (en français) Toujours dommage...

date
  • mai 2001
crédits
Interviews