Alain | 4.25 | |
Ghost Dog | 4 | C'est donc ça la mort ? |
Ordell Robbie | 3.75 | Second essai bien plus convaincant |
Sonatine | 5 | Une Expérience Unique |
Ancien documentariste, le jeune japonais KOREEDA Hirokazu (38 ans) signe pour son troisième long-métrage de fiction une œuvre fort originale, et même assez troublante. J'avais déjà vu son film précédent, le très contemplatif et très soporifique Maborosi, mais j'avoue que je ne m'attendais pas à ce style de mise en scène de sa part dans After Life. Ce sont apparemment ses instincts primaires de documentariste qui ont refait surface : il filme en 16 mm ou en 8mm, image sale et caméra à l'épaule, et propose une suite d'interviews de ses 22 morts-vivants en sursis au lieu d'un récit bien structuré, ce qui fait tendre l'œuvre vers le reportage, et ce qui le rend d'autant plus touchant.
Outre l'aspect formel, c'est bien l'aspect thématique qui retiendra et captivera les gens devant leur écran. Cette histoire de purgatoire où un petit nombre de personnes récemment décédées est rassemblé pour tenter de se remémorer la vie passée afin de choisir un souvenir (un seul et unique) qu'ils seront autorisés à emporter dans l'au-delà invite en effet chacun à se poser la même question sur son passé et à remettre en cause le sens propre de sa vie (ne doit-on la considérer que comme une machine à créer des souvenirs en sachant qu'un seul finira par la représenter, ce qui est quand même vachement frustrant ?).
On appréciera également le regard amer et moqueur de Kore-Eda sur ce purgatoire (on ne peut trouver que pathétique voire ridicule toute cette mascarade avec reconstitution de souvenirs dans des studios minables installés dans un établissement désaffecté et décrépi, ou encore le défilé derrière un orchestre lors de la cérémonie d'adieu…) ainsi que le parallèle qui est fait avec l'industrie du 7ème Art, qui reconstitue la vie tant bien que mal alors que cela ne remplacera jamais la réalité.
Pour le reste, je suis plutôt d'accord avec Sonatine même si je ne suis pas aussi enthousiaste. After Life est un excellent film, très abordable par un large public, mais il est un peu trop long à mon goût et pas assez émouvant.
Avec After Life, Koreeda a le mérite d'essayer d'échapper aux classifications abusives (cinéaste contemplatif héritier de toute une tradition du cinéma japonais...) qui ont suivi son explosion mondiale au niveau cinéphile. Les caméras portées y soulignent les légères montées de tension du film : elles y contrastent de façon bienvenue avec un film certes plutôt contemplatif dans sa réalisation, mais un peu mieux réglé rythmiquement que le précédent. La caméra s'est rapprochée des acteurs et le cinéaste a abandonné ses choix de photographie binaires (sur ou sous-exposition) ce qui fait qu'on se sent un peu plus concerné émotionnellement par le récit. Pour ce qui est du scénario, il présente le même risque que celui de Maborosi, à savoir que la répétition des entretiens et le dispositif risquent de faire basculer le film dans un côté mécanique.
Cet aspect présent ici est heureusement contrecarré par d'excellentes performances d'acteurs, notamment un Terajima Susumu en grande forme, des ruptures rythimiques crées par des passages brusques d'un plan à un autre qui dynamisent les entretiens ainsi que quelques petits coups de théâtre. Les entretiens permettent un commentaire sur toute l'histoire du Japon (américanisation, souffrances de la seconde guerre mondiale) comme sur l'intimité des personnages (mariages arrangés, usure du couple, insouciance des jeunes années). Mais leur accumulation nuit au rythme global de l'oeuvre et occasionne également quelques longueurs. Quant à la seconde partie du film, elle file d'une façon trop évidente la métaphore du cinématographe impuissant à restituer la réalité (les reconstitutions de souvenirs dans un studio miteux).
S'il est bien mieux découpé que Maborosi (et fait plutôt partie du haut du panier du cinéma d'auteur mondial), After Life n'est néanmoins pas sufisamment réglé de ce point de vue (trop de scènes étirées inutilement) pour emporter totalement le morceau malgré ses défauts. Car s'il est plutôt touchant, il reste quand même en retrait par rapport au potentiel émotionnel de son sujet et son réglage rythmique y est pour beaucoup. After Life voit malgré tout Koreeda creuser sa thématique sur la difficulté d'être en paix avec les morts et témoigne de la grande ambition de la jeune garde du cinéma d'auteur japonais.
En 1995, Kore Eda signait un film fascinant Maborosi qui révéla, aux yeux de le critique internationale, un nouvel auteur du cinéma contemporain japonais . Quelques années plus tard (en 1999), il revient en force avec un film surprenant qui ne peut laisser personne indifférent. Ce film se nomme After Life, et raconte sur la durée d’une semaine, la vie quotidienne dans une résidence qui accueille les morts ou il préparent leur « dernier voyage ». Orientés par des guides, les personnes décédés devront alors choisir dans leur passé, un seul souvenir, le plus marquant de leurs vie. Le film s’attardera donc sur ces guides spéciaux (au nombre de cinq) et sur leurs rencontre avec les quelques morts dont ils ont la charge.
Découpé en sept jours, le récit d’ After Life est délibérément linéaire pour mieux capter l’atmosphère et pour mieux cerner ses personnages. Chaque jour est lui même divisé en plusieurs actes qui correspondent aux divers entretiens situés dans cette énigmatique demeure. Le lieu est un espace clôt, qui pourtant ne donne jamais l’impression d’être enfermé et par conséquent oppressant. C’est même tout le contraire qui se produit, cet « havre de paix » permet tous les rêves possible et constitue d’ailleurs la thématique centrale de l’histoire. Chaque mort doit en effet choisir un rêve, le plus marquant de son existence, qui sera ensuite, au terme du séjour, recrée le plus fidèlement possible par ces « anges ».
La première partie du film va donc se focaliser sur le choix de chaque décédé, sur ce rêve qu’il veulent emmener avec eux pour l’éternité. Et les entretiens qui vont suivre sont tous d’une originalité sans précédent. Tout d’abord Mochizuki (interprété par le jeune acteur Arata, qui fait ici ses débuts) et un vieil homme qui ne parvient pas à choisir un seul de ses souvenir, la touchante histoire de cet homme fait directement référence au grand père du réalisateur, qui à l’époque souffrait de la maladie d’Alzaimer. Selon Kore Eda, c’est son propre souvenir de son grand père qui est à l’origine de ce film, soulignant d’avantage l’importance que peut susciter ce film. Autre entretien marquant de ce film, celui de Susumu Terajima (acteur que l’on connaît pour ses rôles dans les films de "Beat") et d’un jeune garçon qui refuse, par principe, de choisir un de ses souvenirs.
Kore Eda explore différent thème dans ce film. Premièrement, il dresse un portrait extraordinaire des Japonais qui ont vécus la seconde guerre mondial et donc les souvenirs amères qu’elle a provoquée. C’est aussi un film sur la maturité, en effet chaque guide ont aussi été amenés à choisir un souvenir, mais sans succès. L’histoire voudra que certains guides puissent refaire ce choix. Et surtout After Life est un formidable hymne à la vie et à l’amitié, la relation de Mochizuki et de Shiori (une jeune fille de 18 ans) est très révélateur, et on se souviendra longtemps de ce magnifique plan ou Mochizuki voit pour la derrière fois tout ses collègues de travail.
Techniquement parlant, la mis en scène de Kore Eda est exemplaire de sobriété et n'a recours à aucun artifice quel qu’il soit, du début à la fin, tout se déroule dans une fluidité et dans une harmonie qui renforce l’ambiance apaisante du récit, et la rend palpable à chaque instant du film. Pour un troisième film (après Without Memories et Maborosi), le metteur en scène fait preuve d’une étonnante maturité qu’on ne peut que saluer. Quant à la photographie, Kore Eda a fait appel à deux photographes de renom, Sukita Masayoshi (qui a déjà collaboré avec Jim Jarmush pour son film Mystery Train) et Yamazaki Yutaka (connu pour avoir réalisés plus d’une centaine de documentaires). Tout deux, ont mis au point les scènes de souvenirs et la partie du film consacrée à la reconstitution des rêves.
Lorsqu’un film comme After Life réunit autant de qualités, on obtient un chef d’œuvre. Si je devais être amené à choisir (comme ces morts) un de mes souvenirs de cinéphile, l’émotion que m’a fait ressentir After Life ferait sans doute partie de mes choix. Ce film était tout simplement nécessaire.