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L' Ange Ivre

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les avis de Cinemasie

3 critiques: 3.92/5

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22 critiques: 4.08/5



Ghost Dog 3.25 Yakusa blues...
Ordell Robbie 4.25 l'explosion d'un grand cinéaste
Xavier Chanoine 4.25 Un ange est passé ce soir. Il était ivre.
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Yakusa blues...

L’Ange Ivre est la première rencontre à l’écran entre 2 monstres du cinéma japonais, de surcroît extrêmement fidèles à Kurosawa: 23 films en commun pour Shimura Takashi, et 16 films pour Mifune Toshiro! Tous deux sont impeccables dans leur rôles d’alcooliques déprimés occupant deux fonctions diamétralement opposées : le premier interprète un médecin bourru, le Docteur Sanada, qui commence à avoir de la bouteille (jeu de mots pourri j’en conviens), mais qui est naturellement généreux et compatissant envers les malheurs et les paradoxes de l’espèce humaine. Il accepte de prendre sous son aile Matsunaga, un truand qui a profité de l’incarcération de son patron pour prendre du volume, bien que son volume corporel ne cesse ne diminuer du fait d’une tuberculose coriace ne voulant pas le lâcher. Dans cette composition difficile d’un gangster malade, Mifune fait vrombir sa voix grave et lourde avec talent, et son apparence très pâle, sa gestuelle et sa coiffure gominée font penser à un acteur provenant d’un vieux film muet surréaliste.

Kurosawa excelle à décrire la bonté de son médecin, énervé par l’attitude bornée de son patient qui refuse de se soigner et agonise lentement, mais incapable de l’abandonner dans une épreuve aussi difficile, dût-il se confronter aux yakusa entourant le truand mourant. Il se rapproche ainsi de Barberousse, immense film sur la médecine, mais livre en même temps une radiographie du Japon au lendemain de la guerre et de l’apocalypse nucléaire (l’alcool coule à flot, la déprime est sur tous les visages, l’eau croupie investit les rues, et les maladies avec…), choix qui fait également penser à un film comme Chien Enragé, tourné l’année suivante, dont on retrouve le rythme et le style. Au-delà de ce portrait brossé en arrière-plan, on peut aussi lire en filigrane une réflexion sur l’attitude du gouvernement japonais lors de la Seconde Guerre Mondiale qui, par excès d’orgueil, a préféré le suicide collectif à l’abdication, lorsque Sanada affirme en conclusion que la volonté est la clef de toutes les souffrances humaines



17 janvier 2002
par Ghost Dog




l'explosion d'un grand cinéaste

D'abord, on ne peut passer sous silence le fait que l'Ange Ivre, en plus d'etre la première vraie réussite majeure de Kurosawa, révèle deux acteurs énormes de l'histoire du cinéma japonais: Toshiro Mifune et Takashi Shimura. Car voir Mifune dans l'Ange Ivre, c'est un peu comme voir pour la première fois Gabin ou Bogart. Car s'il y a une chose que Mifune fait magnifiquement durant tout le début du film, c'est savoir prendre la pose, se tenir avec glamour, allumer une cigarette avec classe. En bref, un très grand acteur et un monstre de charisme (Mifune crève l'écran y compris dans les scènes où il est en pleine déchéance). L'autre révélation est Shimura qui incarnera l'austérité, l'expérience dans le film mais aussi dans toute la filmographie à venir de Kurosawa. Et comment parler d'un film de Kurosawa sans parler de sa scène d'ouverture presque toujours soufflante? Ici, la caméra part d'un mendiant jouant de la guitare pour se fixer sur des marais avec la meme ardeur qu'elle fixera le soleil dans Rashomon. La stagnation de l'eau, son pourrissement est ainsi directement posée comme métaphore de la situation du Japon d'après 45 et le marais sera le point où la caméra reviendra systématiquement durant tout le film. Mais comme si cela ne suffisait pas, Kurosawa nous gratifie d'une scène où Shimura retire une balle de la main d'un Mifune qui nous rappelle que Chow Yun Fat n'a pas inventé les grimaces de supplicié. La scène pose bien la confrontation entre le cartésianisme de Shimura et le bloc de rage et d'action physique incarné par Mifune. Tout le film va etre rythmé par leur tension et leurs rapports de force et marquer par sa grande violence brute traitée sans fioritures par la mise en scène de Kurosawa.

Durant la première partie évoquant le personnage de Matsunaga du temps de sa superbe, Kurosawa rend compte du désir d'évasion de la jeunesse japonaise qui succombe aux rythmes occidentaux pour oublier la misère environnante et les scènes de danse sont filmées avec un vrai sens des corps. Le film contient des idées de scène soufflantes: un air de guitare qui annonce une sortie de prison, Matsunaga se bagarrant dans une flaque de peinture, son ex-fiancée venant le revoir durant sa déchéance et exhibant sa vraie nature de femme entretenue et itéréssée, l'intrusion provocatrice de Matsunaga dans le salon de son ancien parrain, Matsunaga revant qu'il ouvre un cercueil et y trouve son double alcoolique et cancéreux, Sanada venant donner des leçons de santé à Mifune tout en demandant sa dose d'alcool. Car si Sanada a envie de l'aider, c'est parce qu'il voit en lui un double plus jeune qui ne serait pas sorti du mauvais chemin contrairement à lui et qu'il veut aider. Son personnage de médecin dur et austère mais juste annonce Barberousse. Si le destin de Matsunaga sera tragique (déchéance, amis d'hier lui tournant le dos mais incapacité à échapper à sa condition de gangster meme par l'amour), le médecin aura au moins permis à une jeune fille de 17 ans de surnager grace à la motivation des études. Kurosawa montre ainsi quelques personnes se relever au milieu du chaos d'un Japon miséreux d'après-guerre gangréné par les yakuzas.

Et le mélange polar/cinéma social/acteurs de charisme/direction d'acteurs très théatrale du film en fait un superbe pendant nippon des grandes réussites du cinéma français de genre des années 30/40. Kurosawa s'installait sur des cimes artistiques qu'il allait occuper durant toutes les années qui suivirent.



06 avril 2002
par Ordell Robbie




Un ange est passé ce soir. Il était ivre.

Premier vrai grand film de Kurosawa Akira, L'ange ivre est une petite merveille jusque là inédite chez nous, qui dépeint un constat alarmant : celui d'un japon d'après-guerre réduit à l'état de misère, confronté à la corruption, la maladie et la mafia. L'ange ivre est pour plusieurs raisons le premier grand classique définitif du maître dans la mesure où il adopte pour la première fois un ton véritablement personnel, loin de ses premiers films de commande. C'est aussi la première confrontation d'un duo légendaire entre l'immense Shimura Takashi et le "petit dernier", le presque inconnu Mifune Toshirô.

C'est durant la nuit que le docteur Sanada reçoit la visite d'un homme dénommé Matsunaga, venu pour soigner une blessure à la main. Le jeune homme lui explique que sa plaie est due à une simple bagarre, excuse contredite quelques minutes plus tard avec la découverte d'une balle dans cette même plaie. Intrigué et douteux, Sanada décide d'ausculter plus profondément le petit caïd afin de vérifier si il ne couvre pas une pathologie plus grave. Une fois sa main soignée, Matsunaga met les voiles, sachant pertinemment qu'il n'a rien de grave malgré les craintes du médecin. Décidé de ne pas en finir avec Matsunaga, le médecin projette de le suivre de plus prêt.

Bien que la seconde guerre mondiale soit finie, le Japon n'est pas totalement rétablit. Confirmation dès les premiers instants du métrage, où Kurosawa cadre de manière aléatoire ce qui ressemble à un village souillé par une immense marre de boue immonde, entourée de petits lotis sommaires, de paumés désabusés (l'homme à la guitare) et d'alcooliques notoires. Une ambiance cauchemardesque qui ne sera pas étudiée qu'ici, puisqu'on la retrouvera dans ses futurs polars (notamment son prochain film Chien Enragé) avec la descente dans des quartiers lugubres où il ne fait pas bon d'y vivre, véritable refuge de la misère humaine. Il subsiste tout de même des hommes bons, avec le docteur Sanada (interprété par Shimura Takashi), défenseur de la vie et du coeur, médecin mais surtout Homme. Tous ceux qui étudient un peu l'univers de Kurosawa connaissent pertinemment l'humanisme de ses hommes, prêt à tout pour aider son prochain qu'il soit bon ou mauvais. L'ange ivre dont il est question n'est pas forcément celui qu'on pense. On peut très bien penser qu'il s'agit de Sanada, puisque défenseur des vies et alcoolique à ses heures. De même que Matsunaga, ivre ça c'est sûr, mais pas forcément ange. Gueule d'ange oui, coeur d'ange un peu moins. C'est d'ailleurs tout le paradoxe du film de Kurosawa qui ne prend pas forcément partit pour l'uns des deux, chacun ayant ses qualités et défauts, métaphore appuyée que l'on retrouvera dans pratiquement tous les films du maître jusqu'à Barberousse.

Drôlement triste (l'état grave de Matsunaga), tristement drôle (son côté pathétique), L'ange ivre est un formidable plaidoyer sur la vie, comme le sera Vivre quatre ans plus tard. Mifune incarne un personnage dépassé préférant ingurgiter whisky sur whisky plutôt que de prendre conscience de son état alarmant malgré les dires du médecin Sanada. Qu'importe de mourir d'une maladie puisque comme il le dit si bien, il mourra un jour ou l'autre.

Dans le fond, il y a bien une part de bonté chez Matsunaga, motivé d'en finir avec cette maladie contractée suite à son alcoolisme. L'homme motivé est l'ange, l'alcoolique est son démon, une symbolique que l'on connaît tous (ange et démon) qui est vérifiée ici même au travers d'une séquence absolument incroyable où le côté bon de Matsunaga, au bord d'une plage, ouvre un cercueil renfermant son "mauvais" qui ne tardera pas à en sortir pour le poursuivre. Une image sidérante évoquant la tentation de retoucher à l'alcool et de retomber ainsi dans les tréfonds de la maladie réduisant encore plus son espérance de vie. Un constat vérifié plus d'une fois, si fort que l'on décèle sans difficulté le changement physique de ce dernier, se « zombifiant » à mesure que le temps avance. Kurosawa est un homme bon, mais n'a pas de pitié pour ceux qui ne veulent rien faire pour préserver leur chance de vivre, surtout lorsque l'entourage (ici le docteur Sanada) fait tout son possible pour l'aider à se débarrasser de la vermine. Une vermine aussi bien physique (la tuberculose) que sociale (les yakuza), puisque Matsunaga est un yakuza émérite et réputé.

Il y a tant de choses à dire sur cet ange ivre, aussi bien dans le fond que la forme. Il représente peut être à mes yeux le premier grand chef d'oeuvre du sensei puisqu'on y trouve cette thématique si chère au maître (la vie, la bonté des hommes, l'espoir) et surtout, ce véritable sens de la mise en scène. On y trouve d'ailleurs trois des plus belles séquences jamais vues chez Kurosawa, comme le rêve au bord de la mer confrontant le bon Matsunaga au mauvais, l'errance de ce dernier sous la pluie après s'être confronté à Sanada, ou bien cet affrontement final avec le boss Okata commençant par un terrifiant plan séquence et se terminant dans un bain de peinture (à la manière du duel final de Chien Enragé, où les protagonistes ne font qu'un avec le décor). Des scènes remarquables, mettant en avant l'interprétation extraordinaire de Mifune Toshirô pour son premier rôle chez Kurosawa, à la fois beau et emprunt d'une férocité à toute épreuve, se réduisant peu à peu à un cadavre ambulant au fur et à mesure que la maladie prend le dessus. N'oublions pas Shimura Takashi, particulièrement en forme dans la peau d'un médecin grognon et courageux, plus à l'image du Barberousse que du Watanabe de Vivre, de même que l'ensemble du cast allant du boss Yakuza, à l'assistante de Sanada et au joueur de "mandoline". Un chef d'oeuvre d'une beauté à s'en décrocher la mâchoire, à la fois drôle et touchant, tout en étant particulièrement virulent dans sa critique sociale. Déjà du grand Kurosawa.



01 novembre 2006
par Xavier Chanoine


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