Interview Lee Hwa-si

Dans le cadre de la rétrospective de l’œuvre de Kim Ki-young à la Cinémathèque Française, Aurélien a pu s'entretenir avec Lee Hwa-si, actrice fétiche du réalisateur. Une rencontre des plus intéressantes où l'actrice, au regard toujours aussi troublant, revient sur sa courte carrière dans les années 70, sous le régime du dictateur Park Cheung-hee.

Entretien avec Lee Hwa-si

Tout d’abord, pourriez-vous nous expliquer comment vous êtes arrivée au cinéma et revenir sur votre rencontre avec Kim Ki-young ?

Quand j’étais petite, j’habitais à la campagne. Régulièrement, des projections étaient organisées dans les villages, et c’est vers l’âge de 9 ou 10 ans que j’ai vu mon premier film. Cela m’a donné envie de devenir actrice, d’être quelqu’un que le public admire. Quand j’étais à l’université, on me faisait souvent des commentaires au sujet de mes yeux, on me disait que j’avais de très beaux yeux, que l’on me remarquait grâce à eux. Je me suis donc présentée à un concours où l’on cherchait quelqu’un ayant de jolis yeux. Cela n’a pas abouti. Je cherchais par ailleurs à être prise en tant qu’actrice, et je me suis faite remarquer par le directeur d’un institut d’acteurs. Kim Ki-young cherchait justement une actrice pour le film Ban Gum-yon. J’ai donc été présentée par le directeur de cet institut, et retenue pour le rôle principal du film de Kim Ki-young.

Entre 1974 et 1980, vous avez tourné dans cinq films de Kim Ki-young. Pourriez-vous nous parler de l’ambiance de tournage, de ses méthodes, de ce qui vous a marqué ?

Kim Ki-young ne donnait jamais de script lors du tournage. Il faisait venir les acteurs sur le plateau et donnait les instructions au fur et à mesure de la journée. La compréhension entre le réalisateur et les différents acteurs était donc extrêmement importante. Par ailleurs, Kim Ki-young n’appréciait pas que les actrices se comportent en poupées, mettent trop en avant leur beauté, il détestait ce genre de jeu. C’est pourquoi il insistait pour que les femmes se conduisent de manière plus forte et soient plus imposantes.

Que retenez-vous de cette période, de 1974 à 1980, dans votre travail avec Kim Ki-young et dans la société coréenne de cette époque ?

Dans les années 70, la Corée était sous un régime militaire, le dictateur Park Cheung-hee était au pouvoir. Tous les films ont été soumis à un contrôle strict, à une censure très sévère. Le travail du réalisateur se retrouvait donc assez limité. Cela n’a pas empêché Kim Ki-young de tourner tout ce qu’il souhaitait. Mais il y avait ensuite beaucoup de scènes censurées lors de la sortie de ses films. Toutefois, cela ne l’a pas empêché de faire son travail de réalisateur, même s’il y avait ensuite un contrôle très sévère en dehors du plateau. Par ailleurs, il y a quelque chose qui m’a beaucoup frustrée. Les films de Kim Ki-young ont été considérés comme des œuvres cultes et n’ont pas vraiment rencontré le succès auprès du grand public. En plus de leur relatif échec auprès du grand public, ces films avaient été censurés et étaient donc très différents de ce qui était prévu à l’origine. En tant qu’actrice, c’est quelque chose que j’ai trouvé très frustrant. Par contre, en 1977 est sorti le film L’Ile d’I-eoh, qui n’a pas rencontré le succès auprès du grand public, mais que de nombreux spécialistes du cinéma ont beaucoup aimé. J’ai obtenu en 1977 le prix du meilleur espoir féminin au festival organisé par le journal quotidien de Pusan. Quand j’y repense, j’avais une vingtaine d’années, je travaillais en tant qu’actrice. Mes souvenirs concernent donc principalement mon travail. Je me souviens que j’étais très partagée entre ce que je voulais faire et ce qu’il me semblait judicieux de faire. C’est une époque où je réfléchissais beaucoup, où je luttais contre moi-même. C’est certainement ce qui m’a valu d’acquérir cette réputation d’actrice compliquée. Aux yeux des autres, je n’étais pas bavarde et je réfléchissais trop. En tout cas, c’était pour moi une époque de conflit avec moi-même, une époque de maturation, de réflexion.

Dans L'Amour du Lien du Sang, vous incarnez un personnage extrêmement fort, avec une certaine froideur. On remarque en effet votre regard. Et dans Ban Gum-yon, vous êtes à nouveau pilier du récit, mais vous êtes beaucoup plus passionnée. Ce sont donc des personnages forts, mais très différents. Pouvez-vous revenir sur la façon dont vous abordiez vos rôles, sur la façon dont vous les travailliez ?

Dans L'Amour du Lien du Sang, je jouais une étudiante faisant partie d’une organisation communiste installée au Japon. L’idéologie qui menait le film était donc le communisme. En Corée, les étudiants qui sont en tête de mouvements progressistes sont des jeunes gens qui gardent la tête froide, qui regardent la réalité de manière objective. A l’époque, j’ai pu entrer assez facilement dans le rôle, jouer cette étudiante, ce personnage assez froid. Par contre, pour ce qui est de Ban Gum-yon, il s’agit d’une histoire d’amour, avec beaucoup de passion, beaucoup de concurrence entre les concubines… Je m’identifiais assez au personnage, ce qui m’a permis de mieux entrer dans le rôle. Mais la raison pour laquelle j’ai mis tant de passion dans mon interprétation, c’est que Ban Gum-yon était mon premier film, celui avec lequel j’ai débuté. Ce film est sorti assez tardivement, pour des raisons de censure et beaucoup d’autres problèmes, mais c’est celui dans lequel j’ai joué pour la première fois. J’avais donc placé beaucoup d’espoirs dans ce film. C’est pourquoi j’y ai mis tant de passion et tant d’amour. C’est comme cela qu’il m’a été facile d’incarner un rôle plus chaleureux.

Concernant Ban Gum-yon, le film a été censuré et a eu d’importantes conséquences sur votre carrière. Pouvez-vous revenir sur les raisons de cette censure et l’impact qu’elle a eu sur votre carrière ?

Au moment de la sortie de Ban Gum-yon en Corée, le film Macadam Cowboy de John Schlesinger est sorti sur les écrans. Cela n'a rien d'officiel, mais il a été dit que la fille du président avait vu le film, qui traite de la prostitution masculine, et qu'elle avait été très choquée. Elle en aurait parlé à son père, qui était le dictateur Park. On ne pouvait pas sortir de films de ce genre en Corée. Par ailleurs, dans les années 70, on sortait beaucoup de films érotiques de mauvaise qualité. Elle aurait donc fait un amalgame et aurait considéré ce film comme étant complètement érotique. Et elle aurait donc conseillé à son père de durcir la censure, de renforcer le commité de censure. C'est à cette époque-là que Ban Gum-yon est sorti. Mais Ban Gum-yon, malgré quelques scènes érotiques, n'est pas du tout centré sur cela. C'est un film qui est une critique du système de concubinage, c'est d'ailleurs un film tiré d'un vieux conte chinois. C'est un film qui contenait beaucoup de critiques du système de concubinage, mais les autorités n'ont porté attention qu'aux scènes érotiques, ce qui explique que le film ait tant souffert de la censure. Le renforcement général de la censure a donc eu d'importantes conséquences sur Ban Gum-yon. C'est pour cela que le film n'a pas pu sortir tout de suite ; il a fallu attendre quatre ou cinq ans. C'est en 1982 que le film est enfin sorti en Corée, et une quarantaine de minutes avaient été censurées. Cette version qui sortait enfin m'a beaoucoup frustrée, j'ai été très déçue. C'était mon premier film, j'y avais placé tous mes espoirs en tant qu'actrice, j'espèrais que cela m'ouvrirait des portes et que je rencontrerais le succès. J'ai donc considéré que ma carrière était complètement brisée. J'ai quitté le monde du cinéma et me suis réfugiée à la campagne. J'étais tellement déçue et frustrée que je ne voulais plus travailler. C'est là que j'ai décidé de mettre un terme à ma carrière. A l'époque, je me voyais moi même comme une perdante. Aujourd'hui, j'encourage ma fille à devenir actrice, et à réaliser le rêve que sa mère n'a pas pu accomplir.

N'envisagez-vous pas de jouer à nouveau, maintenant ou dans les années à venir ?

Si... (Rires.)

Des projets en particulier ?

Je n'ai pas de projet particulier pour le moment. Mais je suis justement venue ici, dans cette délégation coréenne, avec le réalisateur Bong Joon-ho, avec Kim Hong-joon, qui est aussi réalisateur, et je compte sur eux pour des collaborations futures, ce dont nous avons déjà discuté. Vu mon âge et la longue rupture dans ma carrière, il est certain que je ne m'attends pas à avoir un grand rôle d'héroïne, mais si on me propose un rôle peu important mais très caractéristique ou hors du commun, qui est un personnage très fort, avec beaucoup de caractère, je serai toujours prête à interpréter ce rôle et je le ferai avec beaucoup de passion.

J'ai pu lire que vous étiez partie vivre au Canada pour des raisons politiques. Pouvez-vous revenir sur cette période, sur ce que vous avez fait au Canada ?

En fait, ce n'est pas pour des raisons politiques que je suis partie au Canada. Je pense que ce sont des rumeurs. Je suis partie pour des raisons personnelles. Je n'avais pas de travail particulier, je n'étais pas une femme active, je pouvais donc partir facilement. J'avais surtout envide de changer ma vie, j'avais besoin d'un changement important dans ma vie. C'est ce qui m'a donné l'idée d'aller m'installer au Canada, dans un nouvel environnement. Au Canada, j'ai mené une vie tout à fait ordinaire. Je n'ai pas fait de travail particulier. J'ai vécu, tout simplement, je me suis occupée de ma maison. La vie que je menais au Canada pourrait être comparée à une scène de The Greek Tycoon, film avec Anthony Quinn sur Aristote Onassis, le deuxième mari de Jacqueline Kennedy. A la fin du film, Anthony Quinn regarde un coucher de soleil et voit sa vie défiler. C'est un peu comme cela que je me vois lorsque j'étais au Canada. J'avais une vielle maison, en pleine nature. Et je méditais sur ce que j'avais fait, je revoyais la vie que j'avais menée en Corée.

Dans L'Amour du Lien du Sang, on sent qu'il y a une présence très forte de votre personnage. On sent qu'il y a une envolée dans la réalisation à chacune de vos apparitions. Dès que vous êtes à l'écran, le film devient plus vivant. On a le sentiment que la caméra vous caresse, qu'il y a un regard presque amoureux du réalisateur, contemplatif, voire admiratif. Pensez-vous que l'on puisse dire que la femme constituait une justification du cinéma de Kim Ki-young ?

J'ai envie de comparer le monde cinématographique de Kim Ki-young à un royaume. Kim Ki-young serait le roi. Un roi qui porterait un amour extraordinaire à son entourage qui est son monde, ses films. Et les actrices, forcément, les princesses, les reines, qui donnent une valeur particulière à ce royaume. Je pense que les actrices avaient une importance particulière dans ses films et que Kim Ki-young voyait les choses ainsi, avec ce royaume, ce roi et ses princesses.

Merci beaucoup. En espérant vous revoir très vite à l'écran.

Merci beaucoup.

Propos recueillis par Aurélien Dirler le 30 novembre 2006 à Paris.
Chaleureux remerciements à Elodie Dufour et Lee Hwa-si.
Crédit photo : Régis d'Audeville, Cinémathèque Française.

date
  • décembre 2006
crédits
Interviews