Interview Cho Eun-Hee

J'ai rencontré Cho Eun-Hee lors du 13ème Festival des Cinémas d'Asie de Vesoul, alors qu'elle présentait son premier long métrage, Inner Circle Line, en compétition officielle. Malheureusement, il nous fut impossible de trouver un créneau horaire pour cette interview, et malgré son retour à Paris la semaine suivante, nous n'avons pas pu nous revoir. Elle a donc accepté de répondre aux questions que je lui ai envoyées par courriel, et j'en ai profité pour lui en préparer une tonne. Nous abordons ainsi dans ces lignes son parcours avant de réaliser Inner Circle Line, puis une grosse partie sur le film lui-même, ce qu'elle compte faire ensuite, et enfin, une partie qui m'a fort intéressé, son avis en tant que jeune réalisatrice sur le cinéma coréen actuel.

En bref, Cho Eun-Hee est diplômée de l'Université Dongguk de Seoul, puis a entrepris son master en cinéma au School of Art Institute de Chicago. Après avoir participé à différent projet, elle a réalisé quatre courts métrages, Spin, The Moment, Portrait et The Truth Game. Inner Circle Line est son premier long métrage, et également son film de fin d'études.

Avant le film


Comment vous êtes-vous intéressée au cinéma ?

J'avais "un peu" de talent en musique et dessin quand j'étais enfant, mais je n'ai jamais rêvé de devenir une artiste. Mais depuis l'adolescence, je me suis intéressée au théâtre et à la télévision, et j'ai alors rêvé, dans le futur, de me lancer dans une carrière liée à ces domaines, mais certaines expériences amers avec les autres, des expériences d'adolescentes, m'ont fait changé et je me suis de plus en plus posée des questions sur l'homme et les relations humaines. Quand j'ai décidé de devenir metteur en scène, j'ai pensé qu'il n'y avait pas d'autre média que le cinéma qui pouvait heurter, émouvoir et guérir les gens aussi puissamment, et j'ai senti que s'il y avait une personne qui pouvait prendre la plus grande responsabilité pour ce boulot, je voudrais que ce soit moi.

Vous avez étudié à l'Université Dongguk de Seoul, puis au School of Art Institute de Chicago. Que pouvez-vous nous dire sur les différences de vision entre les deux écoles ?

Dongguk enseigne le cinéma de manière classique en coopération étroite avec la section théâtre, mais à Chicago, l'approche est plus expérimentale, anti-narrative, et avant-gardiste. Leur programme coopère avec les section d'arts comme la peinture, la sculpture, le son et le théâtre.

Vous avez réalisé 4 courts. Quels sujets mettez vous plutôt en avant ? Qu'est-ce que vous préférez tourner ?

Les thèmes sont tous différents, mais je veux tourner des films sur les relations entre les gens.

Quels réalisateurs vous inspirent, de qui souhaitez vous apprendre ? Avez-vous également d'autres sources d'inspiration artistique, comme la musique ?

J'ai été fortement impressionnée par le pouvoir visuel des films de Leos Carax, surtout Mauvais Sang, et Blue, de Krzysztof Kieslowski. Ce sont mes Bibles éternelles. En tant qu'étudiante, j'ai appris grâce à eux comment montrer des histoires et des émotions visuellement et économiquement avec le moins de paroles possibles. J'aime également leur sens aiguisé de la musique et du son.

Quand je réfléchi, écris, et monte, j'ai besoin de musique. La musique est une partie importante du processus créatif. Je n'ai pas de genre ou musicien préféré, mais j'ai besoin d'écouter la musique qui irait bien avec l'histoire les personnages, pour que ça se fasse. J'imagine que beaucoup de réalisateurs travaillent comme ça.

Je respecte et essaye d'apprendre des artistes qui sont nés entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle. Il y a eu tant de changement artistiques à ce moment. Je crois que ma génération ("Entre deux siècle") devrait essayer d'achever ce qu'elle fait. Je respecte les artistes impressionnistes, cubistes, abstractionnistes,... mais surtout, je me suis beaucoup intéressée à Kandinsky. Il a commencé la peinture abstraite en projetant son esprit et ses émotions dans ses oeuvres, et il était fortement influencé par la musique lorsqu'il créait. Pour moi, un metteur en scène est plus proche d'un peintre que d'un conteur.

Avant de réaliser Inner Circle Line, aviez-vous d'autres projets en tête ?

J'ai écrit mon premier long un an avant de commencer à travailler sur Inner Circle Line. C'était à propos d'un joueur de violoncelle qui est seul survivant de deux frères siamois. Je mettais l'accent sur le triangle amoureux entre l'artiste, le manager qui essaye de contrôler l'artiste, et un journaliste qui essaye de révéler la vie mystérieuse et cachée du musicien. J'étais vraiment très passionnée par ce projet mais il semblait trop lourd à gérer, donc je l'ai mis de coté et j'ai commencé à travailler sur Inner Circle Line.


A propos de Inner Circle Line


Qu'est-ce qui vous a donné envie de tourner ce film ?

Tout d'abord, j'en avais marre de faire des courts. Ensuite, j'avais vraiment envie de parler d'une histoire qui puise un peu dans mes expériences personnelles et fouareuses, afin de me libérer.

Vous pensez que l'amour est un cercle infini ?

Non, "L'amour" a de multiples facettes. Il peut être naïf, beau ou horrible, mais je pense que moins de 10% des gens dans ce monde réalise leur "amour idéal". Si c'est un peu dur, disons 20%. C'est pour cela qu'il existe tant de films et histoires romantique ; ils donnent de l'espoir aux gens. Tout le monde rêve de "l'amour prédestiné".

Inner Circle Line est une histoire d'amour mais n'est pas romantique. Je ne suis pas pessimiste sur l'amour, mais l'amour lui-même est très dur, donc je veux juste décrire cette partie de l'amour. Évidemment nous avons de l'espoir tant que nous sommes vivants et que nous sommes en mesure de rencontrer de nouvelles personnes toute notre vie.

L'oiseau m'a fait penser au chat dans Take Care of My Cat, qui représentait l'indécision entre les filles. Avez-vous chercher à imprégner l'oiseau d'un trait de personnalité du personnage principal ?

Eh bien, il pourrait symboliser l'amour en lui-même dans le film, mais principalement, il implique l'attachement de Youngju (la fille) à son passé et son amour révolu.

L'actrice qui joue le rôle de lesbienne ressemble à Lee Hye-Yeong dans No Blood No Tears. Cela lui donne un air fort, par rapport aux autres personnages. Etait-ce voulu ?

Non. J'imagine qu'une femme grande et un peu garçon-manqué donne l'air fort, et que cette similarité visuel vous a fait pensé à Lee Hye-Yeong.

La ligne circulaire de Seoul représente, dans le film, un monde dans lequel les personnages semblent enfermés, et qui tourne sur lui-même. Cela signifie qu'ils doivent sortir eux-mêmes ? Personne ne viendra les tirer de là ?

Eh bien, peut-être que j'ai voulu parler de "destinée" et du "modèle" de nos vies. Quelque chose doit arriver et vous ne pouvez pas l'éviter, mais en tournant sur vous-même dans le métro (la vie), vous allez rencontrer les même situations à nouveau. Vous pourrez alors agir différemment parce que vous l'avez déjà rencontré. Cela signifie que vous pourriez être capable de sortir du train. Je ne sais pas... Personne ne sais ce qui arrivera, je sais seulement que nous sommes tous connectés.

L'homme est conducteur de train. Cela a-t-il une signification spéciale, ou est-ce juste une excuse pour le mettre dans le train aussi ?

Le film partait de cette idée. Il y a un homme et un femme. Tard la nuit, l'homme conduit le dernier train et la femme monte dedans. Il se sont déjà rencontrés avant mais il ne se sont pas reconnus. Il n'y a qu'eux deux dans le train. Elle s'endort et rêve d'un endroit où elle n'est jamais allée et de quelqu'un qui lui manque. J'ai créé les personnages et le symbole du train dès le début.

Dans une ville où il n'y a pas de ligne circulaire (comme Paris), comment auriez-vous fait ?

Peut importe qu'il y en aie une ou pas. Le train lui-même représente la vie, le lien et même le destin. Il connecte les moindres parties de la ville, comme Seoul et, particulièrement à Paris, il va à la rencontre d'autres lignes et nous dépose n'importe où, ce qui le rend encore plus complexe. Votre question me rappelle mes courts-métrages. Je ne suis pas sûre si c'est une coïncidence ou non, mais j'utilise un manège dans Portrait, et un autre train dans The Moment. Dans le plus récent, Spin, le personnage principal n'arrête pas de tourner en rond. Hum... Une découverte significative sur mes réalisations ?

S'il y avait quelque chose à refaire, ce serait quoi ?

Vous voulez dire, dans le film ? Dans tout le cheminement de la production, si je pouvais changer, ce serait pour un producteur coréen seulement (il y en avait deux, un coréen et un américain), et les personnages de Youngju (la fille) et la lesbienne. Enfin, elle ont fait du bon travail dans le film, mais leur image et leurs caractéristiques naturelles n'étaient pas ce que je recherchais. Je voulais un DJ plus charismatique et une lesbienne plus féminine. C'est totalement à l'opposé de ce que l'on voit dans le film.

Y a-t-il une sortie prévue en Corée ? Quand ? Est-ce difficile de sortir un film indépendant en Corée ?

Le distributeur, Indiestory, avec qui je travaille, a prévu une petite sortie à Seoul, mais ce n'est pas encore sûr à 100% pour le moment. Si on y arrive, ce sera suivi d'une sortie DVD.

En fait, nous n'avons pas assez de cinéma d'art et d'essai en Corée. Très peu de salles pour les films indépendants, au plus 5 ou 6 à Seoul. Indiestory n'a pas ses propres salles, donc nous devons contacter d'autre cinémas. Si on y arrive pas bien, on n'a que 1 ou 2 salles pour de petits films indépendants. L'année dernière, le plus gros succès, No Regret (sélectionné à Berlin en 2007), a fait plus de 50 000 entrées, mais dans la plupart des cas, on tourne autour de 1000 ou 2000. Cela signifie qu'il n'y a pas beaucoup de sens à vouloir rentabiliser sur une sortie en salle. La plupart des films indépendants dépendent en général de la visibilité dans les festivals.


Après le film


Que souhaiteriez-vous traiter dans votre prochain film ?

Ce sera sur des jumeaux. A l'origine, c'est le scénario dont je parle dans une question précédente, mais à présent, ce n'est plus une histoire d'amour, j'ai fait beaucoup de modifications. Je me focaliserai sur l'état d'esprit du personnage principal, qui a perdu son frère jumeau, et sa confusion avec son frère qui réapparaît dans son esprit comme une autre personnalité. J'ai ajouté une soeur jumelle qui se révèle plus tard être une adoptée en remplacement du frère décédé, donc l'histoire est un peu bizarre et il y aurait de nombreux conflits entre les trois jumeaux.

Allez-vous continuer à parler de la jeunesse ?

Sans doute... jusqu'à ce que je sois assez âgée pour parler des vieux.

Feriez-vous éventuellement des films plus commerciaux ou souhaitez-vous continuer à faire des films indépendants ?

C'est actuellement ma grosse grosse question. Je sens que c'est le moment de décider quel chemin prendre. Franchement, je veux courir deux lièvres. Je veux faire de l'indépendant, de l'artistique, mais en même temps, je voudrais communiquer avec le plus grand nombre. Sur Inner Circle Line, je me suis souvent sentie seule. Au final, ce que je veux, c'est parler à beaucoup de mon monde de ma propre voix, et avec mes couleurs. J'espère que je pourrais trouver la bonne balance entre les deux.

Tourneriez-vous aux États-Unis, à l'occasion ? Ou ailleurs ?

Mon objectif à long terme, en tant que réalisatrice, est de faire des films internationaux. Le marché du film en Corée à ses limites physiques. C'est un petit pays, avec une faible population. Nous avons besoin de regarder à l'extérieur et devrions essayer de faire des films qu'on peut vendre, et communiquer à travers le monde. Quelques grosses productions ont lentement commencé ce travail mais la route semble bien longue. Nous avons besoin de plus de réalisateurs qui comprennent à la fois les cultures et marchés coréens et occidentaux, et qui peuvent créer des choses acceptées des deux cotés. J'espère y parvenir au travers de me expériences et bâtir un pont pour relier les pays en montant des projets globaux. Je chercherais toujours des projets internationaux avec différents pays.

Y a-t-il un roman ou une autre oeuvre littéraire que vous aimeriez adapter ?

Je me dis des fois que j'aimerais faire un film sur le roman de Murakami Haruki, La Fin des temps. C'est une sorte de science-fiction, effrayante et triste, sur un homme qui en vient à voyager vers son propre esprit. Il est victime de quelques expériences scientifiques. L'histoire montre sa vraie vie et une autre vie dans son esprit le suivant comme son ombre.


Sur le cinéma coréen


Que pensez-vous du cinéma coréen contemporain ? Penche-t-il trop du coté commercial ? Que pensez-vous des auteurs comme Kim Ki-Duk, Hong Sang-Soo, ou Song Il-Gon, et leurs difficultés à trouver des financements pour leurs projets ?

C'est vraiment dur pour les auteurs en Corée.

Je les respecte et aimerait être une réalisatrice courageuse comme eux, mais ils ont l'air de beaucoup lutter pour faire leurs films. Il n'y a pas de support financier sûr pour ce genre de films en Corée. Vous savez, c'est le destin du cinéma. C'est à la fois un "art" et un "produit". On ne peut pas l'ignorer.

Kim Ki-Duk a fait son dernier film (Breath) avec seulement $300 000, en parti financé par la France, j'ai cru comprendre. Il est réputé pour tourner très rapidement. Il a fini le tournage en deux semaines dans un seul endroit, une prison. Mais dès que son films sort, personne ne va le voir. Comparé à son talent et sa réputation internationale, en Corée l'évaluation de ses films et de sa personne est bien amputée, mais il est malin et passionné. Il trouvera toujours un moyen de faire ses films.

Les Coréens s'attendaient à voir plus de potentiel commercial dans le dernier film de Hong Sang-Soo, Woman on the Beach. Ils ont engagé deux grandes stars et ont investi un budget semi-commercial, mais le résultat est décevant. Le film est cynique et drôle, mais il ne pouvait attirer une audience raisonnable. C'est tout. J'imagine que son film était trop intelligent. Les gens veulent juste voir des dramas classiques pour s'amuser et rigoler.

Je suis inquiète pour Song Il-Gon. Il n'a pas l'air de trouver de moyen de continuer à faire artistique et rentrer dans ses frais. Le problème de ses films est qu'il sont bien trop loin d'une audience régulière.

En juillet dernier, les quotas ont été réduits à 25%. Pourtant les productions coréennes ont eu encore plus de succès qu'auparavant, et certains distributeurs ont réagi en proposant plus de place pour les auteurs. Que pensez-vous de cette réaction contre l'action économique américaine ?

Ils ont repéré le problème récurrent dans le système de distribution du marché coréen du film. La seule chose que je sache clairement est qu'on doit restaurer les quotas.

Le nationalisme coréen peut-il protéger l'industrie du cinéma pendant longtemps contre le forcing américain ?

Nous n'avons pas un tel "nationalisme". La plupart des citoyens on déjà accepté la réduction des quotas parce qu'à présent, les films coréens se développent, donc ils croient qu'insister sur les quotas est égoïste de la part des cinémas. Mais nous avons besoin d'une protection. Un jeune enfant (le cinéma coréen) ne peut pas se battre contre un adulte (les grosses productions hollywoodiennes), mais le petit enfant semble avoir assez grandi à cause d'un ou deux gros hits.

L'année dernière, plus de 100 films sont sortis. Comparé aux années 85~89, c'est plutôt impressionnant. Sur cette centaine de films, seulement 3 ont eu un très gros succès, et environ 12 ont fait des profits. Le reste était un désastre. Le nombre de films produits n'apporte pas grand chose, et un ou deux gros hits ne peut pas représenter tous les films coréens. C'est la réalité du cinéma coréen.

L'enfant grandi. Nous ne devrions pas arrêter de le nourrir. Le cinéma est une culture que nous devons fermement protéger. Le systême des quotas pourrait être un petit bouclier pour protéger notre propre diversité culturelle.

En 2006, il y a eu plus de films français et étrangers sortis en Corée que d'habitude. Est-ce que les Coréens s'ouvrent plus aux autres cultures ?

Ils sont surtout ouverts aux films coréens et américains pour le moment. C'est le problème des coréens. Leurs goûts sont très ciblés.

Le cinéma coréen se porte bien en Corée. Mais il a souffert d'une brutale désillusion dans les ventes internationales (-68%). Est-ce qu'il ne séduit plus ? Vers la fin de la vague coréenne ?

Je ne pense pas, mais comment pourrais-je m'assurer du futur radieux du cinéma coréen ? Ok, disons que le petit garçon vient de passer à l'adolescence. L'adolescent a besoin d'amour. Trop d'intérêts peuvent le blesser. Il n'est pas encore adulte et le passage à la maturité s'accompagne d'essais et d'erreurs, non sans douleurs. Il faut attendre de voir comment le garçon va surmonter les difficultés et devenir un grand.

The Host, passé dans 150 salles, a fait un bide en France, alors qu'Élection (du réalisateur HK Johnnie To), dans seulement 6 salles, a eu un grand succès. Quel est le problème de The Host ?

The Host est un blockbuster coréen copiant Hollywood. A part le problème politique sur l'armée américaine en Corée, le film a dû être perçu par les français comme une série B de monstre. Personnellement, j'ai détesté ce film parce que le réalisateur (Bong Joon-Ho) décrit les Coréens et notre gouvernement comme les gens les plus stupides du monde et essaie de faire de l'argent sur la corde facile du désespoir miteux et des liens familiaux pour le surmonter.

Je pense que les occidentaux s'attendent à autre chose quand ils voient des films asiatiques. Ils peuvent vouloir quelque chose plus politique, purement artistique ou bien plus exotique, je pense. Probablement qu'un film asiatique super bien fait n'attire pas les spectateurs là-bas.

Pourquoi le cinéma coréen a toujours autant de difficultés à sortir d'Asie ?

Parce qu'on a personne pour s'occuper de "l'ailleurs"... On commence à peine à regarder en dehors d'Asie. Je crois que pour attirer un public occidental, depuis le début de la production, il faut faire un plan spécial de financement, co-production ou dramatisation, et nous avons aussi besoin de plus de Park Chan-Wook et de Kim Ki-Duk. Je pense que les choses iront de mieux en mieux parce que, comme je disais, nous sommes toujours en train de grandir.
date
  • mars 2007
crédits
Interviews