Interview Lee Yoon-Ki

Introduction


Alors que je m'installais dans la salle du casino de Deauville pour assister au documentaire Crossing the Line, de Daniel Gordon, quelle ne fut pas ma surprise de voir s'assoir juste à coté de moi Lee Yoon-Ki, réalisateur de This Charming Girl et Love Talk, venu cette année au Festival du Cinéma Asiatique de Deauville pour présenter son dernier film, Ad-Lib Night. J'ai ainsi pu discuter un peu avec lui et obtenir une interview pour le début de la semaine suivante. Nous nous sommes ainsi retrouvé ce lundi 2 Avril 2007 aux Halles de Paris, peu avant l'avant-première du Vieux Jardin, à laquelle il avait été invité.

Il est nécessaire de préciser que certaines questions, et donc leurs réponses, contiennent des révélations qui pourraient gâcher la vision du film si vous ne l'avez pas encore vu. Cependant, ce n'est pas Usual Suspect, connaître la fin du film n'est pas un problème pour apprécier l'approche dramatique de l'histoire.


Interview


Bonjour et bienvenue à Paris. Nous allons traiter dans cette interview de Ad-Lib Night, votre film qui a été présenté lors du 9ème festival du cinéma asiatique de Deauville.

Tout d'abord, comment avez-vous connu la nouvelle japonaise que vous avez adaptée, et quelles sont les raisons de ce choix ?


Quand je ne suis pas en train de tourner, je lis beaucoup de romans courts, japonais, coréens,... mais je ne les lis pas en entier. Si ça ne m'intéresse pas, j'abandonne. J'ai commencé à lire cette nouvelle de Azuko Taira, et comme elle m'a plu, j'ai pensé plus tard que ce serait intéressant d'en faire un film. Pas tout de suite, plus tard...

Des fois, quand des histoires me reviennent en tête, je commence à me demander ce que ça donnerait au cinéma. A partir de là, je commence à écrire un scénario. J'ai travaillé comme ça dès mon premier film, This Charming Girl.

Quand je lis des romans, j'ai des fois plusieurs histoires qui me reviennent. De manière général, j'ai constamment 7 ou 8 histoires en tête, mais je ne cherche pas à les réaliser dans l'ordre chronologique. Je m'attache à celle qui est la réalisable. Les projets qui prennent plus de temps, je les remets à plus tard.

Il y a beaucoup de différences entre les cultures coréennes et japonaises. Est-ce que cela a demandé des changements dans le déroulement de l'histoire ?


Bien entendu, il a fallu faire des adaptations. Quand on lit le roman, il y a beaucoup d'éléments qui montrent que ça se passe dans une société japonaise, donc on ne pouvait pas reprendre tous ces éléments pour en faire un film coréen, car les Coréens ne s'identifieraient pas. Quand j'adapte un roman, s'il s'agit d'un roman étranger, là première chose à laquelle je pense, c'est quoi modifier ou ajouter pour que cela fasse plus coréen, que la même situation soit crédible en Corée. Sur Ad-Lib Night, environ 40% du récit a été modifié.

Le film a été produit par KBS, la chaîne de TV. Comment le film s'est-il retrouvé au Festival de Pusan (PIFF) ?


Ce n'est pas la chaîne KBS que vous connaissez, qui a produit. C'est KBS N, une petite chaîne du sattelite. KBS produit des dramas, des films, des émissions, mais KBS N ne produisait rien avant. C'est une chaîne qui reprenait les émissions diffusées par KBS ou autre pour les passer sur le sattelite. Finalement, ils ont décidé de se lancer dans la production, et voulaient que je réalise un film pour eux. Quand on m'a demandé, je leur ai dit que je ne travaillais plus pour la TV, que je réalisais des films pour le cinéma, mais j'ai accepté de le faire à condition que mon film soit projeté d'abord dans les salles, avant qu'il soit diffusé à la TV. On a pu se mettre d'accord là dessus et le film est donc sorti au cinéma.

Donc pour leur première production, ils ont proposé un budjet assez serré, et vous n'avez eu qu'une semaine environ pour tourner. Quand on regarde le film, on voit une succession de plans fixes et de caméra à l'épaule. Autant ça a l'air d'être tourné en vitesse, autant c'est très soigné ; comment vous êtes-vous débrouillé en si peu de temps avec un petit budget ?


Plusieurs circonstances m'ont obligé à tourner le film en un temps assez réduit (9 jours). C'est quand même un petit film, on va pas passer des années dessus.

Mais vous avez vu très juste ; le film est divisé en trois parties. La première partie, c'est quand elle va rejoindre la famille à la campagne ; la deuxième, c'est ce qui se passe dans la famille, et enfin, la troisième est le retour à Seoul. On peut dire que la première et la dernière partie se ressemblent dans la mesure où elle ont été tournées la caméra à l'épaule avec un scénario précis, les acteurs récitant complètement leur texte. Mais dans la deuxième partie, j'ai tourné en plans fixes, avec deux caméras, et pour les scènes entre les membres de famille, il y a beaucoup d'improvisation dans le jeu des acteurs. Ils savaient où allaient l'histoire mais je leur ai laissé carte blanche pour leurs répliques. Donc j'ai utilisé la caméra à l'épaule dans les scènes à répliques fixes, et les plans fixes pour les moments d'improvisation.

Il y a une grosse coupure à partir du moment où la fille commence à jouer le rôle de Myung-Eun, et je me demandais si vous cherchiez à semer la confusion chez le spectateur quant à son identité.


En effet, ça apporte des confusions. Les spectateurs sont amenés à se demander si c'est vraiment la fille. Je sais que cela crée une confusion, mais ce n'est pas l'effet recherché. Si on faisait exprès de créer la confusion, de faire s'interroger le spectateur, ça risquait de devenir un film mystérieux un peu léger. Comme l'histoire est déjà écrite ainsi, en faisant un film fidèle à l'histoire, le spectateur allait automatiquement s'interroger sur l'identité de la fille ; ce n'était pas la peine d'en rajouter.

Dans l'équipe de tournage, certains me demandaient pourquoi on ne laisserait pas le doute jusqu'à la fin, le spectateur continuerait de s'interroger. Mais il ne fallait pas que cela devienne le centre du film, donc je ne voulais pas que cela se termine sur un doute.

C'est donc cela le but de la scène finale ?


Oui j'ai ajouté cette scène exprès, et celle où elle pleure dans la voiture, en rentrant, qui n'apparaissent pas dans le roman d'origine. C'est pour bien montrer qu'elle n'est pas Myungeun.

Pourtant, en voyant la scène dans la voiture, j'ai continué à me poser la question ; je ne savais pas si elle jouait ou pas. Je me suis dit qu'il pouvait s'agir d'une façon de laisser entrevoir au conducteur ce qu'avait pu vivre Myungeun jusque là.


Je suis étonné de votre réaction. A ce moment là, il n'y a pas lieu à confusion. Avant la mort du père, normallement, ça devait être déjà clair qu'elle n'était pas la fille en question. Donc à partir du décès, elle n'avait plus besoin de jouer le rôle de la fille que la famille cherchait.

Elle aurait en effet pu se comporter ainsi pour faire comprendre à la famille comment Myungeun aurait pu vivre. Mais elle n'est pas la fille que la famille recherche. Si finalement, elle a accepté de jouer ce rôle, c'est parce qu'elle trouvait beaucoup de ressemblances entre elle et la fille recherchée. Quand elle est au milieu de cette famille, elle commence à comprendre que cette fille aurait peut-être eu la même vie qu'elle, et ainsi s'attache à des objets qui appartiennent à l'autre fille. Ce sont deux filles différentes, mais au fond, ça pourrait être la même.

Finalement, qu'ils ramènent une autre fille est bénéfique pour la famille. La vraie aurait pu lancer la guerre, alors que la remplaçante relie les lien familiaux brisés.


En effet, elle accepte le mensonge, mais c'est un mensonge de bon coeur. Un bon mensonge peut valoir plus qu'une vérité.

Enfin, votre film a été plutôt bien reçu par la critique, en Corée comme en France, gagnant d'ailleurs le prix de la critique à Deauville. Comment recevez-vous ce prix, après les résultats mitigés de Love Talk, votre précédent film ?


Ce n'est pas parce que j'ai reçu le prix de la critique que j'ai eu de bonnes critiques. En fait, je ne connais pas encore les critiques sur le film. Je voulais réaliser un grand film, au travers duquel je transmettrais un message. Je l'ai fait d'un manière très relaxée ; j'ai transmis mon message, mais pas pour le prix. Peut-être que ça permettra à plus de spectateurs de voir le film ; ça me ferait plaisir et ça m'encourage aussi. J'ai été un peu découragé par mon deuxième film (Love Talk), mais maintenant je peux reprendre sur la suite.

Vous avez un projet actuellement ?


Oui une comédie. Vous voulez un scoop ?

Conclusion


L'heure tournant, nous avons du couper l'interview à ce point, malgré la tonne de questions qu'il me restait, et je n'ai pas pu obtenir ce fameux scoop, donc ce sera la surprise. Il était temps d'aller assister à l'avant première du Vieux Jardin, en compagnie de Im Sang-Soo et Hwang Sok-Yong.
date
  • avril 2007
crédits
  • interviewer
  • Elise
  • traduction
  • Kim Hui-Yeon
Interviews