Golden Horse Film Festival - Taipei 2007

Pour commencer une précision : le Taipei Golden Horse Film Festival (金馬影展), qui s'est déroulé du 23 décembre au 8 décembre 2007, en est était à sa 29ème édition ; les Golden Horse Awards (金馬將), également surnommés "Oscars du monde chinois", à leur 44ème édition. Les deux manifestations, si elles sont liées par un nom, une organisation et une périodicité commune (les récompenses sont délivrées annuellement à la fin du festival qui dure deux semaines), sont très différentes.

Le festival donne à voir une vaste sélection (presque deux cents) de films du monde entier pour la plupart sortis dans l'année. Cette année, le festival a consacré une programmation spéciale au cinéma roumain, avec une rétrospective Lucian Pintilie, et une autre au cinéma des pays d'Asie du Sud-Est, en mettant en valeur la malaysienne Yasmin Ahmad. Il s'agit d'une manifestation destinée au public avant tout, et non aux professionnels, puisqu'il présente très peu de films en avant-première. L'occasion donc de découvrir des films qui ne vont pas tous sortir en salle, et de redécouvrir des morts, puisqu'un des axes de la programmation, intitulé "Salut aux maîtres", présentait une sélection de films de King Hu, Li Han Hsiang et Edward Yang.

Les récompenses, matérialisées dans des statuettes de chevaux d'or, sont décernées exclusivement à des films de langue chinoise, en général donc réalisés et produits en Chine continentale, à Hong Kong ou Taiwan. Si les états en question, et notamment les autorités de Chine populaire, le veulent bien, ce qui pose problème, comme nous le verrons par la suite. La sélection est donc assez limitée : 30 longs-métrages, 2 documentaires et 4 courts.

"Salut aux maîtres"

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En une vingtaine de films, ce programme proposait de découvrir un échantillon de l'immense filmographie de LI Han-Hsiang , la moitié de l'oeuvre de King HU , et l'essentiel des films d'Edward YANG . Cette rétrospective s'accompagnait d'une très belle exposition qui présentait notamment des dessins préparatoires et des photos de tournages des films en costumes de King HU. Si on peut regretter que ce salut ait été programmé systématiquement aux horaires ingrats (matin, quand tout le monde travaille...), avec des copies plus que vieilles (c'est là que j'ai compris la valeur de l'expression "copie restaurée") et ne comportant pas toujours de sous-titres, c'était tout de même une belle occasion de découvrir King HU (1932-1997), un précurseur et une référence dans le cinéma d'arts martiaux en costumes, avec par exemple les classiques The Fate of Lee Khan (1973) et The Valiant Ones (1975) .

LI Han-Hsiang (1926-1996), qui a tourné plus de soixante-dix films, d'abord à Hong Kong pour la Shaw puis à Taiwan avec la Grand Motion Picture Company qu'il a créée en 1963, était présent à travers une sélection des différents genres auxquels il s'est essayé : la romance avec Red Bloom in the Snow, le film d'histoire avec Storm over the Yang-Tse River, le drame réaliste avec The Winter (1967).

Enfin, d'Edward YANG on a pu voir le chef d'oeuvre A Brighter Summer Day (1991) dans la version director's cut (quatre heures), ainsi que In our Time (1983) , Taipei Story (1985) , le policier The Terrorizer (1986) , Mahjong (1996) (où  Virginie Ledoyen a malheureusement été engagée pour jouer la Française), et enfin A One and a Two (2000)  (Yiyi) - programmé pour la soirée de clôture où il a fait salle - de 900 places - comble.

Voix d'Asie du Sud-Est


881.jpg C'est cette section qui, pour ce qui est des films asiatiques, était la plus variée et la plus étonnante (contrairement, donc, à la section cinéma chinois et de langue chinoise).

Deux films d'épouvante : le jeune réalisateur thaïlandais Wisit Sasanatieng livre un film d'angoisse réussi dans son genre, The Unseeable (série de femmes effrayantes avec sorcière imprévue à la clé) ; Dead Time : Kala (Indonésie) réalisé par le jeune Joko Anwar, est un thriller très bien ficelé, qui mêle enquête policière, mythologie, fantastique pour un résultat vraiment noir et plein de suspense.
Un film d'action : The Rebel, de Charlie Nguyen, qui montre des Viêtnamiens excellents en arts martiaux se révolter contre les colons Français (le film se passe en 1922) - rien d'extraordinaires mais de très beaux coup de pieds.

Une comédie musicale : 881, du singapouréen Royston Tan, raconte l'affrontement des soeurs "Papaye" (les gentilles) et des soeurs "Durian" (les méchantes) dans un concours pour devenir chanteuses de Getai, un genre de musique de scène typiquement singapouréen. Costumes déjantés et dialogues hilarants.
Et des films plus réalistes, où chaque fois comme toujours c'est principalement d'amour qu'il est question. Three Days to Forever (Indonésie) est un road-movie qui met en scène un cousin et une cousine, en voiture pour assister à un mariage, et qui sur la route où il ne se passe rien de notable discutent, notamment de religion, de mariage, de sexe, tout en s'efforçant d'ignorer le désir qui s'établit peu à peu entre eux. Sur ce scénario très simples les dialogues sonnent juste et les personnages vrais. Tuli, d'Auraeus Solito, est  une chronique rurale étouffante et violente, qui commence comme un documentaire anthropologique sur la circonsicion et se transforme en histoire d'amour contrarié - des personnages atypiques et des interprètes excellents en font un très beau film. Ploy, le dernier film de Pen-ek Ratanaruang est un peu décevant (il s'était fait connaître avec Monrak Transistor (2002)).

Enfin, on a pu découvrir l'œuvre de la réalisatrice malaisienne Yasmin AHMAD , quatre films tounés en quelques semaines entre deux tournages de publicités (dont elle vit), des comédies douces-amères qui représentent avec humour et tendresse des problèmes de famille, d'amour et de société -  la rencontre conflictuelle ou pacifique des communautés musulmanes et hindouistes, chinoises et malaisiennes, est un de ses thèmes favoris. My Failing Eyesight (2002) est un hommage à ses parents, un film sur un vieux couple amoureux et ses mésaventures ; Sepet (2004) , un grand succès en salle et en DVD, est une histoire d'amour entre une fille musulmane malaisienne et un garçon chinois ; Anxiety (2006) est centré sur un couple marié sur le point de se séparer, et les aventures extra-conjugales de chacun ; dans Mukhsin (2006) , c'est un couple d'enfants dont il est question, une amitié qui échoue à se transformer en amour. Ces quatres films sont d'autant plus attachant qu'ils convoquent en partie les mêmes acteurs, et la famille musulmane qui figure dans chacun des films a chaque fois à peu près la même composition - calquée qu'elle est sur la propre famille de la réalisatrice.
 
Critiques : The Rebel (2007) ; Tuli (2005)

Films taiwanais de l'année


godmandog2.jpgA part le bizarre God Man Dog, qui vaut vraiment d'être vu, Spider Lilies déjà primé à Berlin et sorti en France (une histoire de tremblement de terre et de tatouage), et What on earth have I done wrong ?! , le reste, c'est un peu triste, oscille entre le moyen et le franchement mauvais. What on earth have I done wrong ?!, de Niu Chen Zer, prétend être une comédie "politique" - c'est en fait un film d'inspiration autobiographique sur le ratage d'un projet de film et la crise de la quarantaine de son réalisateur (qui joue aussi le rôle principal). Pour peu qu'on passe outre le jeu des acteurs toujours excessif (façon série télé), on peut apprécier la représentation du monde de l'industrie taiwanaise du cinéma avec une caméra caustique et un sens de l'autodérision remarquable. The Most Distant Course a été primé à Venise (prix Fipresci) mais ne casse pas des briques. The Wall-Passer, de LIN Jing-Jie, a le mérite de tenter un genre inhabituel, puisqu'il s'agit de science-fiction (mais on n'échappera pas à l'histoire d'amour à la noix comme pivot de l'intrigue). Soul of a Demon est un film ambitieux, une histoire de gangster mélancolique, un peu poétique si on veut, mais à la fin quand même franchement ennuyeux. Summer's Tail de Cheng Wen Tang (un réalisateur populaire ayant déjà tourné sept films depuis 1999) est une histoire d'école buissonière, quatre adolescents qui se baladent plus ou moins joyeusement et sauvent quelqu'un du suicide. Sympathique et frais. Exit No. 6 est une comédie assez enlevée de Lin Yu-Hsien qui a bénéficie d'un scénario à suspense qui le rend regardable - les aventures de jeunes Taiwanais à Ximen Ding, le quartier jeune de Taipei - les acteurs surjouent tout comme dans un show télé, encore une fois, mais la réalisation enlevée rend le film agréablement divertissant. Le pire réside dans deux histoires sirupeuses à dormir debout : Secret, de et avec le chanteur Jay Chou dont c'est le premier (et j'espère le dernier) essai au cinéma, et My DNA says I love you, de Robin Lee Yun Chan, qui bat des records de niaiserie (le titre dit déjà beaucoup...).

Critiques : Secret (2007) ; God Man Dog (2007)

Golden Horses : sélection, résultats, cérémonie


angleetangwei.jpg En plus des films taiwanais précités, la sélection incluait quelques films de genre hongkongais (Eye in the sky, Confession of Pain,  et Flash Point). Des coproductions Taiwan/HK : The Drummer, sympathique histoire de reconversion d'un fils de mafieu en joueur de tambour traditionnel dans les montagnes taiwanaises ; Blood Brothers, un film d'action sis dans les années 40 (encore) d'inspiration Le Parrain mais à l'intrigue cousue de fil blanc. The Matrimony, film de fantômes - co-production Chine/Taiwan. Le très beau Getting Home, de Zhang Yang (Chine/HK). L'incontournable Lust, Caution d'Ang Lee. Et deux films hors monde chinois : The Home Song Stories, un mélodrame australien avec Joan Chen au premier rôle. Et enfin Hollywood Chinese, un excellent documentaire sur la place et la représentation des Chinois dans le cinéma américain.

Un absent de dernière minute : Tuya's Marriage, de Wang Quan An. Il s'agissait du seul film intégralement financé par la Chine populaire, qui aurait refusé qu'il participe à la compétition sise dans la capitale contestée de la République de Chine. Il était pourtant nominé dans quatre catégories : meilleure photo, meilleur réalisateur, meilleure actrice (Yu Nan) et meilleur scénario original.

C'est Ang Lee que la cérémonie a couronné avec le déjà blockbuster Lust, caution, qui a raflé près de la moitié des prix (et tous les plus importants) : meilleur film de fiction, meilleur réalisateur, meilleur premier rôle masculin (Tony LEUNG Chiu Wai ), meilleur espoir féminin (TANG Wei ), meilleure adaptation (Wang Hui Ling et James Schamus), meilleur maquillage et costumes, meilleure musique (Alexandre Desplat), et enfin, meilleur réalisateur taiwanais de l'année pour Ang Lee l'exilé. Il faut dire qu'en face, il y avait Jay CHOU et son niais Secret à l'eau de rose et au sirop - ce dernier a quand même été primé pour le morceau qu'il a composé spécialement pour le film. Les autres films se sont retrouvés avec des lots de consolations plus ou moins bien trouvés. A noter le prix de la meilleure chorégraphie d'action pour Flash Point. Et prix du meilleure premier rôle féminin à Joan CHEN Chung (également au casting de Lust, caution pour un second rôle), pour sa prestation de femme perdue et désespérée dans The Home Song Stories. Pour les documentaires, c'est Hollywood Chinese qui a été primé ; il faut dire qu'en face il n'y avait qu'un autre film, un docu expérimental sur l'amour des arbres, forcément plus confidentiel. Enfin, le jury n'y est pour rien, mais le public ne s'y est pas trompé : Getting Home, du chinois ZHANG Yang , a reçu le prix du public - que les camarades cinémasiens appelaient de leur voeux au festival de Deauville l'an dernier.

Une cérémonie longue et sans grande surprise donc, puisque le chouchou, déjà copieusement récompensé en octobre par le gouvernement pour sa réussite sur la scène internationale, a reçu tous les bons points. Evidemment, son film est plutôt bon, et la concurrence était faible. Mais tout de même, une telle concentration... Il fallait attendre une demi-heure entre chaque annonce de prix où, pour faire monter la sauce, des musiciens, danseurs de cabarets, ou encore magiciens, venaient faire leur numéro. Pour tous ceux qui n'étaient pas dans les gradins, mais devant leur télévision, ou devant la retransmission télévisée de la chose - à quoi on avait droit dans la salle de presse - il a fallu s'avaler une bonne quantité de spots publicitaires, étonnamment peu pensés par rapport au supposé glamour de la soirée ; ainsi, c'est une réclame pour détartrant WC qui fit la transition entre les prix de Joan Chen et Tang Wei.... Le plus drôle était peut-être le défilé sur tapis rouge et les séances photos du début, qui se passaient dehors, avec des cohortes de fan en furie brandissant des panneaux et des messages : "Groupe taiwanais des fans de Joan Chen", "Wang Lee-hom on t'aime", etc.


Pour voir l'intégralité de la sélection et des prix attribués, voir la page du site officiel de TGHFF.

Critiques : Lust, Caution (2007) ; The Home Song Stories (2007) ; Hollywood Chinese (2007)

Conclusion


Du festival il vaut mieux voir la sélection que la séance récompenses, mais ça doit être comme ça partout. Le festival est largement tourné vers le public, avec une implantation dans les deux grands quartiers de cinéma de la ville, le quartier de Ximending et le gigantesque multiplexe près de la Tour 101. Le public invité à évaluer les films à chaque séance avec des petits billets à cocher et voit ses choix affichés sur des panneaux au fur et à mesure, ce qui incite à participer jusqu'au bout. Le prix attribué à Zhang Yang pour Getting Home est donc vraiment le choix d'un grand nombre de spectateurs. J'espère sincèrement que l'an prochain les films uniquement chinois ne seront pas interdits de compétition, parce que le choix devient alors vraiment trop mince.

Hollywood Chinese
date
  • janvier 2008
crédits
Festivals