Interview Pen-Ek Ratanaruang

Cinemasie: Dans Ploy, il y a deux histoires similaires et différences en même temps. Le couple marrié qui parle mais ne fais pas l'amour, et le jeune couple qui fait l'amour mais ne parle pas. Pourquoi cette structure?

Pen-Ek: Quand j'ai écrit le scénario, je pensais que le jeune couple, le barman et la femme de ménage, serait une réflection du vieux couple. Peut-être que quelques années auparavant, ils étaient comme eux. Et je pensais que le couple plus âgé serait aussi une réflexion du jeune couple, peut-être que quelques années plus tard, ils seraient dans la même situation. C'est ce que j'ai imaginé en écrivant le scénario.

Mais après avoir terminé le film et l'avoir vu, le résultat est devenu beaucoup plus flou. Tout dépend du spectateur en fait. Certains pensent que le message du film est "il faut mieux faire l'amour que parler". Personnellement, à la vue du film, je pense que quelque chose d'intéressant s'en dégage. On pourrait se dire que lorsqu'on a une relation, elle se terminera mal quoi qu'il advienne. Mais si on trouve que la relation est bonne, riche, et mérite de continuer, alors peut-être qu'il faut faire les deux. C'est à dire parler et faire l'amour. La combinaison des deux peut amener l'équilibre dans un couple.

Au final, on ne peut pas toujours vraiment contrôler ce qu'on filme. On pense à quelque chose lorsqu'on écrit, mais ensuite...

Dans Ploy mais également dans Invisible Waves, les personnages restent dans les lieux confinés, et ce ne sont que des lieux de passage. Pourquoi ce choix?

La raison la plus évident c'est le budget! (sourire). J'ai peu d'argent pour faire des films. Mais dans la vie, tout est une question d'échange. Si on me donne beaucoup d'argent pour faire un film, j'ai moins de liberté pour atteindre le résultat que je souhaiterais. Si je prends moins d'argent, j'ai la liberté.

Et mes lieux préférés sont des toilettes, des couloirs, des chambres d'hôtel, des cabines d'avion. Je passe beaucoup de temps dans des hôtels comme je voyage beaucoup. Je suis à l'aise avec ce genre d'endroit. Si vous me lâchez en Nouvelle Zélande, dans cette immense et magnifique nature, je ne saurais même pas où poser ma caméra.

Vous auriez pu montrer ces personnages chez eux aussi, pas dans des lieux de passages. Est-ce plus intéressant de montrer les gens hors de la sécurité de leur chez soi?

Je pense que c'est toujours plus intéressant quand les gens ne sont pas dans leur petit comfort. Ils deviennent plus honnête. Si quelque chose arrive, on est vraiment effrayé, et on réagit sans cacher ses sentiments. Alors que si vous êtes chez vous, peut-être qu'il est plus facile de cacher vos sentiments, car on se sait plus en sécurité.

Mais c'est juste une réponse puisque vous me posez la question. Quand je préparais le film, je n'y ai jamais vraiment réfléchi. Quand je commence à écrire, je jette juste mes personnages dans les pires situations possible et je regarde comment ils s'en sortent.

Beaucoup d'éléments restent dans le flou dans Ploy. Les personnages imaginent certains choses, et le spectateur ne peut discerner la vérité de l'imaginaire. Est-ce important pour vous de ne pas tout expliciter?

Oui absolument. Quand j'ai écrit le scénario, peut-être même lors du tournage, j'avais toutes les explications. Mais lorsqu'on a monté le film, nous avons décidé de retirer certains éléments. Certaines explications. C'est peut-être une coutume chez moi, je ne sais pas si elle est bonne ou mauvaise. Quand on fait un film, on joue un jeu avec le public. C'est presque comme de faire l'amour. Cela fait partie du jeu de ne pas tout révéler. Il faut garder un certain équilibre par contre, il ne faut pas tout occulter, sinon le public se désintéresse du film. Mais j'essaie toujours d'expliquer le juste nécessaire, et je danse avec le public d'une certaine manière, pour partager une expérience.

Vos derniers films sont devenus de plus en plus lents. Pourquoi cette évolution?

Oui, mes films se sont ralentis. Pour être honnête, j'ai toujours admiré ce genre de film. J'aime les films de Bergman. J'ai les Woody Allen posé, ceux qui personne n'aime. J'aime beaucoup les films de Kieslowski, hélas il ne nous en offrira plus. J'ai de l'inspiration pour faire ce genre de film. Je n'ai pas étudié le cinéma, je n'ai pas d'éducation dans ce domaine.

Donc je suis devenu réalisateur par accident. Je ne voulais pas faire de cinéma! (rires). Je voulais être footballeur ! (rires) Vous savez, comme Thierry Henry ou Zinedine Zidane. Mais bien sûr ma vie n'a pas pris cette tournure, et je suis devenu réalisateur. J'aime beaucoup ça cependant, je suis tombé amoureux du cinéma et de la réalisation.

Hélas, je n'avais pas de formation dans ce domaine. Pour mon premier film, que peu de personnes ont vu, Fun Bar Karaoke, j'ai tenté, mais c'était un vrai désastre. Je ne maîtrisais pas la technique. Je ne savais pas faire ce genre de film, donc le résultat est très prétentieux. J'ai rapidement fait un deuxième film plus distreyant. En partie parce que je voulais continuer à réalisateur, et en partie parce que je pensais que peut-être, je devais faire des films d'abord, apprendre à raconter des histoires, apprendre à faire venir le public à moi. C'est pour ça que j'ai fait les films du début de ma carrière.

Alors j'ai fait un autre film appelé 6xty-nin9, puis ensuite Monrak Transistor, et j'en ai eu marre de ce genre de film. Ils sont trop prévisibles. Si vous voulez que le public pleure, vous faites ça, si vous voulez qu'ils rient, vous faites ceci. Et soudainement, j'ai eu la chance de travailler avec Christopher Doyle, avec des investisseurs de plusieurs pays. La France était d'ailleurs l'un d'entre eux pour Last Life in the Universe. L'un des acteurs était japonais, ASANO Tadanobu. Il y avait donc de nombreux éléments que je ne pouvais pas contrôler. Vous ne pouvez pas contrôler Christopher par exemple, et à l'époque je ne le connaissais pas trop.

Je me suis dit "ok, parafit, je vais essayer de faire ce type de film que j'ai toujours voulu faire, j'ai plus d'expérience maintenant. Et comme je ne peux pas contrôler tous ces éléments, je vais composer avec". Et essayer d'être un peu plus ambigu avec les éléments de l'histoire. Etre un peu plus flou. Et je me suis dit, si c'est mauvais (et je pensais que 80% du film serait mauvais), ça sera mon dernier film. Personne ne me donnerait à nouveau de l'argent pour faire un film. Je pensais donc que ça serait mon dernier film. J'ai pris ma chance à nouveau de faire le genre de film qui m'intéressait, et par chance le résultat n'est pas mauvais. Et pendant le tournage du film, j'ai trouvé ce genre de réalisation que je souhaitais atteindre, je me suis dit "ça y est, je sais faire maintenant!". Bon bien sûr, ce n'était pas parfait, mais je pensais pouvoir m'améliorer par la suite.

Depuis, je suis mon chemin pour rendre mes films encore plus minimalistes.

Donc vous pensez avoir trouvé votre propre style?

Je ne suis pas sûr, parce que je me lasse très facilement. Quand je fais un film sérieux et que je le termine, je me dis "pourquoi tu as fait un film aussi sérieux? La prochaine fois fais une comédie!". Puis je fais une comédie et je me dis "qu'est-ce qui t'a pris de faire un film aussi stupide? Tu devrais faire un drame la prochaine fois". Donc vraiment, je ne sais pas.

On pourrait dire que je suis à la recherche de mon propre style de cinéma. En Thaïlande j'en ai vraiment marre d'entendre les gens de l'industrie du cinéma dire que je ne fais pas des films Thai, que je ne travaille qu'avec des étrangers, que je courre les festivals... Ca me fatigue, je m'en fiche. Quand je montre mon film en France par exemple, beaucoup de personnes l'apprécient. Quand je le montre en Somalie, beaucoup de personnes l'aiment également. En Thaïlande, certaines personnes l'apprécient, beaucoup ne l'aiment pas trop.

Au bout du compte, j'ai arrêté de croire en un "style national" et aux couleurs de peau. Quand je parle à des gens qui ont apprécié mon film, comme en Argentine, au Brésil, au Mexique, au Sri Lanka, en Inde, ils sont tous les mêmes finalement. Il existe différentes sortes de personnes. Et si vous rencontrez le genre de personne qui vous correspond, vous vous entendez bien. Peu importe si vous parlez la même langue. Surtout que nous parlons tous un mauvais anglais de nos jours, c'est devenu une nouvelle langue (rires).

Vous dites en avoir marre de faire des comédies. Mais même si Monrak Transistor est un film très enjoué, le personnage principal accumule les problèmes. C'est un sujet qui vous intéresse? Comment les gens arrivent à s'en sortir?

Je n'ai pas dit que j'en avais assez des comédies, mais de faire des films trop prévisibles. Mais sinon oui, j'ai bien montrer les mauvais aspects de la vie. Je fais des films sur le suicide, la mort, et des gens qui se mettent dans de beaux draps. Je suis attiré par ce genre d'histoires, et je les montre dans mes films pour essayer de comprendre ce qu'est le bonheur dans la vie.

Sans malheur on ne peut savoir ce qu'est le bonheur, c'est ça?

Oui! Et je pense que le bonheur est surestimé dans la vie. Tout le monde veut être heureux! Mais la vie est tellement malheureuse. Et avec Georges Bush comme maître du monde, comment voulez-vous être heureux ? (rires). Dans mon pays on a aussi tous ces politiciens nullissimes. Mais je pense que les problèmes que je montre dans mes films, ce n'est pas pour être pessimiste, mais plutôt pour être optimiste. Par exemple dans Monrak Transistor, le personnage principal accumule les ennuis, mais ils lui arrivent tous de façon qu'à la fin, il puisse comprendre qu'une vie simple est l'idéal: "j'étais heureux avant, pourquoi ai-je essayé de tout changer?". C'était donc une manière d'essayer de définir le bonheur.

Quel est votre prochain projet?

J'étais un film fantastique, c'est une histoire d'amour, mais il est un peu tôt pour en parler. C'est l'histoire d'un homme qui tombe amoureux d'un arbre. En Thaïlande nous avons des légendes qui parlent d'esprits qui vivent dans un arbre ou un rocher. Avec ce film je veux essayer de faire quelque chose de bon pour l'esprit de la terre. Les films de fantômes ou d'esprit les montrent toujours sous un jour négatif. Ils viennent toujours pour faire peur aux gens. Je veux au contraire faire un film de "gentil" fantôme. 

Merci!


Remerciements à Pen-ek Ratanaruang et au Public System.
date
  • juin 2008
crédits
Interviews