Vesoul 2011

Le festival de Vesoul continue son petit bonhomme de chemin, et a établi une fois de plus un nouveau record d'affluence, avec 28'700 spectateurs, ce qui est assez impressionnant compte tenu du fait que la localité ne comprend que 16'000 habitants. Un public assez diversifié, même si on note une certaine tendance vers une population d'âge moyen, peut-être plus disponible et préoccupée par la découverte de nouveaux horizons que d'autres. Les jeunes sont quand même présents, et représentés par leurs propres jury, lycéen et collégien, mais aussi par la visite de certaines classes les matins de jours de semaine. Un moyen comme un autre d'apporter aussi un autre regard sur ce cinéma, même si le choc peut parfois être rude, comme par exemple lorsqu'une classe d'ados débarque au milieu d'une projection d'un film de ZHANG Lu .

 

Une ambiance imcomparable

Mais surtout, fidèle à sa tradition, ce festival est l'occasion pour nous de côtoyer des cinéastes connus ou moins connus, de pouvoir discuter simplement avec eux autour d'un repas ou de quelques verres, et de retrouver toute une communauté de journalistes, professionnels, étudiants de cinéma ou de langues asiatiques, ou simple festivaliers, tous passionnés, avec lesquels les nuits deviennent vite bien trop courtes. Un lutte quotidienne s'installe alors bien vite pour résister aux appels de paupières pendant les séances à l'aube (10h du mat'...), et on carbure au café pour maintenir un rythme régulier de cinq films par jour. Une ambiance bon enfant, donc, qui s'est traduite par des vannes récurrentes en référence à certains films, des soirées endiablées sur les rythmes de Bollywood ou de la pop coréenne qui ont fait trembler la Bambouseraie, ou encore l'intervention de gendarmes nous invitant à baisser le volume car Vesoul aussi tremblait.

Malgré tout, à titre personnel, j'ai pu remarquer une baisse de régime dans les derniers jours, avec de nombreux départs avant la fin du festival, et le jour de clôture fut si peu fréquenté qu'il en devenait presque glauque. Heureusement qu'il y avait la cérémonie pour nous rappeler qu'il y avait encore du monde présent ce jour-là. Une cérémonie qui tire son charme de ses petits imprévus : Jean-Marc Thérouanne laissant échapper certains noms du palmarès avant les discours officiels ; la productrice du film chinois Addicted to Love tellement émue par ses trois récompenses qu'il a fallu l'interrompre lors de son troisième message de remerciements ; la longue lettre du réalisateur iranien Jafar Panahi lue en farsi et traduite en anglais et français, qui a doublé à elle seule la durée de la cérémonie... C'est aussi ça qu'on aime à Vesoul.

A noter également que cette fois-ci, la tente faisant office de lieu de rendez-vous des festivaliers était désormais dotée d'un traiteur, qui avait au moins le mérite de proposer des repas variés, avec du choix, et pour un bon prix. Ca fait du bien au porte-monnaie, et en même temps, on n'avait pas trop le choix, c'était soit ça, ou se contenter des sandwiches du multiplex.

Tant que j'en suis à parler du cinéma, je tiens également à signaler qu'à de très (trop) nombreuses reprises, on a eu affaire à des problèmes de projections, avec une image trop haute ou trop basse, qui dépassait les cadres de l'écran et qui rognaient même parfois sur les sous-titres ! Alors qu'il aurait suffi de réduire la taille de l'image... A une ou deux occasions, le film a même été interrompu après une erreur de manipulation des bobines. Extrêmement frustrant.

J'ai aussi apprécié les présentations à la passion communicative du truculent Bastian Meiseronne avant la plupart des projections, qui remettait toujours les films dans leur contexte afin de mieux les apprécier et n'hésitait pas à décoincer un peu l'assistance avec quelque plaisanterie de bon goût, ou pas. Ce qui a fait mouche apparemment, puisque le public en redemandait en scandant son nom après avoir pris place dans la salle mais aussi lors des soirées. J'en profite d'ailleurs pour féliciter également les Thérouanne pour leur organisation, car tout s'est parfaitement enchainé sans le moindre couac.

 

Une programmation au fort engagement social

Une autre tendance semble se dessiner fortement sur cette édition, avec un cinéma socialement et politiquement engagé, avec des sujets souvent difficiles, qui se succédaient avec les séances, et qui finissaient fatalement par mettre le moral dans les chaussettes. La rétrospective sur le cinéma sud-coréen était ainsi ponctuée de très nombreux viols (j'en ai compté une dizaine environ), figure métaphorique absolue de la Corée ravagée par les influences extérieures.

La thématique sur les familles asiatiques venait alors nous mettre du baume au cœur et nous réconfortait chaleureusement (voire même trop chaleureusement, cf. Serbis). Avant de se plonger dans une sélection de films cambodgiens très difficile, car essentiellement consacrés au massacre perpétré par les Khmers rouges et les blessures profondes qui ralentissent sa reconstruction. Principalement des documentaires, courts ou longs, qui visent à rétablir une mémoire collective des événements passés, ou de faire un état des lieux actuel. Ca fout le cafard, mais ça restait très enrichissant.

Très peu d'occasions de rire, donc, et c'est pourquoi quelques rares films comme Mon amour, mon épouse faisaient le plus grand bien au milieu de tout ce désespoir.

 

Des trésors du cinéma coréen du XXe siècle

Passons maintenant en revue les films présentés lors de cette édition. Pour moi qui habite si loin de la capitale mondiale de la cinéphilie, Paris, les chances de voir d'anciens films coréens sur grand écran sont minces. C'est pourquoi la programmation du festival m'a tout de suite plu avec ces vingt-cinq longs-métrages prêtés par la Cinémathèque.

Les films représentant la dernière décennie ne sont clairement pas des découvertes, tant leurs noms sont couramment cités parmi les amateurs (JSA, Memories of Murder, Peppermint Candy, Locataires, etc.). Les dernières années sont même timidement représentées, avec le Woman on The Beach d'un Hong Sang-soo qui commençait déjà à se répéter, ou la Rivière Tumen, trop élitiste pour un résultat décevant. Ce n'est clairement pas pour ceux-ci que j'ai fait le déplacement, même s'il est toujours agréable de pouvoir en redécouvrir certains d'entre eux dans des condition optimales. Par contre, plus on remonte loin dans la chronologie, plus rares sont les films : Le Pays du coeur, qui est le plus ancien, doit son existence actuelle que grâce à la copie conservée à Paris ! De vrais petits trésors dont on aurait tort de s'en priver, d'autant que la qualité était généralement au rendez-vous. Quelques exceptions à cela, avec Les Corrompus ou Le Brouillard qui sont très quelconques, ou encore La Vallée de Pia, qui au-delà de sa particularité de raconter l'histoire de Nord-Coréens, devient rapidement pénible.

La plus grosse partie de la rétrospective était dédiée aux années 1979-1990, celles d'une transition progressive vers la démocratie en Corée du Sud, avec pas moins de huit films. La Saison des Pluies, L'Arirang de Kuro, Chilsu et Mansu ou encore Mère porteuse ont été les dignes représentants de cette époque importante dans le cinéma coréen.

Finalement, cette partie du festival a constitué l'essentiel de mes visionnages, et même si l'expérience n'a pas toujours été heureuse, cet événement méritait à lui seul de faire un petit tour par Vesoul.

 

 

Une compétition un peu décevante dont aucun film ne s'est vraiment démarqué

L'autre gros morceau était bien entendu la compétition, dans laquelle on a été dans l'ensemble assez déçus par la baisse de niveau par rapport à l'année passée. J'ai été très vite découragé par les mauvais échos faits des films de la compétition lors dès premiers jours et je me suis alors concentré sur ceux qui me parlaient en lisant leurs synopsis.

Pas de grandes surprises néanmoins, à part peut-être P.S., film ouzbek décomplexé, qui nous a bien torturé l'esprit à essayer de le comprendre mais qui a su rester fascinant jusqu'au bout. Le Voyage de Haru a également marqué le retour de Masahiro Kobayashi à Vesoul, alors qu'il avait du annuler précipitamment sa précédente visite à cause du décès de son père. Film inspiré justement par cet événement, c'est donc tout naturellement qu'il a voulu boucler la boucle en le présentant à Vesoul. Même s'il comporte plusieurs imperfections, l'émotion est parfaitement transmise, et ce fut un grand retour dans mon estime d'un réalisateur qui m'avait beaucoup déçu par ses derniers films.

Riding the Dreams était également intéressant par le choc culturel provoqué entre un village aux coutumes traditionnelles et une famille de l'Inde moderne qui n'y voit que du folklore. Un conte philosophique parfait pour les festivals occidentaux en mal d'exotisme, parfois un peu trop long, mais qui fut une valeur solide au sein de cette sélection de films.

Sortie de course par contre pour Where are you going ?, qui a accumulé les clichés tout en se perdant dans de multiples sub-plots pas franchement utiles, on se demande encore quel était le but de ce long-métrage.

 

 

Un émouvant hommage au Cambodge et aux victimes de son histoire récente

Le Cambodge nous a été gracieusement présenté par Bastian Meiseronne, en rendant hommage à Rithy Panh, mais aussi à son Centre Bophana destiné à ausculter le passé du pays et à le transmettre, et dont le cinéma n'est qu'une facette des moyens employés. Et à cette occasion, il était possible de voir quatre courts documentaires. On a évidemment eu droit au saisissant S-21, qui n'a certainement laissé personne indifférent.

Mais il ne fallait pas croire qu'en ayant vu celui-ci, on aurait tout vu ! La Terre des âmes errantes, par exemple. Un groupe de paysans et de pauvres sans emploi sont engagés pour un salaire de misère afin de creuser et installer l'autoroute de l'information, le câble permettant au Cambodge de rejoindre Internet, et donc de rester connecté à l'économie mondiale... On peut difficilement aller plus loin dans les extrêmes. Il y a plus d'émotions, de suspense et de retournements de situation que ce qu'on demanderait d'une fiction. Sauf que là, impossible de se détacher de ces personnages, et on se prend les coups du sort en même temps qu'eux.

Séquence émotion également avec L'Important c'est de rester vivant, puisqu'on pouvait suivre le parcours de la réalisatrice de ce documentaire à travers la quête de son passé, en parallèle à celui de son pays. D'abord un jeu de questions-réponses avec un des accusés de crime contre l'humanité, à qui elle a caché son identité. Considérée comme pervertie car sa famille résidait dans la capitale, elle a fait partie de ceux qui ont subi le pire traitement, détestés par toute la population rurale. Puis, avec ces souvenirs ravivés, elle décide de retrouver les lieux où elle a failli perdre la vie, en compagnie de sa mère et de sa fille. La présence dans la salle de ces trois personnes ajoutaient à la force du moment, mais une fois la projection finie, on n'en ressort pas avec l'impression d'en avoir appris plus sur les événements. Le plus grand intérêt reste donc d'avoir pu mettre un visage à une des nombreuses victimes et à comprendre comment elle a pu s'en sortir.

 

"C'est de la bombe, bébé!" - Gilles

Bref, que dire de plus, à part que le festival de Vesoul, c'est vraiment une expérience à part, qui va au-delà de la simple succession de projections de films, et qu'on passe vraiment à côté de l'événement si on ne partage pas au moins un verre avec une brochette d'invités, de professionnels et d'amateurs en tous genres. Des légendes se créent, les rumeurs se propagent, les soirées improvisées se prolongent tard dans la nuit, les discussions sont vives et presque toujours intéressantes.

Je vous laisse donc maintenant avec le palmarès complet de cet édition, ainsi que les liens vers mes critiques plus ou moins approfondies des films pour lesquels j'étais motivés d'écrire.

 

Palmarès

CYCLOS D'OR Ex æquo : pour leurs styles totalement différents qui ont capté l'attention du jury international : P.S. de Elkin Tuychiev (Ouzbékistan) et Addicted To Love de Liu Hao (Chine)

Grand Prix du Jury International : Running Among The Cloudsde Amin Farajpoor (Iran)pour son courage et son style.

Mention spéciale : Where Are You Going de Park Chur-woong (Corée), par ce choix, le jury international aimerait attire l'attention sur le travail prometteur du réalisateur coréen Park chur-woong.

Prix du Jury NETPAC : P.S.de Elkin Tuychiev (Ouzbékistan).Le film aborde les mythes et la folie en une construction cinématographique qui traduit les réalités complexes de la vie contemporaine.

Prix Emile Guimet : Addicted To Love de Liu Hao (Chine) :pudeur, tendresse et humour. Une fenêtre qu'on ouvre sur un univers socialement gommé. Des personnages émouvants et un traitement cinématographique original. Un film parfaitement abouti, sensible et enthousiasmant.
Coup de cœur Guimet :P.S.de Elkin Tuychiev (Ouzbékistan).Dictature du pouvoir, dictature de l'esprit, pression médiatique, pression sociale, pression familiale... Quand la privation de libertés conduit à la seule issue possible : la folie. En multipliant métaphores et énigmes, le film est une source de questionnement pour le public.

Prix Langues' O : Addicted To Lovede Liu Hao(Chine) pour  la justesse et la délicatesse avec lesquelles il peint ses 
personnages, et pour sa façon d'aborder avec subtilité la vieillesse  et sa place au sein de la famille.
Coup de cœur Langues 'O :Riding The Dreamsde Girish Kasaravalli (Inde) dont le film met en valeur, avec singularité et enchantement, l'univers onirique de la tradition indienne.

Prix du public longs métrages de fiction : Voyage avec Harude Masahiro Kobayashi (Japon).

Prix du public du film documentaire: Les Egarésde Christine Bouteiller (Cambodge-France).

Prix Jury Jeunes : Homeless In Japande K.M. Lo (Singapour)

Prix du Jury Lycéen : Running Among The Cloudsde Amin Farajpoor (Iran)


Critiques

Le Voyage de Haru
Where are you going ?


La Rivière Tumen
Les Corrompus
Le Brouillard

Les Pommes de terre

La Petite fille de la terre noire

La Saison des pluies

L'Arirang de Kuro

Chilsu et Mansu

Mère porteuse

La Vallée de Pia

Prince Yeonsan

Hwang Chini

Mon amour, mon épouse

Le Pays du coeur

Le Mûrier

S-21

 

date
  • mai 2011
crédits
Festivals