Hideo Nakata ; entretien au sujet de The Complex

Interviewé à l'occasion de la 20ième édition du festival Fantastic'Art de Gérardmer 2013, le réalisateur japonais Hideo Nakata (The Ring) nous parle de son dernier bébé, The Complex. Attention : cet entretien contient quelques spoilers sur ce film ainsi que sur The Chatroom. Au programme : les fantômes et lui, sa collaboration avec Kenji Kawai ainsi que son appréciation de cette génération d'acteurs non professionnels issus de la j-pop.

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Sur la revue de presse, on peut lire que vous revenez aux histoires de fantômes après très longtemps. Mais je ne trouve pas que...

En fait les gens, presse incluse, ont tendance à oublier The Ring 2, fait aux USA, et mon film japonais de fantôme, Kaidan, que j’ai réalisé il y a 6 ans. Beaucoup de gens ont sauté cela. Ils veulent voir que j’ai fait The Ring, l’original, et Dark Water. Ces deux films sont probablement mes plus célèbres. Je me moque un peu des genres de films, films d’horreur, thrillers, films d'action, drames… Je sais être catalogué comme un réalisateur de films d’horreur.

C’est votre marque de fabrique.

C’est vrai. Mais je ne m’y sens pas si rattaché que ça.

Dans ce film, The Complex, j’y ai vu deux films en un. L’un avec l’histoire de ce vieil homme, qui représente cette "nation d’âmes esseulées", pour reprendre la revue de presse, et de l’autre cette trame autour de l’enfant. Ai-je tort ? Ou bien pensez-vous que tout est connecté ?

Je parlerais plutôt de 3 personnes. Avec la fille, ce vieil homme - son voisin - et le garçon, ce sont trois âmes seules. Un mort, un vivant sur le point de mourir, et la fille. Le vieil homme essaye de l’avertir, elle, que le garçon est dangereux.  Qu’elle ne doit pas s’approcher de lui. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi il ne lui dit pas, tout simplement ! (rires). Il aurait pu lui dire « attention, ce garçon est dangereux et… »

En effet : pourquoi ne lui dit-il pas ?

Je ne sais pas. S’il parle, c’est la fin du film ! La relation entre le vieil homme et le garçon n’est pas si claire. Le garçon dit que c’est son grand-père qui vit là. A côté de la chambre du garçon. « Mais ça n’est pas mon vrai grand-père » qu'il dit, ou quelque chose d'approchant. Au public de jouer avec une intrigue encore inconnue. Mais c’est une sorte d’évidence que le garçon a pris sa vie. La question est de savoir où l’on va trouver ce vieil homme. Son corps, dans une pièce ou dans les flammes de l’enfer.

L’histoire de ce vieil homme est plutôt neuve. C’est rare. Et ça marche, c’est terrifiant parce que c’est notre propre mort qu’on voit là. Nous sommes désormais très habitués, par contre, aux histoire de fantômes d'enfants. [spoiler] Cet enfant et cette affreuse poubelle rappellent d’ailleurs beaucoup la petite fille au sac rouge et le réservoir d’eau de Dark Water [fin spoiler]. Savez-vous pourquoi d’horribles personnages âgées sont si rares dans le cinéma horrifique ?

(il réfléchit). De mon point de vue, les vieilles personnes sont près d’un autre monde. L’horloge tourne, tic tac tic tac… la fin est proche. Mais les enfants sont aussi sur le point de découvrir un monde inconnu. Ils n’étaient rien avant leur naissance. Et les gens, nous inclus, retournerons à ce rien. On appartiendra à un autre monde. Ces deux enfants et le vieil homme sont tous près d’un autre monde. User d’un vieil homme comme d’un fantôme dans un film, de mon point de vue ça n’est pas très excitant parce que cela parait trop naturel.

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Moi, pourtant, cela me terrifie. Je pense à ma propre fin. Et je ne veux pas non plus être vieux, ressembler un jour à ça. Ce sentiment était assez frais ici, presque nouveau.

Oui, mais en tant qu’instinct humain, pensez à l’homme des cavernes, à sa famille. Bien sûr, il arrive que de jeunes gens meurent avant nous mais d’habitude ce sont les vieilles personnes qui partent. Le grand-père meurt. Il ne respire plus. Jour après jour, il se décompose. Sa famille va commencer à penser, à réfléchir : où est-il allé ? Il ne parle plus. C’est le début des histoires d’horreur. Les morts. Par instinct, on ne veut pas mourir parce que…

Parce-que.

Parce qu’alors on ne mange plus, nous n’avons plus de relations sexuelles, on ne communique plus avec notre famille… Le mort lui-même peut pousser les gens à imaginer un autre monde. Comme les momies égyptiennes etc, on crée tous nos propres histoires sur les morts, le monde, juste en remuant le corps des morts, et c’est assez naturel. On ne peut pas les aider, ces morts, on n’a pas les compétences pour.

Revenons-en aux fantômes. Chacun d’eux représente quelque chose : la culpabilité, le deuil, un palliatif…  On trouve des points communs entre histoires de fantômes occidentales et orientales. J’ai pensé à Freddy Krueger en voyant The Complex. Parce que le feu, parce que cette malédiction, ce grand brûlé... Même dans The Chatroom ça m’a frappé, à tel point que j’y ai vu un croisement entre Les griffes de la nuit et The Breakfast Club. Quelle différence feriez-vous entre une légende urbaine occidentale comme celle de Freddy Krueger et vos Yōkai japonais bien à vous ? Si différence il y a ?

Bien sûr, nous avons des choses en commun, mais les films de fantôme et plus généralement d’horreur occidentaux sont influencés par le christianisme. Vous avez le Dieu, le bien et le mal. Le diable. Les fantômes japonais, ou asiatiques, peu importe qu’ils soient de bons ou de mauvais fantômes envers les humains. Ils ont pour habitude d’être de mauvaises créatures, c'est vrai. Dans la plupart de nos films les fantômes sont compréhensibles. On peut comprendre pourquoi ils se comportent comme ils le font, pourquoi la femme fantôme de Ring fait ce qu’elle fait. Auparavant, ils faisaient partie de la race humaine. J’avoue ne pas bien connaître Freddy Krueger  (rires) ! Disons qu’il est le mal incarné, on ne le comprend pas, c’est le mal contre Dieu. Les prêtres contre le mal, ils combattent l’un contre l’autre. Dans mes films, les fantômes sont mauvais mais on arrive à les comprendre, comme le personnage d’Aaron Taylor Johnson dans The Chatroom. Il est mauvais, essaye de pousser l’autre garçon au suicide, indirectement il essaye de le tuer mais en réalité c’est lui qui veut mettre fin à ses propres jours. Ce qu’il fait, à la fin. C’est un garçon triste, on arrive à comprendre pourquoi il pousse l’autre à ça.

Un méchant, ou un vilain fantôme, est-ce toujours d’après vous quelqu’un de triste ?

S’il n’y a pas d’élément de tristesse, ce fantôme est juste un méchant, le diable. S’il existe des éléments qui provoquent la compassion, je trouve que c’est plus intéressant.

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Encore une fois, Kenji Kawai a composé votre musique. Dans The Chatroom je l’avais bien reconnu, ici pas du tout. C’est plus subtil mais je trouve son score assez remarquable. Comment avez-vous communiqué sur la musique pour The Complex ?

Lorsqu’il compose pour l’animation, son style est plus reconnaissable. Pour The Chatroom également, parce qu’il a pu y placer quelques mélodies. Pour The Ring, Dark Water et The Complex, nous étions d’accord sur le fait qu’une mélodie serait néfaste à l’instauration d’un sentiment de peur. Il y a un très léger fredonnement qui colle au personnage féminin, thème qui apparaît un peu au début et à la fin, répétitif. Parce que c’est très simple, on ne reconnaît pas la mélodie.  Ses musiques dans mes films d’horreur ne sont pas très différentes du travail effectué sur le son. Le son peut être utilisé pour créer une certaine forme de musique. Sa musique est davantage un effet musical qu’un air musical, combiné à tous les autres effets sonores, qui ne sont pas dus à Kenji Kawai mais à monsieur Shiwazaki. Il travaille sur la plupart de nos films, c'est un très talentueux designer sonore. Il travaille les effets. Ca (« toc, toc ! », il tape sur la table), c'est un effet sonore très réaliste. Quand le fantôme apparaît, un effet sonore spécial s'ajoute à l'effet musical. Les deux sont combinés. Ce que vous entendez, ça n’est pas seulement de la musique. C’est un effet sonore, qui combine plusieurs éléments.

Je comprends. C’est très clair. Concernant votre actrice Atsuko Maeda, j’ai lu que c’est une idole au Japon...

Oui. C’était une idole, chanteuse d'un groupe appelé AKB48. Ce sont des adolescentes de 20 ans. Elles chantent et dansent.

Dans les films de Hong Kong, je pense que la qualité a commencé à baisser à partir du moment où de jeunes et beaux chanteurs ont remplacé les acteurs professionnels, dans l’optique d'amener plus de monde dans les salles. Pensez-vous, sans parler spécifiquement d’Atsuko Maeda, que cela peut également affecter le cinéma japonais ?

(rires) C’est possible, mais en même temps certains musiciens sont aussi très doués en tant qu’acteurs. S’ils ont une approche sérieuse du jeu d’acteur, cela ne me dérange pas de travailler avec ces musiciens et chanteurs. Cela dit, préférons-nous vraiment avoir toujours face à nous des acteurs professionnels ?…    


Propos recueillis lors du festival Fantastic'Art de Gérardmer 2013.
Merci à Céline Petit du Public Système, qui a permis cet entretien.
Merci à Hideo Nakata d'avoir eu l'amabilité de répondre à ces questions.
date
  • mars 2013
crédits
Interviews