Interview Peter Chan

 

Peter Chan est une des personnalités incontournables du cinéma de Hong-Kong des années 90. Co-fondateur des studios UFO et Applause, il a participé à de nombreux projets marquants, que ce soit comme réalisateur ou producteur. Loin de ne parler que de ses films, Peter Chan est une des personnalités les plus intéressantes à interviewer à Hong-Kong en raison de la pertinence de ses commentaires et de ses analyses. François a eu la chance de pouvoir s'entreteniravec lui, voici donc la transcription de cet entretien très enrichissant, divisé en plusieurs chapitres:

 

François: En premier lieu, j’aimerais parler de votre travail au sein du studio UFO. Beaucoup de gens pensent qu’il s’agit de l’un des studios HK les plus intéressants des années 90. Pourriez-vous nous dire qui l’a créé et qu’elle était son but au début ?

Days of Being Dumb,
un des premiers UFO
Peter: Ca a commencé en 1990-91 et à l’origine, il y’avait trois fondateurs : Eric Tsang qui joue dans la plupart de mes films, Claudia Cheung et moi-même. Le but était de nous fournir une sorte de refuge aux cinéastes, un endroit nous pouvions faire les films que l’on voulait sans être sous le contrôle d’une major. Si on revient en arrière à Hong-Kong au début des 90’s, La production cinématographique était inondée de films suivant les modes de l’époque, c’est-à-dire beaucoup de films d’actions, de polars, de kung-fu et de wu-xia-pan. En ce temps, on sentait que nos sensibilités personnelles ne correspondaient pas à ces genres en vogue et c’est pour ça qu’on cherchait un endroit où réaliser les films dont on avait envie.

Des trois fondateurs de départ, on est passé à cinq voire six ce qui inclut Lee Chi-Ngai, Jacob Cheung et finalement James Yuen qui était notre scénariste habituel. Et donc, tous les six , nous avons bâti cette sorte de consortium. Si nous avions travaillé séparément nous n’aurions jamais pu arriver à nos fins mais ensemble, nous avions de plus grandes chances de développer quelque chose en dehors du système mainstream hong-kongais. Ca c’était vraiment le concept derrière UFO, sans qu'on n'ait vraiment tout planifié depuis le début. Puis après deux ou trois succès ont fait de ce groupe un succès. Notre capacité de travail et de création après 1991-92 était très forte, nous avons eu une part de marché significante à cette époque à Hong-Kong.

F: Dans la plupart des films UFO, il y’a toujours un sujet intéressant comme la religion, la carrière, l’industrie musicale que vous tourniez endérision. Est-cecette liberté a été l’une des plus grandes qualités d’UFO ?

He's a Woman,
She is a Man (1993)
P: Ce n'était pas vraiment une liberté vis à vis des tabous, ou d'une censure du gouvernement, car Hong-Kong est l’une des villes les plus libérales au monde. Mais la liberté dont vous parlez est plutôt une liberté par rapport aux conventions d’une société essentiellement dirigée par l’économie. Il faut comprendre qu’Hong-Kong est une très petite ville avec une faible population, on ne laisse aucune culture ou sous-culture émerger. Notre culture populaire ne l’est pas vraiment, nous ne sommes que 6 millions de personnes et de fait, une contre-culture ne proviendrait que de rares personnes isolées. Cela a toujours été notre limite. Tout ce que produit Hong-Kong tombe toujours dans un moule pré-fabriqué et de fait, notre liberté de choix et de sujets a toujours été limitée par les impératifs économiques. L’économie est dictée par des pays exportateurs comme Taïwan, Singapour, la Malaisie, la Corée, etc. Tous ces pays ont des goûts très conservateurs, ils aiment tous l’action, les comédies « lourdes » et autres films dans le genre, donc c’est très difficile de faire des comédies intelligentes.

Ce dont vous parlez, c'est en gros de la comédie intelligente avec un vrai sens de l'humour, qui ose se moquer de la tradiction, de la culture chinoise, et même de la religion d'une certaine façon. Ces sujets n'étaient pas des tabous culturels, mais économiques. Ils ne faisaient pas d'argent. Nous sommes arrivés à combiner la comédie qui est un genre très commercial avec un fond qui a quelque chose à dire, les comédies d’avant ne posaient aucun regard par rapport à la société où nous vivons. De cette façon nous avons réalisé des comédies qui nous plaisaient, avec un soupçon d’intelligence en plus et une relation par rapport à notre société.

Malgré tout, le public traditionnel est très conservateur, les chinois n’ont pas le même sens de l’humour que les occidentaux. Quand vous vous moquez des traditions, c’est très dur pour le public d’accepter ça et la plupart du public (même les jeunes) ne possède pas ce sens de l’humour. Ils peuvent rire d’une personne glissant sur une peau de banane mais ils n’arrivent pas à rire de quelque chose en rapport avec la politique, ils ne savent justement pas comment s’amuser.

F: C’est peut-être parce que pour les hong-kongais, les films tiennent plus du divertissement que de l’art ?

P: Oui, du divertissement, c’est exact : c’est d’ailleurs pour ça qu’il nous a fallu bien des années pour être sur la même longueur d’onde que le public. Je ne dirais pas que nous les avons « éduqué » mais le public s’est habitué à ce style de comédie. J’ai d’ailleurs fini le tournage d’un film appelé Golden Chicken qui sera encore plus poussé que nos œuvres précédentes. Je suppose que nous ne l’avez pas encore vu ?

F: Disons que je pourrais, mais ça ne serait pas trop légal : )

P: (Rires) Celui-ci va justement dans le sens de ce que j’ai expliqué au sujet des films UFO. C’est plus mature et bien plus politique. En fait, pas vraiment politique mais plutôt social, cela va encore plus loin car le film traite des prostituées. Le film est narré par une prostituée qui raconte son histoire qui est celle de Hong-Kong durant ces 20 dernières années. Le film a très bien marché à Hong-Kong, mais c’était aussi très controversé, sur internet des gens on dit que c’était vulgaire, que c’était de l’humour de bas niveau. Et encore une fois, plein de gens ont adoré, ce qui montre qu’après dix ans, une large partie de la société n’a pas changé.

F: C’est peut-être mieux qu’avant car Golden Chicken a fait 16 millions $HK devant Infernal Affairs, Hero et Harry Potter. C’est encourageant non ?

P: Oui, c’est très encourageant, vous semblez au courant de l'actualité local?

F: On essaie de suivre, effectivement. Revenons-en à UFO. L’un des points communs à beaucoup de films, c’est leur nostalgie des décennies passées, comme He Ain’t Heavy, He’s My Father, Metade Fumaca, And I Hate You So... Est-ce juste une coïncidence ou un thème voire une ambiance intrinsèque à UFO ?

P: Ce n’est pas une coïncidence, cela vient de Lee Chi-Ngai et moi. Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence que les gens d’UFO possèdent ce genre de thématique car nous aimons les mêmes choses à la base. Ce n’est pas non plus un hasard si l’âge d’or d’UFO réside dans les dernières années précédant la rétrocession. Nous sommes tous arrivés à la même période, la période où le gouvernement britannique dirigeait encore Hong-Kong et tous ces Hong-Kongais qui ont grandi dans les années 50, 60 et 70 se sont mis à réfléchir sur leur vie et à penser à l’exil pensant que c’était la fin de tout une ère. Cette mentalité s’est très largement répandue et a influencé chaque réalisateur, de là vient ce sentiment de préservation d’une époque, de ce qu’était Hong-Kong. C’est ainsi que les films se demandaient d’où on venait (He Ain’t Heavy, He’s My Father), où on en était (Tom, Dick And Hairy) et où nous allions. Ce sentiment a probablement été le point commun des films du début des années 90.


"Nous aimons tellement cet endroit" (à propos de Hong-Kong)

Mais en même temps chez UFO, nous nous sommes éloignés des réalisateurs qui avaient fait les mêmes choses, comme C’est La Vie Mon Chéri qui traite beaucoup d’Hong-Kong par exemple. Mais de toutes façons, je pense qu’on est toujours un peu différent chez UFO et cette différence vient de ma collaboration avec Lee Chi-Ngai car nous avons tous les deux été élevés à Hong-Kong mais sommes partis de là à un très jeune âge. J’ai émigré à 12 ans et vécu 10 ans à l’étranger aux USA et en Thaïlande avant de revenir à Hong-Kong. Lee Chi-Ngai est parti à 17 ans je pense et a passé 12 ans au Canada. Nous sommes similaires car nous avons été arrachés à notre patrie à un jeune âge, un âge où nous étions suffisamment âgé pour savoir que notre identité était d’être Hong-Kongais et malgré ça, on nous a fait émigrer. Prenons par exemple un bol de nouilles : pour nous ça signifie beaucoup plus de choses que pour un pur hong-kongais. Pour eux, c’est quelque chose d’acquis qu’ils peuvent avoir tous les jours mais pour nous, c’est un bol de nouilles que l’on ne peut avoir qu’en rentrant à Hong-Kong. C’est ainsi que notre amour pour Hong-Kong s’est trouvé grandement renforcé. Certaines personnes décrivent ça comme un amour démesuré pour la ville et parfois, il arrive le contraire car on adore tellement cet endroit qu’on ne peut s’empêcher de le critiquer. Mais nous avons toujours été définis comme des non-hong-kongais, car nous avons grandi à l’étranger mais pourtant nous nous sentons plus Hong-Kongais que certains locaux car on n’arrête pas de parler de la ville, on ne peut s’empêcher de le faire…

 

F: En parlant de ça, comment les gens de l’industrie et plus généralement la population ressent cette situation ? Vous vous sentez Hong-Kongais ? Chinois ? Il semble que les films HK actuels n’arrivent pas à trouver un nouveau style peut-être parce que justement, les Hong-Kongais ne savent pas qui ils sont  et où ils vont ? Ils ne trouvent plus leur place en Asie comme avant ?

P: Vous avez raison. Je suppose que vous savez sur quoi je travaille récemment ?

F: Oui bien sûr, Applause Pictures.

P: C’est l’une des raisons… Applause Pictures est conditionné par l'économie. Beaucoup de gens me disent « vous êtes ambitieux, vous voulez être pan-asiatique, blablabla » : je ne cesse de leur dire qu’être pan-asiatique n’est pas une ambition, pour nous c’est une nécessité, c’est une question de survie pour pouvoir manger à sa faim tous les jours. Sans les autres pays asiatiques, on ne survivrait pas, c’est l’instinct de conservation qui parle en premier lieu. C’est un fait qu’après la rétrocession, j’étais perdu et sans repères en tant que réalisateur Hong-Kongais et c’est en partie pour cela que j’ai arrêté la réalisation à HK après Comrades Almost A Love Story. J’ai déménagé aux Etas-Unis où j’ai fait un film puis je suis revenu pour créer un studio de production pan-asiatique. Tout ce que j'ai fait était en quelques sortes à la limite de l'industrie Hong-Kongaise. Ce n'était jamais vraiment Hong-Kongais, mais il y avait beaucoup d'éléments Hong-Kongais, car à la base, je suis Hong-Kongais. Où que j'aille, je suis de Hong-Kong. Si je fais un film américain, je suis l'élément Hong Kongais. Je serais toujours un Hong-Kongais, mon coeur sera toujours à Hong-Kong. Si je fais un film panasiatique, il sera tout de même majoritaiement Hong-Kongais, simplement à cause de ma participation.

Mais au regard de l’état de l’industrie cinématographique HK et le fait que nous n’ayons pas eu énormément de bons films ces dernières années, il est évident qu’on a perdu la flamme qui nous animait au début des 90’s et j’ai essayé désespérément de chercher ce qui n’a plus été. Je pense que depuis 1997, nous ne savons plus qui nous sommes. Le fait est qu’en tant qu’hong-kongais nous avons toujours été fier de notre ville car dans les années 80 nous étions la figure de proue de l’Asie mais ces temps sont bien révolus. La Corée, la Thaïlande, chaque culture de l’Asie ont émergées ces dernières années. En dehors des films hollywoodiens, les films coréens ont eu un beau succès dans leur pays et même à l’export, même les films thaï réalisent de meilleurs chiffres que les films HK.

Three, une production
Thailando- Coréo-Hong Kongaise
Alors tout d’un coup, le statut d’Hollywood de l’Asie que détenait HK a été repris par les thaïs, les coréens et bien d’autres et c’est probablement la même chose qui est arrivé au Japon il y’a 10 ans. Car les films Japonais dans les années 80 ont commencé à décliner au box-office et la mode des idoles japonaises et des films japonais a commencé à s'évanouir. C’est exactement la même chose qui s’est passé à Hong-Kong ces cinq dernières années. Une partie des raisons réside dans notre perte d’identité qui affecte notre travail car nous ne sommes plus les mêmes personnes qu’avant. On essaye de se trouver une nouvelle identité mais on n’y arrive tout simplement pas. Sommes-nous chinois ? On n’est pas vraiment chinois. Sommes-nous taïwanais ? On n’est pas vraiment taïwanais non plus. Les chinois et les taïwanais se ressemblent bien plus que nous leur ressemblons et c’est à cause de notre passé colonial britannique, de notre occidentalisation. Quand on va en Chine pour travailler ou regarder des films, on réalise que malgré tout ce qui les oppose, les chinois et les taïwanais sont quand même des frères. Ils savent communiquer entre eux, ils ont la même langue, ils ont le même style. C’est amusant qu’ils soient ennemis malgré qu’ils soient bien plus semblables que nous.

Une des raisons pour lesquels les films Hong-Kongais n'ont plus vraiment de succès depuis quelques temps est que nous ne savons pas qui nous sommes. Et si nous ne savons pas qui nous sommes, nous ne savons pas quoi faire comme films. Ce n’est pas seulement une part d’observation mais aussi une part de mon expérience personnelle parce que je ne sais plus quoi faire à Hong-Kong. J’ai réalisé Love Letter qui a à voir avec HK certes, mais c’était juste mon travail, cela n’était pas le même processus de fabrication qu'avec UFO. Ensuite j’ai fait Three qui a débuté comme une collaboration entre trois pays pour pouvoir atteindre le public et étendre notre marché. Certains critiques ont commencé à pointer des éléments subliminaux et inconscients dans Going Home auquel je n’avais pas pensé en tant que réalisateur mais qui soulignent mon cœur de Hong-Kongais, mon conflit intérieur et mes sentiments à l’égard d’Hong-Kong aujourd’hui. Mais une fois encore, l’histoire aurait pu se passer n’importe où, au point que le film aurait très bien pu être en dehors de Hong Kong.

 

F: Je ne suis pas tout à fait d’accord, je pense qu'on ne pourrait pas en faire un remake aux USA car le public ne partagerait pas les sentiments de Léon Lai, car la médecine occidentale est beaucoup plus cartésienne. Etait-ce conscient ou inconscient cette approche de la médecine chinoise ?

P: Ce qui est amusant, c’est que tout cela était inconscient, au départ je voulais faire un film sur l’amour et jusqu’où on pouvait aller qu’on aime quelqu’un. J’ai utilisé la médecine comme une manière de raconter une histoire et si vous notez bien, j’ai laissé plein de détails de côté. J’ai essayé d’amener le film à un niveau où le spectateur ne se poserait pas de questions, j’espérais que le public croirait en l’histoire que je leur raconte non pas à cause de l’apport de la médecine chinoise mais juste par le thème de l’amour. C’est pour ça que je me suis consciemment éloigné de tous les aspects médicaux techniques, qui étaient bien plus développés dans l’histoire d’origine.

F. Oui donc en fait, il s’agit bien plus d’un film romantique que d’un film d’horreur?

Leon Lai et Eugenia Yuan
P: Oui, c'est un film sur l’amour… Et vous savez, quand on fait un film il arrive souvent qu’on en ait pas une vision complète, qu’on ne sait pas ce qu’on va à en faire. Quand j'ai fait Going Home, je ne savais pas trop où j'allais. Je cherchais ma voie pour être honnête. L'histoire m'intriguait, et je voulais vraiment passer d'un genre à un autre, puis encore à un autre en une heure. Je voulais démarrer le film comme un film d’horreur ou plutôt comme de l’horreur avec une ambiance mystérieuse comme le font des classiques genre The Others ou Shining et évoluer de là vers un film de psychopathe et pour la dernière partie, je voulais qu’il yait un retournement de situation et que cela débouche sur une histoire d’amour, ce qui était très intéressant. Evidemment, ça aurait été mieux si j’avais pu faire un long-métrage 1H30 ou 1H40 pour exploiter toutes les possibilités de mon récit mais je suis content d’être arrivé à le boucler en 53 minutes et 60 minutes pour la version longue.

F: C’est plutôt Hong-Kongais de changer de genre comme ça au sein d’un même film. En occident les films sont trop souvent catalogués avec un genre, ça ne doit pas changer en cours de route. Il n’y a principalement qu’à HK qu’on peut voir une comédie qui finit de façon violente ou dramatique. C’est donc encourageant de voir que vous ayez gardé cette caractéristique.

P: Effectivement, et vous savez pourquoi ? Tout simplement parce qu’on n’a pas un système de studio, on a pas 100 personnes qui décident de ce que doit être un film, il n’y a pas de réunion pour trouver des consensus, etc. Ce qui veut dire que lorsqu'on réalise un film, on n'a pas à faire un parcours du combattant pour obtenir des autorisations ce qui fait que nos films ne sont pas « calculés ».

F: A propos de l’équipe technique du film, j’ai lu que Teddy Chen avait travaillé sur le script : est-ce vrai ?

P: Non, en fait il était le réalisateur de Going Home à l’origine. Le gars qui a réellement écrit le script est taïwanais, il s’appelle Su Chao-Pin et a travaillé sous la supervision de Teddy Chen. Mais à cause d’autres obligations, il a dû abandonner et c’est alors que j’ai passé trois mois à essayer de décider quelle histoire j’allais faire parce que je ne voulais pas seulement reprendre le travail qui avait déjà été accompli. Alors j’ai dévié de l’histoire originelle et développé différentes idées qui ne fonctionnaient pas trop entre elles. Après, je me suis dit : pourquoi ne pas prendre cette histoire, la déstructurer et puis la réassembler à nouveau ?

On est donc revenu au concept et au script de départ (que je n’ai pas lu au début parce que je n’aime pas être influencé) qui était très différent. : il ne prenait pas une approche amoureuse mais plutôt surnaturelle, avec tous les détails scientifiques de la résurrection, la décomposition du corps, avec beaucoup d’effets spéciaux. Comme je ne suis pas vraiment une réalisateur amateur de SFX, j’ai décidé que c’était mieux pour moi de me concentrer sur les prémisses du récit. Et ces prémisses étaient une base de qualité pour faire un film d'amour. C'est ainsi que j'ai créé une histoire d’amour à partir de ce récit.

 

F: A propos du casting et plus particulièrement de Léon Lai, avec Comrades Almost A Love Story et Going Home, vous êtes arrivé à l’utiliser de manière très convainquante, pouvez-vous nous dire comment vous travaillez avec lui ?

P: C’est assez simple, en fait, nous parlons beaucoup des personnages, et nous intégrons une grande partie de sa personnalité dans les rôles qu’il interprète. Je pense que l’astuce avec Léon n’est pas de savoir comment le diriger, je ne pense pas qu’un réalisateur dirige un film ou des acteurs, qui plus est car je n'ai pas de formation classique tout comme les acteurs Hong-Kongais.
La façon dont j’ai travaillé avec Léon était tout simplement de passer du temps avec lui pour comprendre qui il est et ensuite, ré-écrire le script pour que le personnage colle mieux à sa personnalité et de développer l’histoire de manière à ce qu'au final, il y’avait une confiance mutuelle entre lui et moi. C’est la seule bonne façon de collaborer entre réalisateurs et acteurs je pense. Mais le problème à HK, c’est que la durée de production des films est très réduite et de fait, les acteurs et réalisateurs n’ont pas le temps de trouver leurs marques.

Et cette méthode est bien plus difficile avec Léon car c’est très dur d’être proche de lui, il est très réservé et sur la défensive. Je ne veux pas dire en tant qu’acteur mais en tant que personne, il n’est pas très confident envers les autres et à tendance à se renfermer. Pour Comrades, j’ai énormément discuté avec lui et relevé ses qualités en tant qu’être humain : j’ai injecté ça dans le script et par conséquent il s’est senti très à l’aise pour jouer son rôle dans le film. C’est grâce à cette confiance qu’on a pu fournir un travail de qualité au contraire des autres réalisateurs avec qui il avait travaillé auparavant.

F: Et à propos d’Eric Tsang, est-ce qu’il est chanceux de toujours avoir de bons rôles dans vos films, ou bien est-ce lui qui arrive à rendre ses rôles si convainquants ?

P: Je pense que ça tient un peu des deux. Je le connais très bien et au départ je ne pensais pas que son rôle dans Comrades était fait pour lui alors que c’est l’une de ses meilleures prestations. Il faut dire qu’en vrai, il est ce rôle, ce type qui possède une grande force de caractère. Il n’est pas vraiment un gangster mais dans le film, il incarne parfaitement le "taï lo", le big boss. Eric n’est pas toujours quelqu’un de drôle, il peut être très sérieux par moments et donc le rôle lui correspondait parfaitement mais je n’osais pas le prendre pour le casting parce que je pensais que le public ne le percevait qu’en tant que comique et que ça serait dur pour eux d’oublier leur préjugé et ils riraient d'une performance dramatique. Je me souviens de mon premier film (Alan And Eric Between Hello And Goodbye) : lors de la première projection, le public riait quand il mourait parce qu’ils ne l’ont jamais pris au sérieux. J’avais donc peur que cette désagréable expérience se reproduise et je ne l’ai casté pour Comrades qu’à la dernière minute lorsque je n’avais plus d’autres choix.

"Hey Eric, calm down!"
Je l’ai donc appelé à New-York en lui disant « je commence un tournage dans deux jours et je n’ai personne pour ce rôle, peux-tu venir ? » Evidemment, je me suis vite rendu compte que j’aurais dû le choisir en premier lieu, cela m’aurait épargné des problèmes tant il collait parfaitement au rôle. Eric est quelqu’un de très facile à diriger car il a une large expérience de la vie. La seule chose à faire avec Eric, c'est... Je peux me permettre de le dire parce que je le connais bien. La seule raison pour laquelle je suis le mieux placé pour le diriger mieux que les autres réalisateurs est que je le connais tellement bien que je ne lui dois pas forcément le respect. Je vais expliquer ça un peu plus longuement… Eric a toujours une tendance à sur-jouer de 20%, ce qui fait qu’il est bien dans tous ses rôles mais qu’il y met beaucoup trop de passion et d’intensité. Son jeu peut parfois paraître déplacé, hors de propos. Donc la seule chose que j’ai à faire est de lui demander de baisser son niveau de jeu de 10 ou 20% et il est parfait.

F: Oui, il est dans l’industrie cinématographique depuis longtemps et comme bon nombre de ses collègues, il sur-joue beaucoup, c'est culturel non?

P: Exactement, c’est pour ça que je lui dis de se calmer de 20%. Mais la raison pour laquelle les autres cinéastes ne peuvent lui demander ça c’est qu’il est quelqu’un de très respecté : même si il n’est pas le plus grand acteur, il a sa réputation, c'est le "grand frère". Beaucoup de jeunes réalisateurs (et même des plus vieux) n’osent pas s'opposer à lui. Mais moi je suis comme son frère, voire son fils : on a travaillé ensemble depuis environ 20 ans, c’est pour ça que je peux lui dire "hey Eric, calme toi!" et qu’il va m’écouter. Il n’y a pas besoin de le diriger, il suffit juste de baisser son intensité de jeu, car c'est vraiment un grand acteur.

 

F: Toujours à propos des acteurs et actrices avec qui vous avez travaillé, il y’a Anita Yuen qui a été pour une grande part dans la réussite d’UFO. Maintenant, on ne la voit plus beaucoup et elle tourne dans des séries télé. Est-ce que vous comptez tourner avec elle à nouveau?

P: Elle s’est tournée vers la télé les années où j’étais parti d’Hong-Kong et quand je suis rentré elle avait déjà fait sa place sur le petit écran ce qui est dommage parce que je penses que le grand écran rend mieux hommage à son talent. Je n’ai pas de projet pour elle mais j’aimerais bien la revoir au cinéma, elle est talentueuse et très jeune, elle a encore toute la vie devant elle mais elle fera sûrement un come-back tôt ou tard, il faut juste qu'elle attende le bon film pour ça.

F: Beaucoup de jeunes actrices prometteuses sont apparues sur les écrans récemment. C’est encourageant de voir les femmes réussirent, comme Sammi Cheng qui cartonne à chaque fois au box-office, Miriam Yeung assurant la comédie ou encore Angelica Lee et Karena Lam. Cela vous plaît de voir tant de nouveaux talents à Hong-Kong ?

P: Oui et ce n’est pas assez : nous avons beaucoup de femmes mais il ne reste plus grand-chose niveau jeunes acteurs.

F: Oui c’est un problème mais dans un pays où les femmes sont encore considérées comme « inférieurs » aux hommes, c’est intéressant de voir qu’en temps de crise elles prennent les devants.

P: C’est à peu près la même chose en Corée vu que leur société est aussi basée sur la dominance de l’homme et tout d’un coup, plein de femmes ont émergé en Corée comme Jeon Ji-Hyun pour My Sassy Girl, Shim Eun-Ah pour Christmas In August. Ces deux actrices sont des stars reconnues internationalement alors que ce n’est pas le cas des acteurs coréens. Nos idoles étaient à un moment Chow Yun-Fat, Stephen Chow, Andy Lau et brusquement les plus grosses stars sont maintenant des femmes. Je peux vous dire que Sammi Cheng est la star la plus rentable quoiqu’on en dise, elle est même plus rentable qu’Andy Lau.

F: Oui ou même que Stephen Chow : elle dépasse la barre des 20 millions de $HK quoiqu’elle fasse.

P: Oui, vous avez raison, quoiqu’elle fasse c’est 20 millions illico presto ! (rires) C’est assez intéressant comme phénomène…

F: Merci beaucoup Mr Chan!
P: Je vous en prie!

Tous nos remerciements à Annisa, Tairy et Peter Chan.

date
  • janvier 2003
crédits
Interviews