| Arno Ching-wan | 3.5 | Gi Joe : « @!#$, le jaune est humain ! » |
"On a faillit ne pas avoir ce titre à cause de cet autre documentaire, La terre des âmes errantes" avoue le réalisateur Boris Lojkine. Il parle du film de Rithy Panh, préquelle cambodgienne indirecte de 6 ans plus jeune, assez proche de sa propre œuvre et peut-être même plus riche en ramifications thématiques (cf. avis sur ce film). Les âmes errantes, ici, sont des morts sans sépultures, perdus, non priés matériellement par les vivants donc incapables de les aider au quotidien. L’approche du film de Boris Lojkine consiste à suivre des vietnamiens en quête des corps de leurs disparus, morts au combat pendant la guerre contre les américains. Même si le réalisateur n’évite pas toujours le mélo avec ses personn(ag)es continuellement en pleurs et une souffrance trop appuyée - ce malgré pourtant une non-utilisation volontaire de toute forme de renfort musical - ce très simple petit film d’un peu plus de 80 minutes arrive à l’essentiel : casser des années de cinéma américain/vietnamien propagandiste glorifiant sans cesse les héros militaires, en montrant quelques vietcongs qui auraient eu la chance d’échapper à Rambo pleurer le sort de leurs camarades et démontrer, si besoin est, que « ceux qui restent » sont condamnés, pour le restant de leur existence, à revivre la guerre dans toute son horreur. Vilain jaune ou pas, à travers, on le devine, des cauchemars récurrents. Au Vietnam, le film a eu un impact fort : on y célèbre le culte des morts, on y aborde cette souffrance de front, sans trop de tabous… et c’est très émouvant: les anciens militaires filmés sont sans cesse à fleur de peau sur le sujet; et une veuve éplorée n'en finit pas de ce deuil impossible, pour elle qui n'a pas retrouvé de mari depuis ni n'a jamais eu d'enfant. Si l’on n’est pas touché personnellement par ce qui est évoqué ici, on peut universaliser le drame, le rapprocher de tel ou tel documentaire ou telle ou telle fiction, comme par exemple la France avec Bertrand Tavernier qui s’est « attaqué de front » à ce même sujet autour de la Grande Guerre, avec son La vie et rien d’autre, complété fort judicieusement par Capitaine Conan et son final terrassant. Tout est là, tout se recoupe, et l’histoire on la connaît. Ce qui n’empêchera pas qu’elle se répète. La compréhension et la tolérance permettent d’éviter la haine, et Clint Eastwood a récemment eu cette démarche de montrer deux films de guerre, deux points de vue opposés sur un même affrontement : Mémoires de nos pères et Lettres d’Iwo Jima. Permettons-nous à notre tour de suggérer un splendide coffret DVD : Rambo 2 : La Mission de Georges Pan Cosmatos, complété de ce bonus refroidissant tout manichéisme facile qu’est « Les âmes errantes ». Imparfait, certes, mais par sa rareté et sa sincérité : indispensable.
