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Bad Guy

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les avis de Cinemasie

7 critiques: 4.21/5

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49 critiques: 3.61/5



Alain 5 Un très grand film romantique sous ses aspects glauques et sombres
Elise 4
Ghost Dog 3 La froide mécanique de l’amour
Junta 4.25 Réalisation ultra-maîtrisée et sujet dérangeant, bref un très grand film.
MLF 5 Kim Ki duk: Une trilogie de la douleur. (L'Ile, Address Unkno...
Ordell Robbie 3.75 Stylisitiquement somptueux mais pas le grand film espéré
Xavier Chanoine 4.5 Ils firent l'amour et la mort.
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Un très grand film romantique sous ses aspects glauques et sombres

Si il est bien un réalisateur coréen dont le nom soit connu internationalement, c'est sans conteste Kim Ki-Duk dont L' Ile et Adresse Inconnue se sont grandement fait remarqué dans les festivals internationaux. Mais au sein de son pays, ses films n'ont été que des échecs au box-office jusqu'à ce Bad Guy qui a réussi à avoir un bon petit succès modeste. Kim Ki-Duk serait-il devenu un cinéaste commercial? Oui et non...

Dès la première scène du film, on comprend directement les intentions de Kim Ki-Duk, surtout dans ce plan qui cristallise tout le développement du film: un homme et une femme assis sur un banc public avec des fleurs en arrière-plan pour rajouter encore plus de glamour: une image récurrente du cinéma coréen. Mais au-delà de cette image idyllique pointe une face sombre, cachée: tout d'abord l'énorme cicatrice que porte Cho Jae-Hyun et qui l'empêche de parler, à celà se rajoutent son côté bestial et le dégoût de Seo Won envers lui. Un homme aime et une femme et fera tout pour que ce soit réciproque: voilà le point de départ de bien des films romantiques mais ici Kim Ki-Duk va l'adapter à son univers et c'est en celà que Bad Guy est une réussite incontestable, c'est la perversion d'un genre pour mieux lui rendre hommage. Ici, la différence de classe sociale entre les personnages sera le moteur du film et c'est ainsi qu'on suivra la descente aux enfers de Seo Won qui sera peu à peu intégré dans le monde de la prostitution pour mieux partager l'univers dans lequel vit Cho Jae-Hyun et le comprendre.

A ce point du récit, Kim Ki-Duk introduit d'ailleurs une idée de mise en scène simple mais efficace via le miroir sans teint de la chambre de Seo Won. Cho Jae-Hyun peut ainsi observer l'évolution de la déchéance de cette femme via un point de vue "objectif" dont le cadre ne bouge jamais. De par sa réalisation, il crée aussi une habile mise en abîme car les rideaux qui s'ouvrent et s eferment sur cette chambre font irrésistiblment penser aux rideaux qui couvre l'écran d'une salle de cinéma: à ce moment, il n'ya plus de différence entre le spectateur et le proxénète et en poussant un peu plus, on pourrait presque y voir un clin d'oeil de Kim Ki-Duk à son public habituel où il semblerait dire "voici du sexe et de la déviance, régalez-vous". Aussi, il est clair que cette vitre représente la frontière existante netyre les deux personnages et il faudra attendre qu'elle se brise pour que les deux personnages puisse enfin réellement se trouver(d'aileurs au passage, on notera une certaine obssession du cinéaste pour les yeux qui se confirme ici). Tant qu'on est dans le registre technique, il faudrait aussi tirer son chapeau face à cette rue remplie de vitrines où plus de la moitié du film se passe, de cet amas de couleurs assez flashantes(les néons, les perruques et les vêtements des prostitués) on retire une ambiance unique et très cinégénique. Mais bon, tout cela serait bien vide sans un fond conséquent...

A l'instar de L' Ile, le protagoniste principal est muet mais ici, l'handicap prend une certaine valeur narrative car il se fait le représentant de l'incapacité de Cho Jae-Hyun à exprimer ses sentiments pour la femme qu'il aime. Son seul moyen d'expression est la violence mais au fond de lui-même se cache une certaine maladresse qui le rend d'autant plus profondément humain comme lorsqu'il prononcera ses seuls mots du film avec une voix à briser le coeur ou l'évolution de son personnage qui passe des fantasmes inassouvis à l'amour platonique. En un sens, on pourrait même voir la déchéance de Seo Won comme un sacrifice bénéfique pour eux deux, un fait qui se confirme lors d'une superbe scène où elle va le voir en prison alors qu'il est condamné à mort. A propos de cette scène d'ailleurs, on retrouve d'ailleurs bien des caractéristiques propres au mélodrame, notamment via la musique du film qui est vraiment exceptionnelle: la chanson "I Tuoi Fiori" d'Etta Scollo apparaît comme le thème inéluctable du film et donne vraiment des frissons lors de deux scènes-clés du film, la grandiloquence émotionnelle du morceau transcende littéralement le film pour l'amener vers des moments inoubliables de cinéma brut et sans complexes.

Mais qui dit cinéma dit aussi fiction et c'est sans doute là que Bad Guy s'affirme comme l'un des oeuvres les plus hantantes de ces dernières années car malgré son contenu à caractère choquant, Kim Ki-Duk a réussi a atteindre une forte maturité avec ce film et ce n'est pas un hasard qu'il ait réussi à marcher au box-office car comme dit précédemment, Bad Guy est un hommage au film romantique et n'a rien à envier à des classiques du genre comme Il Mare car son film s'avère être comparable à un conte de fées. Un très beau conte où le fantastique et le sur-naturel apparaissent pour que le destin s'accomplisse et réunisse enfin deux êtres qui étaient faits l'un pour l'autre dès le départ. Kim Ki-Duk conclue cette superbe histoire d'amour sur l'émouvant "Blott en dag" de Carola et on reste là bouche-bée pendant le générique de fin devant ce chef-d'oeuvre du septième art. Il y'aurait énormément de choses à dire sur ce film mais je vais tout simplement terminer par un simple et mérité: Merci Monsieur Kim Ki-Duk!



01 juin 2002
par Alain




La froide mécanique de l’amour

Film violent ancré dans une réalité sociale dure, Bad Guy décrit les sentiments amoureux introvertis d’une brute épaisse moitié-mac moitié-gangster qui épie la fille de ses rêves – une prostituée – derrière une vitre sans teint. Film assez glacial, aux scènes répétitives montées cut et aux situations ayant du mal à se décanter, Bad Guy s’adresse au spectateur friand de bas-fonds glauques où l’on se tape sur la gueule pour dire bonjour, je t’aime, je te hais et au revoir, un peu à la manière de Sympathy for Mr Vengeance. Film globalement bien fait et bien interprété, il faut cependant aimer le genre pour l'apprécier…



14 avril 2004
par Ghost Dog




Kim Ki duk: Une trilogie de la douleur. (L'Ile, Address Unknown, Bad Guy)

Ce que nous nommons « la trilogie de la douleur » est le regroupement de trois de ses films qui presentent dans trois relations au spectateur tres differentes la douleur au travers d’un corps feminin. L’objet est un corps qui souffre, un corps feminin, mais la question est qu’est cette douleur pour le spectateur ? Quels sont les moyens du cinema pour que le spectateur accede a cette douleur, et de quelles facon peut il y acceder ? Kim ki duk, ne discourt pas dans ses films sur le cinema et ses possibilites, il essaye d’appliquer des techniques existantes pour en tirer un effet. En tant que realisateur, il correspond assez bien a une idee de plus en plus repandue chez les theoriciens du cinema, a savoir que le cinema n’est que de l’emotion . Pour simplifier l’approche, prenons ces trois films dans leur chronologie.

L’Ile, une femme tiens un centre de repos pour hommes sur un lac. Le lieu en soit est isole du monde, et chaque cellule defini par une petite cabane sur le lac est isolee des autres. Kim ki duk a etudie en France a l’ecole des Beaux Arts, ce qui se ressent sur les compositions picturales de ce film. Les formes et couleurs y sont toujours en harmonies et d’une douceur qui correspond au rythme de la narration. Le seul element perturbateur est la femme, qui est pourtant la quintescence meme du lieu. Ses traits de visage sont a la fois delicats et tranchants, comme sont caractere. C’est en fait l’idee d’une douceur « hypocrite », qui cache quelque chose. Ce qui est cachee c’est la douleur, une douleur que le spectateur ne peut pas voir derriere tant de vernis, et qui va donc devoir la ressentir. C’est un trouble inquietant qui traverse le film et qui trouve son execution dans une scene que le spectateur a peine a voir : la femme se met une grappe d’hamecons dans le sexe et tire d’un coup sec. Cette scene laisse un souvenir douleureux et singulier. En effet, le spectateur garde le souvenir d’une scene que pourtant il n’a pas vu. Le moment ou la femme se dechire le sexe avec les hamecons est remplace par un cut tout aussi violent(1) . La mise en place de la scene est tres precise et fait echo a une scene anterieur ou un homme avale cette meme grappe d’hamecons et essaye de se dechirer la gorge. Ce qui fait que lorsque la repetition se met en place, le spectateur devance l’action et devine ce qui va arriver. Jusqu’a la limite du supportable, au moment fatidique la plus part des gens ferment les yeux. C’est a dire que nous gardons le souvenir de quelque chose que nous ne voyons pas sur l’ecran. Nous le voyons en nous, c’est le pouvoir speculatif du spectateur qui lui fait voir l’acte, que par la suite il projete dans le film, la ou il est manquant. Ainsi, la douleur contenue dans le film s’echappe de l’objet film pour exister dans le corps meme du spectateur qui se met a ressentir une douleur qui lui est pourtant physiquement exterieure. Ce qui assure cette mecanique, c’est justement le cut sur le corps de la femme en tant qu’image filmique. Il n’y a pas superposition de l’imagination du spectateur sur les images du film puisque justement ces images ne sont pas dans le film.

Dans Address Unknown les choses sont un peu plus compliquees. Le film tient un discours foncierement anti-americain. Peut etre pour passe la censure, plus vraissemblablement pour incister la tention de l’epoque quand a la presence americaine, Kim Ki duk a noye son film sous une masse de personnages, dont le point commun reste que malgre tout leur vie est « obscurcie » par la presence americaine. Au coeur de l’histoire, il y a un personnage feminin eborgne enfant par son frere. C’est autour de sa douleur que le film se construit. Mais le film ne montre jamais la douleur, il la raconte. La douleur est ici une matiere invisible qu’il va falloir faire percevoir par le spectateur. Ainsi, le film raconte bien l’oeil transperce par la balle, le viol que la jeune fille subit et l’avortement qui s’en suit, il raconte bien la quasi prostitution de cette jeune fille avec le soldat americain pour recuperer un oeil normal, mais il ne le montre pas. Tout au plus le spectateur voit le camarade de la fille se faire frapper par les deux voyoux a tour de role, et il comprends que celui qui s’en va, va comme son ami violer la fille : le spectateur voit apres l’operation la voiture s’agiter dans un champs et il comprend que c’est le prix qu’elle doit payer. La douleur que ressent cette fille, la violence a laquelle elle est confrontee structure tout le film, mais sans etre en lien avec le spectateur, sans lui etre adressee. Il la percoit par l’intermediaire de moyens detournes, et c’est ce qui donne sa force au film. Contrairement a L’Ile, le spectateur ne ressent pas cette douleur, et contrairement a Bad Guy, il n’a aucune responsabilite dans ce qui arrive. Le spectateur est confronte a une violence, une douleur qui lui sont etrangers, l’objet film et le corps voyant sont dissocies, ce qui creer une dualite forte dans laquelle film et spectateur entrent en opposition, presque en conflit.

Enfin il y a Bad Guy, dont la douleur de la femme, du corps de la femme est tres directement au coeur de l’histoire. Un homme (le Bad Guy), voit une fille dans la rue et en tombe immediatement amoureux. Pour « la seduire », il va la pieger et en faire un prostituee. Tout le film tourne autour des sevices faits a cette femme, de viols, de bagarres dont le dispositif filmique nous rend temoin comme le Bad Guy. Un miroir sans teint est au mur a cote du lit la fille, et separe sa chambre d’une petite piece d’ou le Bad Guy la regarde. En amorce ou en reflet sur le dos du miroir, il regarde avec nous les attrocites en cours. Le spectateur est completement assimile au Bad guy par le dispositif, il regarde avec lui, par lui : il est lui. C’est un sentiment trouble qui se creer alors chez le spectateur. C’est la situation de voyeurisme du spectateur, voir sans etre vu, similaire a celle du Bad Guy qui le rend responsable de ce qui se passe. Le spectateur est la cause des violes, c’est sa position de voyeur, de « venu pour voir » conjuguee au mimetisme entretenu par la position du Bad guy qui le rend responsable. Ce qui fait que malgres la durete de ce qu’il voit, il ne peut mettre le Bad Guy en faute, il ne peut l’accuser d’un quelconque tort car il ne peut s’accuser lui meme. Le film bascule d’une durete tres premier degre vers un honirisme explicite qui empeche definitivement de juger le Bad Guy et en fait presque oublier les viols passes. Bad Guy emmene la fille sur une plage. La, ils voient une fille accroupie sur le sable. Elle se leve et se dirrige vers la mer. Les deux viennent s’installer exactement a la place ou elle etait. Un systeme de champs contre champs montre le couple entrain de regarder la fille avancer dans l’eau. Lui est impassible tandis qu’elle s’etonne de la situation. Le cadre, la composition des couleurs et la fille qui avance dans l’eau font directement echo au personnage feminin de l’Ile. Quelque chose est entrain de disparaitre. Et c’est un nouveau cut, comme dans L’Ile qui fait disparaitre ce personnage, mais cette fois tout en douceur. Le morcellage de la scene par le champs contre champs annonce autant la disparition de la fille dans l’eau que le cut lui meme. Il intervient donc presque naturellement au terme d’une mecanique qui touche a sa fin. L’evenement du cut sur l’image et la disparition du corps dans l’eau se passe au meme instant. C’est au moment precis ou le corps disparait dans l’eau que le plan disparait du film. A partir de cet evenement le film change : il est envahit par une poesie fantastique(2) sans realisme, qui necessite l’adhesion du spectateur. La main droite sur le sol, elle trouve des morceaux de photos dechirees dans le sable. Le spectateur identifie un corps drappe de rouge, comme la fille qui avancait dans l’eau. Le lien se fait automatiquement : c’est elle qui est sur la photo.

La suite est un reve qui envahit la durete du film, fait de cliches que certains diront faciles, mais qui garde cette idee que nous proposions au debut (Kim Ki duk essaye d’appliquer des techniques existantes pour en tirer un effet) : les deux personnages se regardent sans forcemment se voir au travers des photos sans visages qui sont collees sur le miroir. Qui sont ces gens qui sont sur les photos ? c’est la question que prepare la suite du film, apres la disparition evenementielle de ce corps feminin.

Dans Bad Guy, la femme sur la photo est celle qui disparait dans l’eau, mais c’est aussi celle qui la relaie sur la plage. A cet instant, le corps se divise, quelque chose disparait et quelque chose reste (ou arrive). Mais qu’est ce qui disparait et qu’est ce qui reste ? Est ce la douleur qui quitte le film en s’enfoncant dans la quietude de l’eau ? Visiblement non, comme nous le montre la bagarre au couteau, ou la peine exprimee par l’acolyte restant. La douleur est toujours la, le corps souffre toujours. C’est l’expression de cette douleur qui disparait, en un sens la revolte. Ce qui s’installe alors est une sorte de soumission, d’acceptation. La soumission d’un corps a un ensemble qui le depasse. Que nous montrent ces photos ? Avant tout, que l’histoire est avant d’avoir lieu. Elles incarnent « le grand livre du destin(3) » de Diderot . Les personnages ignorent qu’il s’agit d’eux, mais le spectateur n’est pas dupe. Ainsi, la mise en scene de ces photopraphies introduit la prise de conscience par le personnage de sa situation, et de son incapacite a faire autrement. La douleur est peut etre la marque de la resistance, une marque de vie. Un corps qui ne souffre plus est un corps mort, comme celui de la fille a la fin de L’Ile, qui apres s’etre tant fait souffrir de maniere masochiste meurt, avec la barque comme cercueil et le lac comme linceuil. Elle devient une pure composition plastique, froide et immobile, des algues et nenuphars en guise de parure, semblable a la douce Ophelia(6). Elle est devenue une figure, une icone imuable et eternelle. Elle acquiert la quietude des premiers plans qui presentaient le lac comme un pur espace plastique, sans vie. Mais quel est donc ce corps dont la vie s’exprime dans la douleur, et l’apaisement dans la mort ? Au coeur de Address Unknown, il est un corps dont le film ne parle pas directement mais qui est temoin des evenements, un corps qui en un sens souffre de la souffrance des autres. C’est le « corps-mere », on dit generalement « terre-mere ». C’est la douleur du pays devenu un corps presque inerte qui s’exprime par la douleur de ses « membres(4) ». Dans son essai sur Im Kwon taek, Cho Eun sun decrit le corps de la femme comme une representation symbolique de la Coree : un corps qui souffre, que l’on maltraite sous pretexte de le proteger(5) . Non, qu’il s’agisse vraimment de la meme chose, mais participant du meme travaille, n’est ce pas la Coree, la societe coreenne qui souffre dans ces films ? Peut etre la douleur d’un cineaste qui voit le visage de son pays deforme par une histoire qui le depasse, ne le concerne peut etre pas vraimment, mais la subit.

1 Cela reprend le procede utilise par Hitchcock dans la scene de la douche de Psychose. Les coups de couteaux sur le corps etaient remplaces par des cuts sur la pellicule. 2 Nous employons ici fantastique au sens litteraire developpe par Todorov dans Le Fantastique. 3 Denis Diderot, Jacques le fataliste. 4 Le mot membre evoque en francais la partie d’un tout (le bras est un membre du corps), comme l’unite d’un groupe (le membre d’une famille). C’est dans ces deux sens que nous entendons ce mot. 5 « destroys a national body in the name of nationalism », Cho Eun sun, The female body and enunciation, in Im Kwon taek. The Making of a Korean National Cinema, chapitre 3, pg 91. 6 Ophelia, Sir John Everett Millais, 1851-1852.(http://www.artmagick.com/paintings/painting1901.aspx): merci qui ? merci tanuki :)

27 février 2003
par MLF




Stylisitiquement somptueux mais pas le grand film espéré

Avis avec SPOILERS

Après le ratage Real Fictionet la relative déception Adresse Inconnue, Kim Ki Duk offre un film constamment sur le fil du rasoir et d'une grande force. Mais le manque de soin apporté à son écriture scénaristique produit un sentiment de relatif gâchis. Tous les ingrédients de ce qui aurait pu être la première réussite majeure du cinéaste sont là mais le film ne fait qu'égaler l'Ile au lieu de le surpasser.

Un des gros points forts du film est la façon dont Cho Jae Hyun réussit à nous attacher au personnage aussi fascinant que dégoûtant d'Han Gi. Son physique effacé et sa prestation faite de retenue où l'expressivité vient plus du regard que des mimiques rendent ainsi les explosions de violence de Han Gi frappantes parce qu’imprévisibles. Et cet aspect colle tout à fait à un récit d'un amour qui éclot progressivement au milieu d'un univers sordide notamment en encaissant sans broncher des gifles de l'être aimé. Car Han Gi est juste un proxénète qui a gardé un reste de sensibilité aux êtres humains et aux choses : il offrira d'ailleurs à Sun Hwa un recueil de peintures d'Egon Schiele. Mais il ne sait exprimer cette sensibilité que par la violence. Cela se voit dans le baiser forcé du début et les scènes où il étreint Sun Hwa violemment. Mais aussi dans la scène de la plage où il emmène Sun Hwa pour partager un instant tendre et où il la retient lorsqu'elle tente de s'échapper. Et contrairement aux clients de Sun Hwa inconscients de l'horreur de la vie de femme-bétail Han Gi a conscience qu'il l'a parachutée par amour dans une situation intolérable. Il ne se prive d’ailleurs pas de remettre en place ses collaborateurs lorsque ceux-ci ne sont pas satisfaits du manque de professionnalisme de Sun Hwa, de son insoumission.

En refusant de porter un jugement moral sur un tel personnage, Kim Ki Duk prête forcément le flanc aux accusations de sexisme. Alors qu’il s’agit juste de parler intimement de lui dans son cinéma, de confronter son propre regard sur les femmes et sur des situations extrêmes à celui du spectateur. Et de le pousser ainsi à s’interroger en le mettant dans une position malaisante. Tout simplement parce qu’en filant la métaphore du spectateur-voyeur le dispositif de mise en scène se place du point de vue d’Han Gi. Car durant une grande partie du film Han Gi est là tapis derrière un rideau à observer Sun Hwa faire l'amour, à voir ses souffrances, ses difficultés d'adaptation à son métier et ses regrets et sa tristesse sont d'autant plus intenses qu'ils sont filmés entourés d'obscurité. Et le film va montrer Han Gi progressivement conquérir l'espace intime de Sun Hwa, passer de voyeur à occupant. Progressivement, l'image de Han Gi va finir par se superposer à celle de la chambre et quand finalement Sun Hwa découvre son reflet dans le miroir elle réalise que leurs destinées sont inséparables. Ce dernier point révèle maheureusement les limites du film : un dispositif fascinant finit par déboucher sur un symbolisme à gros sabots.

Et cette incapacité à tenir ses belles promesses ne se retrouve que trop dans son écriture scénaristique. Le film commence de façon réaliste. La vie des prostituées y est dépeinte dans sa cruauté mais aussi comme un quotidien professionnel ordinaire avec ses rapports de force hiérachiques, ses compétitions pour obtenir le client et les jalousies crées par le succès d'une employée. Sun Hwa se fait ainsi détester par ses collègues qui ne comprennent pas que l'innocence est un atout décisif sur un marché du sexe composé en majorité d'hommes murs ou mariés. Vient ensuite une seconde partie du film comportant beaucoup d'invraisemblances ou de facilités scénaristiques (la photo, la "résurrection"...). On retrouve là un défaut des premiers films du cinéaste et de Birdcage Inn dont le film se veut une relecture. Pourquoi ces éléments ne fonctionnent-ils pas ici? Parce que si la première partie nous avait préparé à la naissance d'un amour, elle n'avait pas préparé au surgissement d'éléments non réalistes, ce qui est censé être la réalisation d'un conte de fée ne passe pas ici. Bien sûr, le talent des acteurs fait que le film conserve alors sa force malgré ces facilités.

Talent qui compense d’ailleurs aussi un score musical alternant le meilleur et le pire. Avec sa photographie et sa mise en scène toutes deux superbes, il s'agit en outre du Kim Ki Duk le plus abouti stylistiquement à ce jour. Mais tout cela n’atténue pas la légère déception face à un film confirmant le talent du cinéaste mais également ses limites pas négligeables.



06 septembre 2002
par Ordell Robbie




Ils firent l'amour et la mort.

Entre le chaos et le paradis, la folie et la raison, l'amour et la mort, Bad Guy est une oeuvre aussi fragile qu'extraordinaire, montrant sous son aspect le plus cradasse les conditions de vie infernales des prostituées, sous la houlette de différents proxénètes et gardes du corps rapprochés. Une jeune fille va faire les frais de sa naïveté en provoquant une personne dérangée dans la rue qui venait de l'embrasser avec force. Une jeune fille qui n'a rien demandé, proie facile d'un esprit malsain et faible.

Pourquoi l'oeuvre de Kim Ki-Duk se différencie d'une autre traitant du même sujet? Par sa singularité? Par son aspect poétique douloureux? Par le réalisme saisissant de ses séquences où la passion côtoie le sadomasochisme? Peut-être pour toutes ces raisons évoquées, créant cet espèce d'univers fantasmagorique et pourtant optimiste, alors que l'on ne s'y attend pas au vu des épisodes chaotiques que vit Sun-Hwa, interprétée par une Seo Won extraordinaire de beauté et terrifiante à la fois. Dans la première heure on appréhende chaque déshabillement, chaque passage à l'acte qui équivaut à une véritable torture, à un viol. Puis, Sun-Hwa gagne en assurance jusqu'à être complètement happée par le monde qui l'entoure : celui de la liberté utopique où l'on ne sait jamais ce qui arrivera demain, si une fugue est possible ou mieux encore, une mise en liberté par le proxénète. On espère, on demande, on supplie.

Véritable pièce maîtresse de la filmographie de Kim Ki-Duk, à mes yeux, Bad guy puise son intérêt au niveau de la composition des personnages. Jo Jae-Hyeon et Seo Won mènent la danse grâce à leur sensibilité, même si Han Gi reste et restera une crapule de service malgré son côté humaniste proche de la date de péremption à mon goût. L'histoire est effrayante et je pense que Ki-Duk ne prend pas assez de recul sur la gravité des propos de son film. Vous en connaissez beaucoup, vous, des jeunes filles qui se font capturer du jour au lendemain, forcées à se prostituer et qui tombent amoureuses de leur propre proxénète? Moi pas, mais je m'y force d'y croire, de voir en Bad Guy plus loin qu'un simple film traitant de la prostitution. J'y vois un drame sidérant et d'une infinie tristesse. J'y vois des hommes se faire mal, se faire pitié, j'y vois des femmes emprisonnées mais conscientes de leur situation, j'y vois une jeune fille désespérée mais droite dans ses choix. J'y vois aussi la perfection d'une mise en scène atteignant des doux sommets que ce soit au niveau de l'esthétique générale ou de la fabuleuse partition qui enveloppe cet ensemble dramatique et surréaliste. A la fin je n'y vois plus rien. J'y pense.

Esthétique : 4.25/5 - Des plans sidérants dans la chambre de Sun-Hwa pour une esthétique d'ensemble intéressante. Musique : 4.25/5 - Indescriptible et surréaliste. A l'image du film, donc. Interprétation : 4.5/5 - Seo Won porte toute la tristesse de l'oeuvre sur ses épaules et l'emporte on ne sait où... Scénario : 3/5 - Formidable peinture du monde de la prostitution, entre réalité et fiction.



13 décembre 2006
par Xavier Chanoine


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