Voyage charmant
D’apparence, ce voyage intergalactique de Gulliver n’a rien de très japonais. Qu’on se le dise. Une fois le remoud des vagues de la TOEI un peu calmé, une autre tempête prend le relais, en pleine mer, avec un Gulliver luttant pour sa survie. L’originalité du début du film se situe alors dans sa mise en abyme du cinéma : Ted, un jeune garçon de condition modeste erre dans une salle de cinéma qui projette Le Voyage de Gulliver, avant de se faire jeter dehors par un ouvreur. Difficile alors de se situer avant que le magnifique générique d’introduction nous fasse comprendre qu’effectivement, le Gulliver de Kuroda Yoshio n’a rien de bien japonais. Découverte de ruelles sombres où l’on peut y voir les enseignes « hotel », « grill » dans une architecture tout ce qu’il y a de plus occidentale. Américaine, européenne, qu’importe.
Ce qui saute aussi aux yeux est l’influence occidentale sur le dessin. On hésite entre Walt Disney (on y chante très souvent, il y a des animaux de la forêt, un petit jouet et un chien qui causent) et les cartoons de la Metro période sixties. La simplicité évidente du dessin donne pourtant un charme fou à ce film clairement sous influence. L’incohérence de l’univers apporte également une vraie touche de naïveté : on passe d’un quartier pavé façon Paris de carte postale (sans les accordéons toutefois) à un parc d’attractions, d’un entrepôt de bricoles à une inquiétante forêt, d’une maison de conte de fées à une étoile dans l’espace, le film nous fait voyager dans à peu près tout ce que l’imaginaire des dessinateurs a de plus farfelu. Mais le film ne nous prévenait-il pas que l’aventure n’allait pas être de tout repos ? On fait bien ici référence à un voyage intergalactique, mais un voyage avant tout. Voyage dans un univers quasi abstrait (il suffit de voir la séquence d’entraînement de Ted et sa bande avant de partir dans l’espace, limite sous champis), ponctué d’idées de mise en scène rafraîchissantes (le rêve de Ted à bord du vaisseau spatial) qu’une animation et des décors parfois bien médiocres n’arrivent pas à en enlever le charme, ce voyage dans les étoiles a beau se calquer sur son modèle occidental relativement académique et exempt de prises de risques (narratives et formelles), il n’en demeure pas moins frais et charmant le temps de 80mn tout juste remplies.
C’est sur des petits détails que le film intrigue : hormis quelques références à la culture japonaise populaire (un match de baseball à la télé donne par exemple le sourire au petit soldat de bois, ou encore la philosophie du gambatte très présente), rien ne provient visuellement, pas même un petit détail, du pays du soleil levant. Il est très japonais dans sa bande-son, en toute logique, avec le score classique mais réussi de Tomita Isao et un doublage effectué par quelques noms connus (Miyaguchi Seiji, Oizumi Akira, Ozawa Shoichi…) rappelant à l’oreille quelques films épiques d’époque. Le reste provient d’ailleurs, d’une autre constellation. Une constellation où tout va très vite en un minimum de temps. Il faut aligner le plus de trouvailles, le plus de personnages, d’êtres étranges (et vilains), de décors variés dont la laideur de certains trahissent un certain manque d’ambitions. Sans toutefois avoir le même budget que les grands classiques de Disney, Kuroda Yoshio embarque Ted, son pote Gulliver –qui a pris de l’âge depuis son aventure au cinéma, un petit chien et un soldat de bois dans une aventure dont la naïveté d’époque lui donne le charme d’aujourd’hui.