Papier Doré
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, une combinaison des bombardements et de la négligence des studios a fait que sur les 22 films réalisés par Yamanaka Sadao seuls trois ont survécu. Parmi eux, son dernier film, Pauvres humains et ballons de papier fait regretter qu'il soit décédé trop jeune.
Le film frappe d'abord par son caractère à contre-courant du jidaigeki de son temps. Portés par le contexte belliciste de l'époque, beaucoup d'entre eux portaient en effet aux nues l'observance du bushido et le militarisme. Pas d'héroïsme ici mais un ronin ayant du mal à joindre les deux bouts ancêtre des anti-héros qui envahiront le genre dans les années 60. Et il vit grace à sa femme fabriquant des ballons de papier. Quant à la figure de l'officiel, elle incarne un homme sans reconnaissance, ignorant le fils de celui l'ayant aidé à être à sa place et particulièrement préoccupé par la classe sociale de celle qu'il doit épouser. Voir ce ronin espérer naïvement obtenir de sa part cette reconnaissance a le parfum des combats qu'on sait perdus d'avance. Le film frappe également par le naturalisme de ses parti pris. S'ils viennent d'une troupe de théâtre, les acteurs de la Zenshinza ne forcent jamais le ton là où tout se prêtait à de la gallerie de "gueules" avec cabotinage en option. Narration et parti pris formels sont aux antipodes d'une dramaturgie classique, préférant la progression par la répétition. Narration en boucle commençant et s'achevant sur un suicide d'abord. Et puis ces plans extérieurs de l'allée des locataires toujours dans son axe donnant parfois sur une porte séparant ces lieux de misère de l'extérieur. A l'opposé, la mise en scène supprime tout repère topographique pour les scènes en extérieur. On peut y voir un travail sur l'espace évoquant le kabuki (le film est d'ailleurs tiré d'une pièce du genre) mais aussi une envie de contraste entre un dedans rassurant et un dehors hostile. Comme si le lieu de la misère, le lieu où vit le peuple était bien plus confortable que ce monde extérieur plein de cruauté. Où une porte/voix sans issue est aussi une protection. Qui plus est, la mise en scène et le montage offrent ces univers de manière brute, ne cherchant aucunement à faire de transition entre eux.
Ces répétitions de plans, de lieux, ce retour au (noir) départ, tout ceci est parfaitement synchrone d'un propos sur la féodalité d'une grande noirceur. Lorsque le corps du suicidé est découvert au début, tout ce que les villageois se demandent est pourquoi il s'est suicidé maintenant et pas hier, en se pendant et pas par hara kiri... Humour oui mais humour noir. Et ce qui est censé servir au recueillement devient un moment de fête pour les "villageois" comme si la mort d'un des leurs était le seul vrai moment communautaire. D'un autre coté, le village offre une protection à qui est recherché et peu utiliser les habitations qu'il connait bien pour se cacher. Comme si finalement ce minimum vital de soutien dans la déchéance était ce qui était absent de l'extérieur, de ses puissants et voyous sans principes. Déjà ça mais pas de quoi en faire une planche de salut comme le montrera une fin en forme de retour au point de départ/rien n'a changé.
Et d'une absence de dramatisation au diapason des personnages émane l'assez terrible sentiment d'une douce acceptation de leur condition. De film sans personnage principal autour d'une "communauté" le film passe aussi progressivement à une tragédie centrée sur un petit nombre d'individus en même temps que l'humour se raréfie. La mise en scène est remarquable dans son élaboration discrète. Les jeux ombre/lumière sont très travaillés, le cadre toujours extrêmement composé mais les longs plans séquences du film ne donnent jamais l'impression de tableau filmé. Et mise en scène et montage n'oublient pas de mettre l'accent sur des détails révélateurs de l'état d'esprit des personnages. Sans parler d'un art de l'ellipse ici maîtrisé et ajoutant à la force du film. Outre son refus du bellicisme, le film est enfin aussi en résonance avec son temps car l'univers décrit est finalement synchrone d'un pays alors en récession. Et le film se conclut sur un plan final magnifique d'un ballon de papier s'éloignant sur l'eau reforçant de manière ellipitique le pessimisme du propos.
Quels autres films aurait fait Yamanaka s'il avait vécu plus longtemps? On l'ignore mais le visionnage de Pauvres humains et ballons de papier a un parfum de regret d'une disparition précoce d'un grand du cinéma japonais. Lui qui admirait le cinéma américain et tentait d'intégrer son influence aux codes du cinéma japonais de l'époque méritait l'admiration qu'il eut en son temps à domicile pour des films à l'opposé des clichés du jidaigeki de son temps.