Une lettre d'adieu estimable
Qu'il semble loin le temps où Misumi réalisait classiques sur classiques pour les comptes de la Daiei avec une équipe fidèle (Koike Kazuo aux scénarii, Makiura Chishi à la photo...) et habituée des exigences du maître. Pur film de commande pour la Shochiku, devant alors conserver son statut de faiseur de grands divertissements puisque la compagnie se devait de produire au moins un grand film par an (souvent pour les fêtes hivernales) d'une durée conséquente.
Les Derniers Samouraïs n'est donc pas le projet terminal personnel d'un homme qui donna ses lettres de noblesse au genre qu'il maîtrisait tant, le chambara, mais constitue tout de même une grande réussite de studios. Plus bis qu'un Kurosawa, moins enragé et politique qu'un Gosha, mois onirique qu'un Kobayashi mais tout aussi talentueux dans la pure recherche d'idées qui font la différence, Misumi n'en est pas à son premier essai, c'est pourquoi ce testament ultime rassemble dans les grandes lignes le meilleur de son cinéma sans pour autant le magnifier plus qu'il ne l'est déjà.
Les Dernières Samouraïs n'en garde pas moins le souffle de la grande époque, par ses interprètes tous doté d'un charisme certain, par ses thèmes abordés rassemblant tous les bons outils du cinéma populaire. La romance tient une part importante, tout comme la politique ou la remise en cause du code des samouraïs, les relations maître/élève proches du père/fils, c'est justement ce dont traite le film de Misumi, qui à de nombreux égards peut se targuer de faire figure de véritable fresque guerrière, le dernier souffle d'un maître à un genre. Le métrage s'axe principalement sur le personnage de Sugi, fils déshérité par ses propres parents, qui tenta de suicider un beau soir, repêché de justesse par Ikemoto qui lui enseignera par la suite les valeurs du samouraï par le biais d'un entraînement "fer contre fer", comprenons par là, avec de vrais sabres. Et ce qui rapproche justement ce film-ci d'une des autres fresques -sur la longueur- de son auteur (
Baby Cart ou
Zatoichi), c'est parce que ses héros partagent ce même sentiment de liberté et de non appartenance à tel ou tel Shogunat.
Sugi c'est donc un Ogami Ito en plus romantique, plus beau gosse, aussi un bretteur compétent qui se battra jusqu'au bout pour conserver cette indépendance et conserver les leçons de son maître, lui-même espion du Shogunat donc quelque part, contre le gouvernement en place à Edo. Tous n'ont pas la même vision du monde que Sugi, comme notamment le samouraï "peteur" Hide (impeccable Ogata Ken) qui recherche plus le succès et l'évolution en grade (il terminera général). Les samouraïs ne sont donc pas tout à fait morts, il subsiste bien quelques relents guerriers dans l'âme de chacun (prémisse d'un combat au balais entre Sugi alors devenu barbier et un sergent enrobé), ce fameux sentiment de vengeance donnant lieu à un superbe duel de fin entre deux amis. Misumi critique d'ailleurs ouvertement la modernité et le progrès, où cannons militaires et fusils remplacent les bons vieux sabres. Il critique aussi la bêtise et le carnage engrangé par des clans qui se livrent une guerre sans merci avec implication du Shogunat. Cette violence est symbolisée par l'un des plans finals où combats au sabre et explosions se superposent comme pour accroître le sentiment de bêtise et d'utopie grandissante. Misumi n'aura jamais aussi bien témoigné son attachement pour le classicisme quitte à paraître fin réactionnaire, mais sa sincérité fait mouche : humanisme de ses héros, beauté et générosité de ses femmes, cupidité des hauts dignitaires. Voilà un pur film politique, à la fois traditionnel et particulièrement moderne, conté telle une fresque s'étalant sur plusieurs années, rythmé par ses nombreux combats au sabre et ses saisons qui défilent au galop, période estivale, automnale, hivernale et printanière, tout y passe pour un résultat formel de qualité. Le cinéaste n'était peut-être pas en possession de ses moyens du fait d'une équipe retravaillée pour l'occasion, mais Les Derniers Samouraïs est ce qu'il est : un chant funèbre pour un testament artistique certain.