Itami fils avait de qui tenir...
Remercions ici le propre et regretté fils d'Itami Mansaku, Itami Juzo. Il fit tout pour que le film de son père soit préservé et en fit faire une copie sous-titrée en anglais. C'est donc grace à lui qu'un film aussi important dans l'histoire du jidaigeki et du cinéma japonais que L'Espion Akanishi Kakita est toujours visible aujourd'hui. En allant à l'opposé de la dramatisation courante alors dans le genre et en tentant de briser ses schémas, en important de la comédie hollywoodienne une ironie légère, Itami renouvelle le jidaigeki.
On sait désormais que sans Itami Mansaku la révolution du chambara Yojimbo n'aurait pas eu d'ancetre. A une époque où ce qui caractérise le jidaigeki est la dramatisation, l'exaltation de l'héroisme, Itami introduit dans le genre une approche ironique et un héros/antihéros. L'allure négligée de Kakita Akanishi, son coté mal rasé en fait l'ancetre du sabreur sans nom de Yojimbo et par là meme de tous les cow boys crados du western spaghetti. Pas d'honneur à défendre ou à respecter pour lui, il s'agit juste d'accomplir sa mission de simple espion. Qui plus est, il habite un lieu des plus misérables et sales. Et chose pas du tout héroique: il souffre de l'intestin et va tenter de s'ouvrir le ventre pour faire passer sa crise intestinale. Et le Hara Kiri de se retrouver ridiculisé parce que tout le monde s'exclame que ce qu'il a fait "est unique dans l'histoire du Japon". Mission accomplie suffirait-elle? Non, vu qu'il lui faut s'éclipser sans qu'on se doute qu'il est un espion. Et son acolyte de lui proposer une idée géniale: déclarer à une très belle femme sa flamme par lettre, se retrouver ridiculisé par son refus pour pouvoir rentrer dans sa province sans éveiller de soupçons. Supreme malchance: elle tombe amoureuse de lui et le voilà obligé de perdre la lettre là où il sait qu'elle peut etre retrouvée... et le ridiculiser pour de bon. Comme s'il ne l'était pas déjà avec son nom de fruit de mer... Il n'est d'ailleurs pas le seul dans le film à souffrir de ce type de choix patronymique...
Et à un regard où affection et ironie se melent, au sentiment de légèreté dégagé par le montage s'ajoutent une façon remarquable de créer du gag par la mise en scène. Le travelling suivant de façon rapprochée le chat qu'un personnage tient en l'air par exemple. Cette caméra se rapprochant puis pivotant pour souligner le ridicule du discours d'un officiel. Cette utilisation du grand angle et d'un montage elliptique pour ridiculiser l'incapacité d'Akanishi à rédiger une lettre d'amour sans que l'absence d'inspiration ne lui fasse consommer une quantité astronomique de papier. Cette profondeur de champ soulignant sa gaucherie lorsqu'il doit donner la lettre d'amour à l'intéréssée. Ou encore cette utilisation des travellings avant et arrière combinés à une superposition avec l'image lors de la révélation de l'"échec" du stratagème de la lettre d'amour. Et le film de s'approcher de la fin sans que l'inventivité formelle d'Itami faibilisse. En utilisant le cadre de manière à mettre en évidence le décalage entre ceux qui se moquent d'Akanishi et celui qui a compris la supercherie. Le montage du son des rires moquant Akanishi sur un plan de ce dernier en fuite montre à quel point il a réussi à se jouer de ses ennemis. Le combat final de la scène du complot est rendu ridicule par des gestes exagérés et le plan de dessus du combat. Pour couronner le tout, une fin abrupte est autant l'occasion d'un nouveau gag que celle d'une réalisation a posteriori des désirs de l'amoureuse d'Akanishi. Aussi touchant que drole. Terminons enfin par souligner le talent de Kataoka en Akanishi mais aussi en vieillard dans un registre cette fois plus proche du kabuki. Seul reproche mineur: quelques baisses de rythme ici et là.
D'après Itami Juzo, L'Espion Akanishi Kakita aurait aussi un propos politique. Les mauvais serviteurs seraient le gouvernement militariste et le seigneur stupide l'Empereur du Japon. Si l'on peut ne pas souscrire à cette interprétation, reste que le film est à contre-courant d'une époque où le jidaigeki faisait parfois dans un bellicisme synchrone des ambitions expansionnistes du Japon de son temps. En plus d'etre en avance sur son temps, le rire d'Itami père serait alors un bel acte de rébellion. Rébellion dont son fils reprendra le flambeau face à la dictature des yakuzas sur la société japonaise avec le destin tragique que l'on connait.