Ordell Robbie | 3.5 | Lame délicate |
Ce troisième épisode de la saga de la sabreuse au tatouage de pivoine rouge ayant traumatisé plus d'un Schrader -qui adorait la série- ou d'un Tarantino -on reviendra plus loin sur les emprunts de Kill Bill à Kato Tai- est l'occasion d'évoquer un artisan du cinéma de genre nippon sixties aussi atypique que son héroine. Atypique, Oryu l'est d'abord par son coté doublement frondeur face à la société: femme assumant sa solitude et son statut errant dus à son refus de rentrer dans le moule de la femme soumise de l'ère Meiji mais aussi femme marginale parce que joueuse professionnelle aussi virtuose aux cartes que dès qu'il s'agit de manier le sabre en plein Japon des twenties. Pour autant, elle est loin d'etre une figure de femme glacée à la Lady Snowblood: elle incarne la douceur dans ses attitudes, douceur dont elle ne se départit pas meme lorsqu'il s'agit de manier l'arme blanche. Elle est une figure humaniste qui sauve ici une aveugle et l'amour d'un jeune couple au milieu d'une guerre de gangs, ce dernier point révélant une héroine défendant la préservation de ce à quoi elle n'a plus droit. Et elle reflète le regard de cinéaste plein d'affection de Kato Tai pour des figures en marge de la société japonaise, affection évidente quand on sait que leur créateur fut victime des "purges rouges" (équivalent du Maccarthysme pour le cinéma nippon) à cause de son rôle syndical. Kato Tai incarne quant à lui le modèle de ce qu'est la série B à son meilleur, à savoir la création d'un style dicté par les contraintes de tournages rapides et d'un budget modeste. Soit d'abord une certaine rigueur de cadrage et une lenteur classique dans les moments hors combats. L'économie de moyens dicte ce recours fréquent à des longs plans séquences. Comme dans un certain cinéma classique hollywoodien, c'est alors le charisme et l'énergie des acteurs qui donnent aux scènes leur tension. S'il faut un temps d'acclimatation à ce choix rythmique très particulier pour qui est habitué aux jitsurokus secs et hachés, l'inventivité visuelle des combats en est rendue d'autant plus frappante sans qu'on soit pour autant dans la luxuriance stylistique des Fukasaku ou Suzuki dans ces moments-là.
Au chapitre des choix formels qui font la modernité stylistique du cinéma de genre japonais sixties, on peut noter hors combat une superposition de plans et lors des combats à l'arme blanche les cadrages très rapprochés créant une perte de repères suivis d'un plan large recadrant l'espace, la volonté de ne pas montrer les coups portés pour créer un effet de surprise, les plans au niveau de la taille du combattant, ces idées-là ayant été réutilisées dans le final du Volume 1, et l'usage de caméras à l'épaule créatrices d'intensité et porteuses de chaos lors du combat final. C'est d'ailleurs encore l'économie de moyens qui dicte la présence de plans cadrés de façon très basse (les plans à ras le sol sous la dilligence) nécessitant de creuser des trous dans le sol pour y placer la caméra. Et ce afin de magnifier ses héros. On mentionnera aussi l'emploi épisodique d'armes à feu lors des combats et une course poursuite chevaux/dilligence montrant qu'il a beau dater de 1969 ce volet-là est déjà seventies dans sa volonté de crossover est/ouest, de film de sabre et de western dans un contexte de cinéma populaire (certains plans annoncent aussi par leur violence graphique le chambara seventies meme si on demeure très loin de la violence des Babycart). A tout cela s'ajoutent les thèmes d'honneur et de sacrifice du ninkyo eiga ainsi qu'outre Fuji Junko jouant le role titre et qui fut surnommée l'Audrey Hepburn japonaise un casting composé de rien de moins que Takakura Ken et Wakayama Tomisaburo. Le tout donnant un bijou du cinéma de genre made in Japan, une quintessence du film de yakuza dans sa "seconde vague" comme la nommait Schrader dans son fameux essai de 1974 sur le film de yakuza (codes d'honneurs pas encore démolis et yakuzas pas encore déshéroisés par Fukasaku qui fera rentrer le yakuza eiga dans sa troisième vague commençant vers 1971, budget plus conséquent que la première vague des années 60-67 composée de ninkyos eigas, casting all stars) aussi bien qu'un film anonçant par certains cotés ce que le cinéma de genre nippon deviendra dans les seventies. Bref un maillon important de l'évolution du cinéma populaire japonais comme l'est d'ailleurs toute la série.