(Es)Pion du destin
A l'époque de la réalisation de Samurai Spy par le cinéaste de la Nouvelle Vague Shochiku Shinoda Masahiro, d'autres cinéastes ont déjà remis en cause la figure classique du héros du jidaigeki. D'une manière ironique comme Kurosawa dans Yojimbo ou en portraiturant des ronins désoeuvrés et rebelles comme Kobayashi dans Hara Kiri. Un an avant, Gosha Hideo avait lui mis en place avec son coup d'essai/coup de maître Trois Samouraïs hors la loi ses figures de samouraïs en révolte contre leur propre clan. Avec Samurai Spy, Shinoda s'inscrit dans cette logique de rupture tout en poursuivant ses propres visées esthétiques et thématiques. Seule figure de la Nouvelle Vague Shochiku à avoir passé une license d'histoire du théâtre, Shinoda n'était pas intéréssé par le réalisme au cinéma. Il s'agissait pour lui de partir de la réalité pour arriver à une idée supérieure à celle-çi. Dans Samurai Spy, tous les parti pris formels tendent ainsi vers une certaine abstraction. C'est le cas de la composition très rigoureuse du cadre, d'une photographie noir et blanc fortement contrastée, d'une superposition d'images pendant un rêve ou de ralentis ajoutant à la théâtralité des combats. Théâtralité dans le mouvement des armes et des combattants participant de cette abstraction (souvent considérée comme de la froideur par les détracteurs du cinéaste).
Cette envie d'enlever toute réalité à ce qu'on voit à l'écran permet au film d'approcher une autre réalité: celle du ressenti de Sasuke face aux évènements. Si les héros de Gosha et de Kobayashi sont des figures volontaires, Sasuke semble lui subir les évènements. Une mécanique de fatalité se déroule devant lui, mécanique qu'il a du mal à maîtriser. Qui plus est, il subit aussi parce qu'il aimerait bien prendre du recul après des années à servir le Shogunat, qu'il aspire au repos et se voit obligé d'agir. Shinoda fait comme si son public connaissait bien le contexte historique et les protagonistes et rend de fait le scénario difficile à suivre. Mais cette question de lisibilité narrative semble le dernier cadet de ses soucis, les enjeux scénaristiques n'étant qu'un prétexte à un tableau de la fatalité en action, de celui qui la subit. Et ce flou narratif cadre bien avec le sentiment d'incertitude de Sasuke face au contexte historique de son temps. Spoilers Chose pas contredite par la résolution finale car cette dernière prolonge cette idée d'incertitude en l'appliquant au spectateur. Donnant l'impression de subir, Sasuke était en fait bien moins perdu que ce que l'on croyait. L'idée que le monde ne s'offre pas spontanément tel qu'il est à notre regard se retrouve appliquée au regard du spectateur sur le film. Fin Spoilers On pourrait finalement dire dès lors qu'avec Samurai Spy Shinoda réalise un film noir en costumes en totale continuité avec son yakuza eiga existentialiste .
Si par la suite Shinoda sombrera parfois dans l'esthétisme, Samurai Spy fait partie des Shinoda évitant cet écueil-là. S'il partage avec eux le goût pour des thématiques fatalistes et un vrai sens de l'abstraction formelle, il n'est néanmoins pas aussi abouti qu'un Pale Flower ou un Double Suicide à Amijima. Mais avec sa vision singulière du héros du jidaigeki, le film se montre synchrone de l'évolution du genre en son temps tout en imposant la marque singulière d'une figure à part de la Nouvelle Vague.
Du charme mais pas convaincu pour autant.
Le début s'annonce sympathique puisqu'en effet, la mise en scène se veut assez théâtrale et l'action y est flottante et un brin abstraite ce qui lui confère une certaine touche originale et une ambiance silencieuse assez singulière grâce à des plans très éloignés (une descente de colline qui assure) ou au contraire des plans remuants ou de légers travellings coupés aux torses, avec un montage bien alterné et original. Il faut ajouter une bande d'espions ninjas mené par un
Tamba Tetsuro tout en blanc avec une belle cagoule et un air tirant sincèrement vers
Jimmy Wang Yu en action, les bras tendus marchant tranquillement attendant que l'ennemi se ramène pour le trucider en un éclair. On retrouve d'ailleurs lors de quelques brefs passages les sauts à la
Steve Austin chers à la Shaw Brothers. Le sabreur héroïque au visage exotique du clan Sanada est lui aussi assez singulier et sa taille (il dépasse tout le monde d'une tête) tout comme sa performance monofaciale m'ont beaucoup rappelé la présence physique de
Mark Gregory dans
Les Guerriers du Bronx (ah oui, quand même). Le résultat de cette recette d'action plutôt originale pour un chambara historique penche malheureusement de plus en plus vers un certain ridicule. C'est franchement cheap et plutôt mal foutu dynamiquement parlant, mais 1965 tout de même, période où la Shaw ne fait guère mieux. Toutefois, cette théâtralité met grandement à jour la faiblesse technique des combattants heureusement bien dissimulée par des cadrages esthétiques, un beau contraste élevé où une caméra volontairement placée très près ou à 5 kms de l'action.
Mais ce qui déçoit le plus est sans doute le fond du film plutôt que la forme qui garde un charme certain. L'histoire se veut un sac de noeuds d'alliances, de complots, d'espions et de traîtres couvant une guerre entre Tokugawas et Toyotomis et s'avère plutôt confuse et de toute façon pas franchement primordiale. J'ai eu subreptissement l'impression de voir un Tony Liu à l'oeuvre pour son The Lady assassin par exemple, c'est à dire un beau paquet de linge politique comploteur bien tassé dans un panier trop petit pour crédibiliser la moindre dose de sentiments. Du coup, on n'a pas vraiment de bonnes raisons de s'attacher aux personnages, le héros monofacial étant celui que l'on suit de bout en bout avec la même sensation de ne pas comprendre réellement ce qui se trâme. Et pourtant, au final, Sasuke notre marathonien de service (il court comme un chevreuil) s'avère être un véritable Sherlock Holmes puisqu'il montrera d'un seul coup d'un seul qu'il a absolument tout compris depuis longtemps, et même plus que nous. Mais l'effet n'est pas très porteur à mon sens, car d'un autre côté il m'a semblé plutôt aisé d'anticiper le dénouement ***spoiler*** puisque forcément il était question d'un protagoniste qui trompe tous les autres, et je ne sais pas pourquoi, mais vu sa tête la première fois qu'on le voit, on sent tout de suite que c'est lui qui baratine. ***spoiler***.
Le noir et blanc très contrasté est joli mais ne facilite pas toujours la lisibilité des scènes nocturnes, la musique, Les décors naturels tout comme le festival sont quant à eux très sympas, notamment ses beaux plans de collines, de ponts suspendus ou non, ou ce temple, véritable havre de paix pour le guerrier en quête de tranquillité, mais on est assez loin des références selon moi tant le fond historique ne développe que très peu de thématiques intéressantes. Reste une ambiance singulière entre l'action plutôt bis sur les bords et le chambara d'espionnage guindé.