Machette, quel film ! 
Vendredi soir. Il est tard, je rentre dans mon appartement au quatrième étage, au bout du  couloir après l’ascenseur. Sur les côté se trouvent les portes des  logements voisins. Il va me falloir arriver jusqu’au mien ! Peu rassuré,  je me prépare, sors les clefs de ma poche, prends appui sur le  carrelage d’un pied, fixe mon objectif et m’élance. Je cours sans  m’arrêter et, une fois devant la porte, vise  parfaitement la serrure puis d’un mouvement bref et précis je l'ouvre. Je me précipite à l’intérieur et m'enferme illico à double tour. Ouf ! 
C’est stupide, je sais, il n’y a aucun risque à se balader  dans ce couloir. Au pire, ma vieille voisine m’aurait demandé de sa voix  tremblotante de la dépanner de quelques œufs. Oui mais voilà, je viens  de voir 
The Raid et baigne encore dans la paranoïa ambiante.  

 
Aller voir The Raid alors que je nage toujours dans la très respectée  série policière américaine
 The Wire, étudiée en sociologie, qui de son  côté s’échine à éviter toute forme de manichéisme pour décrire de la  façon la plus réaliste possible truands et flics au sein d’un  microcosme, une cité de Baltimore, où tous les points de vue nous sont  proposés brut de décoffrage, cela peut de prime abord sembler décalé.  Parce que si avec ce ride gallo-indonésien je m’attendais à du chouette  bourrinage décomplexé, j’avoue que sur le fond je pensais au mieux  n’avoir rien à me mettre sous la dent, au pire me prendre dedans (les  dents) une morale à balle-deux sur le bien, le mal, la drogue etc. Ô  surprise, il y a du contenu thématique dans cet environnement. 
Lorsqu’on veut absolument représenter le réel, dans la plupart des cas  c’est l’absurde qui finit par se pointer, vertigineux et effrayant,  impalpable et incontrôlable. La réalité est absurde, la voilà la vérité  vraie, ce que d’ailleurs un film sous-estimé comme le
 Burnt After  Reading des frères Coen, qui payèrent là joliment leur tribu à Ionesco,  un de leurs maîtres à penser, démontre admirablement mais, défaut de ses  qualités, au dépend du spectaculaire et de l’empathie. Tandis qu’avec  le genre ça n’est pas la consternation du réel qui prédomine mais plutôt  l’abstraction, l’exagération. Aussi, avec cet immeuble dessiné  grossièrement, ces couloirs issus d’un quelconque film d’horreur à la  
Silent Hill, ces vilains improbables qui se battent tous comme Tony Jaa -  spéciale dédicace à mon laborantin « Joe Coudcoudes » -, une certaine  perception de la réalité nous est également proposée. A balayer d’un  coup de pied rotatif ? Certainement pas. En attendant de découvrir le  brésilien 
Tropa de Elite 2 qui apparemment dissémine cette même  réflexion sur les pourtours d’un film d’action, en bout de course de ce  monument de tatanage le réalisateur de Merantau nous laisse avec deux  entités équilibrées. Si d’un côté on trouve les forces dites de l’ordre  et de l’autre des individus en marge de la loi, la définition du mal  dépasse cette frontière factice et facile. Lorsque l’on est du côté des  mafieux, avec un statut, c’est à dire une forme de reconnaissance, donc  d’existence, c’est ce ressenti de l’existence qui nous sert de moteur.  De raison de vivre, sans perspective d’en obtenir jamais une autre. A  cette existence de trouver justification, en opposition à une justice  forcément corrompue. Et l'on ne parle pas de la possibilité toute simple de manger à sa faim. 
A mes yeux, cette démonstration procure une grosse valeur ajoutée,  enrichit et compose cette nouvelle date dans notre cinéma hormonal  préféré. The Raid dépasse ses quelques emprunts aisément identifiables  (Piège de cristal, Hard Boiled - qui déjà.. -, Assault on Precinct 13, Léon, Final  Option, Tom Yum Goong…) pour se suffire à lui-même, écraser sans peine  quelques cousins, dont font partie les quelques illustrations de l’art  martial du parkour qui sombrent définitivement dans l’anecdotique, et  s’imposer comme un nouvel Everest à dépasser. Non seulement l’action y  est dantesque mais elle y est aussi génialement amenée à l’aide d’une  excellente maîtrise des crescendos, de la tension. Le dosage est au poil, le shoot d’adrénaline impeccable.  Rarement un film dit d’action pure aura aussi bien tenu la distance,  sachant rebondir avec un scénario malin, quelques échappées  respiratoires bienvenues et des chorégraphies toutes plus jubilatoires  les unes que les autres. C’est excellemment bien rythmé tout ça et  dépasse la série B foutraque HK de type Tiger Cage 2 ou Extreme Crisis  (j’aime bien, j’assume) avec en guise de cerise sur le gâteau non pas  une cage à pigeons sur un immeuble – coucou Ghost Dog ! – mais LE  générique final ultime pour tout fan d’action qui se respecte.  Habituellement, on y voit défiler les interprètes de facteurs,  passants, témoins et autres standardistes avant de nous poiler, enfin,  devant l’énumération des cascadeurs interprètes des Swats 1 à 8. Là on  assiste à un défilé impressionnant d’artistes martiaux – dont mon Joe  Coudcoudes, labo guard n°7 -, tous héros de ce morceau de bravoure fait  par un amoureux à la fois du genre et des amoureux du genre. 
The Raid est un véritable miracle en cela, aussi, que ses nombreux défaut  servent le propos. La représentation des lieux un peu aléatoire nous  fait perdre nos repères et nourrit le sentiment d’insécurité tandis que  le vilain Mad Dog est trop mis en avant au dépend d’Uwais, ce qui  étonnamment empêche toute propension à la starification égocentriste de  notre personnage principal et équilibre assez sainement les enjeux. Dans  le scénario, ce sont les flics qui déclarent la guerre en flinguant un  gosse pour l’empêcher de sonner l’alerte. Quel parti prendre à cet  instant, franchement ? Un peu plus tard un twist arrive et casse d’abord  une ambiance géniale à la John Carpenter, héritée d’ailleurs de Hawks,  manichéenne (l’appréciation de la nuance, on le sait, conduit à  l’échec), pour ensuite enrichir les enjeux, le « champs de l’emprise »  cher à Tsui Hark dont j’ai causé il y a peu (et qui a pondu un The Raid  lui aussi, tiens, en 1991) et donner une ampleur certaine au final.  D’habitude, lorsqu’on attend trop d’un film, on est déçu. Là, non. C’est  assez rare pour être souligné.
	
 Généreux... 
Généreux, brutal, divertissant... The Raid ne démérite vraiment pas mais reste loin de la claque espérée après toutes les critiques positives checké ici et là. Le film a le même problème fondamental partagé par une bonne partie de films de castagne martial extra HK : ce n'est pas le scénario mais la mise en scène/montage des combats qui n'est pas au niveau : plans qui trainent parfois en longueur, manque de concision et de rythme dans le découpage, manque d'inspiration dans la photo. Ce ne sont pas les qualités des acteurs, ou leur implication qui me gène mais bien la "valeur chorégraphique" d'ensemble, la valeur chorégraphique dans sa dimension cinématographique. C'était déjà le même problème avec le précédent film de la même équipe (
Merantau). C'est mon problème avec pas mal d'autres films thai/malaisien etc... 50 ans de savoir faire dans les chorégraphies martiales (et les chorégraphes/réa qui vont avec) ne se compensent pas aussi facilement.
	17 septembre 2012
	par 
Astec