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Un Millier d'années de bonnes prières

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Xavier Chanoine 4 Deux portraits de femme d'une grande justesse, différents et touchants
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Deux portraits de femme d'une grande justesse, différents et touchants

A la découverte de Un Millier d'années de bonnes prières et de La Princesse du Nebraska, un constat s'impose : Wayne Wang est un grand peintre, capable de véhiculer par l'intermédiaire de son objectif des émotions et des sentiments simplement parce qu'il connaît parfaitement les personnages qu'il raconte, leur identité mais aussi leur passé. Avec des outils d'une simplicité déroutante, il dépeint une société américaine qui d'un côté est très éloignée de la société chinoise (Un Millier d'années...) et de l'autre une société américaine qui ne connaît pas la vraie Chine (La Princesse...). Sortis sous forme de diptyque finalement cohérents dans leurs propos, différents dans leur exécution certes mais se rejoignant tous deux comme le souhaite Wang, c'est à dire dans la peinture de deux opposés culturels. Dans le premier, une jeune femme chinoise a quitté son pays natal pour s'installer aux Etats-Unis. Elle y est depuis quelques années et s'y plait, mais semble fuir son passé. Un beau jour elle reçoit la visite de son père qui emménage alors chez elle. Il ne parle pas très bien anglais mais paraît s'accommoder facilement aux principes de vie de la société dans laquelle il évolue à présent, mais seulement en façade, ce dernier continuant de vivre à la chinoise aussi bien physiquement que spirituellement : il décore d'abord l'appartement de sa fille avec tout un tas de gris-gris porte-bonheur typiquement chinois, tapisse le papier-peint désespérément terne de la cuisine avec des articles de journaux chinois et prépare des repas traditionnels extrêmement copieux lorsque sa fille rentre du travail le soir. Dès lors, un conflit logique éclate, la jeune fille ne vivant plus selon les traditions de son pays, chose que son père ne semble pas tout à fait apte à comprendre : lors d'un repas, ce dernier se plaint du silence de sa fille "tu es silencieuse ce soir, ça ne va pas?" et la fille de rétorquer peu après "on peut être silencieux et très bien aller". Le vieil homme tentera très souvent de se justifier auprès de sa fille en parlant du passé, tout le contraire de la jeune femme qui vit et au jour le jour et tout en se projetant dans l'avenir, et qu'importe si son passé de jeune femme divorcée la rattrape, elle se fiche des conventions de son pays natal sans pour autant oublier ceux qui l'ont éduqué et qui ont fait ce qu'elle est devenue à présent, une jeune femme dynamique dans l'air du temps qui sort de temps en temps le soir. Encore un style de vie que ne comprend pas le vieil homme, qui passe à présent ses après-midi dans un parc en compagnie d'une femme iranienne d'un certain âge incapable de placer deux mots corrects d'anglais à la suite. Wang démontre alors la capacité que chacun a de communiquer sans pour autant utiliser la même langue. Une gestuelle, un ton de voix, une insistance, un passé commun dirait l'autre, de simples outils de la communication de tous les jours qui s'avèrent être universels qu'importe le pays d'où l'on vient. Ces rencontres quotidiennes sur un banc sont aussi l'occasion de creuser la personnalité des êtres, d'évoquer la vie le temps d'une discussion autour de la vieillesse et de la société non sans humour.

Wang se révèle être pourtant très distancier sur son sujet, cinéaste pas très intéressant habitué des studios d’Hollywood depuis des années, c'est comme s'il gardait une marge entre ses personnages très "chinois" et son rôle de metteur en scène "américanisé" et qui baigne dans la société coca-cola depuis des lustres. Cependant cette distance entre les personnages et son regard d'auteur sino-américain est une bonne chose, sa caméra cadrant avec une justesse absolue des personnages enfermés malgré eux dans un cadre qui leur correspond mais qui n'est pas tout à fait ce qu'ils attendaient : le père de Yilan semble être oppressé par le cadre américain, pas tout à fait rassuré à cause d'un manque de repères, enfermé dans une bulle qui n'est pas la sienne, tandis que Yilan évolue malgré ses contraintes de coeur dues au passé dans un cadre qui lui plait mais dont elle semble à présent incapable de quitter. Et c'est par sa mise en scène d'une déroutante simplicité que Wayne Wang parvient à véhiculer des émotions, belles et simples, soutenues par une partition au piano pleine de justesse et d'équilibre. Les personnages sont alors creusés avec plus de précision au fur et à mesure que le film déroule son étalage de vérités liées aux différences entre l'occident et l'Extrême-Orient : tandis qu'il critique ouvertement le divorce de sa fille, il sera poussé par cette dernière à passer aux aveux lui-aussi, des aveux qui contrasteront rapidement avec les valeurs et traditions ancestrales chinoises qu'il respecte -ou semble respecter- tant pour les inculquer à sa fille de manière si forte.

Cette stabilité de vie est tout le contraire de Sasha, héroïne irritante de La Princesse du Nebraska. La jeune femme moderne, presque provocante, passe sa première année d'Université aux Etats-Unis dans le Nebraska. Durant ses vacances à Pékin, elle rencontre Yang, un artiste issu de l'Opéra local. Elle se rend compte quatre mois plus tard qu'elle est enceinte de ce dernier et décide de rejoindre San Francisco avec l'idée d'avorter. Elle rencontre là-bas Boshen, amant de Yang bien décidé de faire tout en son possible pour convaincre Sasha de garder l'enfant, malheureusement le laisser-aller de la jeune femme va rapidement l'agacer et ce dernier ne s'occupera plus d'elle comme prévu. Sasha est alors livrée à elle-même dans une société visiblement bien différente de celle qu'elle pensait. Coup classique de la jeune fille paumée, Sasha va se retrouver dans le Chinatown local et rencontrer des personnes peu recommandables : prostitution, ivresse de l'alcool, zonage jusqu'à plus d'heure, preuve de son manque de maturité et de sa faiblesse d'esprit sûrement dus à des questions dont elle ne trouve pas de réponses : elle communique sans retour avec Yang depuis son téléphone portable en enrichissant l'échange par des vidéos personnelles. L'intérêt du film réside en partie dans son mystère, le cinéaste évoquant la vie de la jeune fille par l'intermédiaire de petites notes futiles et l'on semble connaître Yang parfaitement alors qu'on ne le verra jamais si ce n'est par des lettres envoyées à son amant. Mais la précision de certains détails évoqués par Sasha, participe à l'attachement que l'on éprouve aux personnages peuplant ce Chinatown peut ragoûtant : elle confiera plus qu'il n'en faut à son amie d'un soir avec qui elle frôlera l'expérience homosexuelle simplement parce qu'elle trouve enfin un petit moment de bonheur et de complicité avec une personne qui partage bien plus qu'une même nationalité. Ce carrefour de personnes complexes désireuses mais aussi désirées (dégoutante séquence d'amour entre un opportuniste noir américain et une Sasha perdue dans un milieu qu'elle n'a jamais côtoyé) anime La Princesse du Nebraska qui semble vivre d'une insolente improvisation aussi bien sur le papier que dans la mise en scène : le scénario évolue sans cesse et attise une curiosité presque malsaine chez le spectateur qui désire voir le bout de l'aventure de Sasha. A ce stade, c'est une vraie visite dans l'intimité d'une jeune femme qui ne se métamorphose heureusement pas en voyage complaisant et voyeur.

La mise en scène est aussi l'opposé même de celle d'Un Millier de bonnes prières, et se rapprocherait volontiers du style opéré par Wong Kar-Wai et Chris Doyle durant les années 90 pour des films que l'on ne présente plus. La maîtrise est si parfaite, si maniaque, presque moqueuse, que l'on crie davantage au plagiat ou au mieux à l'épate parce qu'elle accumule tous les poncifs pas croyables du clip : les personnages de Un Millier d'années de bonnes prières que l'on centrait dans le cadre ne sont que de simples souvenirs, ici les corps sont placés dans les coins (comme si laissés de côté), sont filmés à l'arrachée dans les rues bondées de San Francisco (avec problèmes de point volontaires et recadrages à l'appui), les détails se veulent de plus en plus précis, de manière quasi chirurgicales (avalanche de gros plans formidables). Le chef opérateur tend à atomiser la rigueur formelle, presque rigide du film précédent pour exacerber au maximum (quitte à en faire des tonnes) les émotions des interprètes, et le pari est réussi haut la main, délivrant ainsi des plans d'une beauté fulgurante, cohérente avec la narration chaotique qui culmine lors d'une ultime conversation entre une médecin et Sasha vers des émotions guère espérées : la jeune femme se confie alors, évoque son passé et ses intentions avec une justesse sidérante. Une mise à nue totale. Inespérée là-aussi au vu du comportement de la jeune femme, sans ressources donc prête à voler une famille pour finalement jeter sa recèle à la poubelle : je-m'en-foutisme là aussi total. Beau portrait d'une jeune femme instable qui souhaitait une vie sans problème (être diplômée, trouver un travail, se marier à 28 ans et fonder une famille) mais dont le destin s'est vu bouleversé par un être qu'elle ne souhaitait pas porter à l'intérieur d'elle.

Par ce diptyque intelligent, Wayne Wang pose les bases mêmes du travail censé démontrer par A+B les différences culturelles entre l'Extrême-Orient et l'occident. Si dans le premier, le cinéaste évoque une jeune femme qui a quitté son pays pour trouver quelque chose -ou quelqu'un- de nouveau, prétexte pour oublier un passé et qui se revendique à présent américaine, le second démontre une jeune femme qui n'est pas pleinement satisfaite de sa vie actuelle mais qui se revendique chinoise à 100%. Dans une conversation lors d'un repas organisé chez des chinois expatriés depuis des années, Sasha poussera une gueulante bien légitime à l'encontre de ces gens : "Vous ne connaissez rien à la Chine", et les autres de rétorquer par la suite avoir adoré leur séjour en Chine pour les merveilleuses ravioles au fromage qu'ils ont mangé. La Chine c'est un peu autre chose que ces débilités clichées.



02 août 2008
par Xavier Chanoine


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