Interview Fruit Chan

Réalisateur abonné aux festivals et autres récompenses, Fruit Chan est une des figures importantes de l'industrie cinématographique Hong-Kongaise. Après une première trilogie sur la rétrocession, il s'est attaqué à un nouveau sujet, la prostitution. Deux films sur les trois que comptera cette nouvelle trilogie sont déjà sortis: Durian Durian et Hollywood Hong-Kong. Cette interview revient sur sa carrière, et sur ces deux films plus en détail.

Est-ce que des réalisateurs, ou des courants artistiques ont eu une influence sur votre style ?
 

J'apprécie les réalisateurs qui font des films de grande qualité, quelque soient leurs noms et le pays d'où ils viennent. Les réalisateurs qui m'ont vraiment influencé, je pense, sont japonais. Des réalisateurs des années 60, comme Nagisa Oshima. Car ils ont fait des films réalistes, parlant des problèmes de sociétés. J'aime la période des années 60 au Japon, où les jeunes réalisateurs voulaient vraiment changer le système. Alors quand j'ai fait Made in HK en 1997, j'ai brusquement pensé à Oshima. C'était une époque très angoissante à Hong-Kong, avec un changement d'idéologie, du capitalisme au communisme, enfin peut-être. (Rires). Alors nous nous inquiétions beaucoup. Même les grands studios de cinéma ne pouvaient traiter un tel sujet, alors je me suis dis "OK, faisons le !". C'est de cette façon que Made in Hong-Kong est né. (Sourire).

 
Il est dit dans votre biographie que vous avez travaillé avec des réalisateurs très populaires comme Jackie Chan et Kirk Wong dans les années 80.
  Oui, j'ai travaillé à Hong-Kong au début des années 80. J'ai suivi beaucoup beaucoup de réalisateurs différents, notamment des réalisateurs d'importance: Jackie Chan, Kirk Wong, Ronny Yu, Shu kei, beaucoup de personnalités influentes. Honnêtement, ils sont très différents, chacun possède un style différent. Mais une chose qu'ils partagent et qui est très commun à Hong-Kong, c'est le fait de faire des films d'action ! (Rire). Les années 80 étaient une époque faste à Hong-Kong pour le cinéma, je pense. De chaque réalisateur, j'ai appris quelque chose, comment faire des films d'action, comment faire des comédies, des films romantiques, beaucoup de choses différentes. Je ne peux pas vraiment dire qui est le meilleur d'entre eux.
 
Quand vous étiez plus jeune, vous dirigiez une cinémathèque...
 

Wow, vous savez ça! (Rires). Laissez moi me souvenir... Je travaillais dans une petite cinémathèque appelé "Hong Kong Film Culture center". Beaucoup des nouveaux réalisateurs des années 80 s'y retrouvaient, Yim Ho, Ann Hui, tous ceux qui avaient étudié en Angleterre. Je pense que le début des années 80 était une époque difficile pour le cinéma de Hong-Kong, mais ce nouveau groupe a relancé la machine. Alors j'étais heureux de travailler dans ce centre, de se joindre à eux. J'y ai aussi appris un peu sur la partie technique du cinéma, la production, l'écriture de scénario, et comment réaliser un court métrage. Comme j'étais si jeune, je ne savais pas vraiment qui étaient les meilleurs réalisateurs, qui je devais observer, vous savez. Mais un an plus tard, je suis entré dans l'industrie du cinéma, et j'ai eu l'opportunité de travailler pour eux. Cette époque était très excitante pour moi. Cette cinémathèque était mon premier pas vers l'industrie cinématographique.

 
Comment avez-vous choisi les deux enfants pour Little Cheung ?
 

Je les ai trouvé dans les rues, à deux endroits différents. J'ai trouvé Little Cheung dans un village pauvre à Kowloon. Sur une île assez loin du centre d'Hong-Kong. Quand je les ai réunis la première fois, je ne savais pas comment les diriger, très honnêtement, car ils n'avaient aucun expérience d'acteurs. J'ai commencé par mieux les connaître, je leur ai donné du temps pour que nous commencions à nous sentir comme une famille. Quand nous avons commencé à tourner, ils n'avaient pas lu le script. Tout simplement parce que des enfants ne comprennent pas toujours ce que vous voulez exprimer au travers d'un film. Dans le film, il y a quelques passages mouvementés comme la poursuite à vélo. Donc Yiu Yuet-Ming a dû apprendre à faire du vélo avec un vélo de taille adulte. Il a fallut que je me soucie de savoir si les enfants pourraient faire tout ce que je voulais dans le film. Est-ce que Little Cheung pourrait conduire ce vélo et poursuivre l'ambulance dans la dernière scène ? C'était très difficile.

Mais j'avais de la chance. Lorsque le tournage était sur le point de débuter, je leur ai bien appris à interpréter leur rôle naturellement. Mais après une dizaine de jours, ils sont devenus plus matures, ils savaient comment jouer, ils aimaient travailler avec nous. Ils sont certainement devenus plus matures, mais je n'aime pas que les enfants soient matures, je veux juste qu'ils jouent naturellement. Donc parfois, je n'aimais pas leur performance. Quelque fois ils m'ont demandé "pourrais-tu nous montrer comment faire ça ?", comme s'ils étaient des mannequins. Mais je ne l'ai jamais fait. Les enfants apprennent si vite que si vous faites ça, ils voudront copier exactement ce que vous avez fait. Je ne suis pas si stupide ! (Rires). Mais nous avons eu beaucoup de plaisir durant le tournage. Au bout du compte, j'ai été très chanceux et nous avons fait du très bon travail sur Little Cheung. Voilà pourquoi je suis fier de ce film.

 
Parlons de Sam Lee, qui est à nouveau dans votre dernier film, Public Toilet
  Après Made in Hong-Kong, Sam Lee est devenu très actif professionnellement. Pour la fin de Little Cheung, je l'ai invité pour un plan. J'ai senti qu'il avait déjà grandi, il était devenu plus mature, un vrai acteur professionnel. Pour mon dernier film, Public Toilet, je l'ai invité à nouveau pour un petit rôle dans la partie à New-York. Mais vous savez, en fait, je n'aime pas son jeu, il est devenu trop professionnel. Il est très occupé maintenant. Ce n'est plus comme au début, quand nous travaillions ensemble comme une famille. Je pouvais l'appeler à n'importe quel moment, et discuter de films. Ce n'est plus possible. Cette fois, c'était différent.
 
Pourquoi avez-vous choisi un bande originale techno pour Made in Hong-Kong?
  La musique de Made in Hong-Kong est un cas à part. Je ne savais pas quel genre de musique utiliser. Mais mon directeur photo pouvait jouer ce genre de musique, sans être un professionnel. Il avait composé des morceaux sur son ordinateur, et il m'a donné une cassette. Quand je l'ai écouté, j'ai trouvé ça très excitant. J'ai donc utilisé cette musique pour deux scènes, lorsque Sam Lee tient le pistolet dans sa chambre, et lors de sa mission au pic comme tueur. Pour ces scènes, j'avais déjà la musique en tête. Cela m'influençait pour ma création visuelle. Mais à ce moment-là, je n'avais aucune idée du type de musique que je préfèrais. Mais j'étais sûr que cette musique irait parfaitement avec mes scènes de Made in Hong-Kong. Autrement, j'aime différents genres de musique, pas seulement un seul.
 
Parlons de la représentation des gangsters dans vos films.
  Dans mes films, en fait, j'ai toujours une partie relative aux gangsters. Mais mes gangsters sont généralement différents de la description moyenne qu'on en fait. Parce que je n'aime pas les gangsters! (Rires). Mais à Hong-Kong, on vit au milieu des gangsters. (Sourire). Parfois, ils ne sont pas si mauvais, ils peuvent être bons, plutôt humains, parfois bons, parfois moins bon. Dans mes films, j'essaye de retranscrire les styles de vie à Hong-Kong de manière réaliste, c'est pourquoi je veux les montrer comme des êtres humains. Donc dans mes films, même un gangster est un être humain. Je pense que c'est différent de la masse des films de ce genre.
 
Que pensez-vous de la production Hong-Kongaise entre 95 et 99, pendant la récession économique?
 

De 95 à 99, ce n'était définitivement pas la meilleure période pour l'industrie cinématographique Hong-Kongaise. Mais plusieurs réalisateurs sont devenus matures, et leurs productions ont été réussies, comme les productions UFO et même les films de Wong Kar-Wai ont connu du succès. A partir de 1997, la crise économique est arrivée, la production de gros films a baissé. Même les productions UFO ont baissé. Mais d'autres films comme Made in Hong-Kong sont apparus à cette époque et ont prouvé que de nouveaux films pouvaient naître à Hong-Kong. Donc j'ai eu beaucoup de chance avec un marché si morose. C'était mon heure de gloire! (Rires).

Globalement, les productions UFO ont décliné, Wong Kar-Wai s'en est beaucoup mieux sorti. De 95 à 97, tout semblait encore aller. Mais de 98 à 99, la situation a été la pire pour Hong-Kong. Ma situation personnelle était un peu différente, car je suis un indépendant. De 2000 jusqu'à aujourd'hui, l'industrie du cinéma s'est certainement améliorée, parce que l'industrie internet a pris une place plus importante financièrement. Ils ont rendu le marché plus énergique, beaucoup de nouvelles entreprises ont commencé à faire des films pour leurs portails internet. Je ne sais pas pourquoi en fait! (Rires). Mais plus tard, beaucoup de ces entreprises internet ont commencé à disparaître. Cependant, l'industrie du cinéma a continué à se porter mieux! (Rires) Dans les marchés des films, les valeurs des films Hong-Kongais ont déjà augmenté de 20%. C'est mieux qu'en 1995-97. C'est assez incroyable! (Sourires)

 
Est-ce que la génèse de Durian Durian provient de vos rencontres avec des prostituées lors du tournage de Little Cheung ?
 

Oui. Quand j'ai tourné Little Cheung à Kowloon, il y avait beaucoup de gangsters et de prostituées aux alentours. Des gens très communs aussi en fait (rires). Comme le lieu de tournage était prêt de mon bureau, je pouvais y aller tous les jours à pied. Et chaque fois, je pouvais voir beaucoup de filles qui faisaient le trottoir. Donc je me suis certainement intéressé à leur comportement, à ce qu'elles faisaient. J'en ai donc abordé quelques uns, et je les ai questionnées. Finalement, j'y ai trouvé le sujet de Durian Durian, les prostitués de Chine à Hong-Kong. Alors j'ai pensé, si je fais un film avec ce sujet, peut-être cela allait-il me donner une nouvelle vision, une nouvelle inspiration. Vous savez, Little Cheung était la dernière partie de ma trilogie sur 1997. Donc je n'avais aucune idée sur la suite de mon travail. Mais j'ai trouvé l'idée de faire des films sur la prostitution intéressante. Immédiatement après avoir fini Little Cheung, j'ai fait plus de recherches sur ce sujet. J'ai interviewé plus de 100 filles, visité leur logement, demandé d'où elles venaient, quel était leur destination finale. Et finalement, j'ai pris ma décision: ce sujet pouvait constituer ma seconde trilogie! (rires). Durian Durian en est la première partie, Hollywood Hong-Kong la seconde, mais je ne sais pas encore quand je ferai le troisième film.

Je trouve que le sujet de la prostitution a aussi à voir avec l'évolution rapide de la Chinese. Le système communiste est en train de changer, et la structure économique change aussi, forçant les filles à venir à Hong-Kong pour gagner de l'argent comme prostituées. Mais elles se retrouvent plutôt perdues, et ne savent pas troujours pourquoi elles font ce qu'elles font. Mais je pense que c'est aussi une question de changement de mentalité. De toute façon, gagner de l'argent fait partie de la vie, vous le savez bien! (rires).

 
Pour tourner certaines scènes de Durian Durian, vous avez utilisé des caméras cachées...
 

Oui, et c'était très difficile. Il y avait beaucoup de gangsters dans les rues, qui surveillaient, vous voyez? Ils surveillaient l'arrivée de policiers. Donc j'ai pensé, si j'ai besoin de filmer des filles sur le trottoir, comment vais-je faire ça? Nous avons pensé à beaucoup de solutions, comme de cacher notre caméra dans une voiture, sur un vélo. Parfois, nous avions besoin d'un plan très long, sans montage serré. C'était notre plus gros problème. Un jour, soudainement, il y a eu un important typhon. C'est comme un jour férié à Hong-Kong. Quand il y a un gros typhon, vous n'avez pas à aller travailler. Mais l'industrie de la prostitution ne s'arrête pas, non, non ,non! (rires). Alors immédiatement, j'ai appelé mes collègues pour filmer les prostituées. Je leur ai dit d'aller où bon leur semble, et je les ai suivies. mais finalement, nous avons regardé les prises, et pensé que c'était trop calme, comme un pays après une guerre, vide, comme si tout le monde était mort! (rires)

Donc je n'ai pas aimé ça. A Hong-Kong, il y a toujours beaucoup de personnes dans les rues. J'ai donc dit OK, on jette ça et on le filme à nouveau. Finalement, nous avons pensé à fabriquer une boîte en bois avec un petit trou pour l'objectif de la caméra. Le seul problème était que les filles devaient rester à une certaine distance pendant qu'elles marchaient afin que nous puissions garder le point. Au final, personne ne savait que nous filmions! (rires) Cette idée était très bonne. J'ai pu finalement terminé mon travail.

 
Ensuite vient Hollywood Hong-Kong, dans lequel vous employez une jeune actrice professionnelle Chinoise. C'est plutôt surprenant. L'environnement du film est également plutôt surprenant...
 

Tourner la deuxième partie de la trilogie de la prostitution a été encore plus difficile. Vous savez, dans l'industrie du cinéma, bien que je ne connaisse pas le système occidentale, à Hong-Kong du moins, tout le monde se fait du souci quand il faut utiliser des animaux et des enfants! (rires). Mais pour Hollywood Hong-Kong, j'ai dû choisir mon animal en premier (une grosse truie). Et le lieu de tournage est un village très pauvre à Hong-Kong, juste en face de grands buildings d'habitation. Le paysage était vraiment fantastique pour moi. Pour le rôle de la jeune prostituée du film, j'avais besoin d'une fille qui était vraiment de Chine. Donc pendant que je tournais Durian Durian, j'auditionnais déjà mes nouveaux acteurs pour le prochain film. Pour trouver la fille de Chine, j'y ai été, à Beijing, Shanghai, mais je n'ai pas trouvé la personne exacte, parce que beaucoup de Chinoises ne pouvaient pas parler cantonais. Je recherchais plutôt une fille qui n'était pas professionnelle, parce que d'habitude je n'aime pas le jeu des professionnelles. Mais juste avant que le film entre en production, j'ai changé d'avis et j'ai décidé de chercher une actrice professionnelle en Chine. Zhou Xun, qui tient le rôle dans le film, est une actrice assez connue en Chine.

Pour jouer dans le film, je lui ai dit qu'elle devrait être très patiente, parce que ses partenaires n'étaient pas professionnels. (rires). Je lui ai dit "ne te plains pas, je n'aurais pas le temps pour tes problèmes!" (rires). Mais elle s'est très bien comportée. Elle est passée outre les problèmes et les erreurs des acteurs non-professionnels. Mais nous avons du beaucoup filmer, refaire des prises de nombreuses fois. C'était très difficile! (rires). Autre chose, j'ai tourné le film en été, la période la plus chaude à Hong-Kong, Juillet et Août, dans des cabanes en bois et en tôle ondulée qui concentraient la chaleur. Tout le monde a commencé à retirer son tee-shirt! (rires). Cela leur donnait un look intéressant de toute façon. cela rendaient les choses plus drôles. Même si nous avons eu tous les types de problèmes pendant le tournage du film, quand vous le voyez, vous riez et vous ne pouvez pas deviner la difficulté du tournage. Au fait, le village a été rasé juste après le tournage. C'est dommage, j'aurais pu tourner Hollywood Hong-Kong 2 au même endroit! (rires).

 
Comment avez-vous eu l'idée du sujet assez étrange de Public Toilet?
  Quand je tournais Durian Durian en Chine, nous avons été dans beaucoup de toilettes publiques. C'était des endroits affreux, complètement différent des toilettes des autres pays. J'ai donc pensé, peut-être cela pourrait constituer un bon sujet pour un prochain film. Quand j'ai tourné Little Cheung, j'ai trouvé le sujet pour Durian Durian. C'est la même chose pour Public Toilet. Quand je fais un film, je trouve d'habitude le sujet pour le prochain projet.
 
Cette fois, vous avez tourné en numérique. Est-ce que cela vous a plu?
  Le producteur, Digital Nega, avait insisté pour que je fasse le film en numérique. Personnellement, je n'aime pas la vidéo numérique! (rires). Quand j'ai vu l'image pour la première fois en studio, je l'ai détestée. La texture n'est pas la même. J'aime la pellicule. Mais au fur et à mesure de l'utilisation du numérique, j'ai trouvé que c'était très pratique pour filmer dans des endroits peu pratiques. Par exemple, à New York, j'ai pu filmer partout et personne ne pouvait m'arrêter, c'était comme si je tournais une vidéo familiale! (rires). Personne ne savait ce que je faisais! (rires).
 
date
  • octobre 2002
crédits
Interviews