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La Cité des Douleurs

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les avis de Cinemasie

4 critiques: 4/5

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12 critiques: 4.17/5



Anel 4
Ghost Dog 3 Lent et hermétique. Vu sans doute trop jeune.
MLF 4
Ordell Robbie 5 Grâce
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Grâce

Hou Hsiao Hsien considère La Cité des douleurs comme faisant partie de ses ratages. Ce qui n'a pas empêché le film de devenir celui qui plaça définitivement Taiwan sur la mappemonde cinéphile mondiale grâce à son Lion d'or vénitien mérité. C'est qu'après la première tentative contemporaine du cinéaste La Fille du Nil ce dernier représente une forme d'aboutissement de la démarche entamée avec Un temps pour vivre, un temps pour mourir et Poussières dans le vent. Et bien avant de faire de même plus tard avec Kitano, Venise primait en 1989 un cinéaste au sommet de son art: Hou allait ensuite encore étonner mais n'égalera par la suite aucunement cette réussite-là. En deux heures quarante d'une fresque/saga familiale aussi ample qu'intimiste, Hou Hsiao Hsien solde magistralement les comptes d'une période-clé de l'histoire de Taiwan: celle de l'occupation chinoise comprise entre la capitulation du Japon en 1945 et l'arrivée des nationalistes au pouvoir en 1949.

La Cité des douleurs, c'est d'abord l'histoire des difficiles rapports des Chinois continentaux "exilés" et de Taiwan. C'est surtout un récit de la tragédie d'une famille et de celle d'une nation, des etres et d'un pays ayant connu le prix à payer pour le changement historique. Le film s'ouvre ainsi sur un membre de la famille des Lin priant tandis que sa maîtresse accouche et qu'un écriteau joue son rôle de marqueur historique de début de récit. Cette simultanéité d'une prière d'espoir, d'un accouchement et d'un évènement historique pose déjà magistralement ce qui sera le sel de La Cité des douleurs: un film où tragique, promesses de lendemains qui chantent et grande histoire interagissent. Dès le début du film, l'histoire a déjà commencé son processus de sape de la cellule familiale. Les Lin auront beau prier pour obtenir de la prospérité pour leur commerce, ils ne pourront éviter à leur progéniture un destin funeste. C'est ici que se proclament les origines du malheur d'une nation: une occupation japonaise encore fraîche, une Chine à laquelle est aussi bien reproché Shimonoseki qu'un présent fait de fonctionnaires corrompus, d'inégalités sociales, de magouilles pour garder pour soi la nourriture. Ce qui n'était qu'esquissé dans les précédents films du cinéaste prend forme ici et le dispositif fait de longs plans fixes distants porteurs d'un regard nostalgique se retrouve chargé d'un rapport de Hou à l'histoire de son pays désormais clarifié. Hou trouve ici également la bonne distance à son sujet: celle qui permet de saisir l'intime aussi bien que l'histoire d'une nation (avec notamment un usage remarquable de la profondeur de champ).

Se télescopent ici montée des idées marxistes, répression du gouvernement en place, restes des cultures chinoises (ces personnages au vrai sens commerçant) comme japonaises (le kimono comme don culturel symbolique d'une Japonaise à une Taiwanaise, la référence au récit sur une femme se suicidant pour ne pas voir sa jeunesse disparaître symbole d'une maîtrise des évènements aux antipodes de l'impuissance des Lin, le grand-père comme mémoire vivante des années d'occupation nipponne), vision très critique des deux occupations de Taiwan, répression violente, fetes en plein air, personnages se terrant en montagne, prisons et femmes mises à l'écart des discussions stratégiques. Les petits mots que s'écrivent les personnages scandent le temps du récit au même titre que la radio et la voix off. Et la violence de la répression est d'autant plus terrible que suggérée par la distance ou l'obscurité. Au milieu de cette tragédie d'une famille et d'une nation en action, on retrouve néanmoins la capacité du cinéma d'Hou Hsiao Hsien à produire des moments d'une grande densité humaine. Ceux-ci surviennent principalement au travers du personnage de Wen-ching offrant à Tony Leung Chiu Wai un de ses plus beaux rôles. En en faisant un sourd-muet, Hou Hsiao-hsien tire de lui une prestation à l'opposé de l'idée si académiquement hollywoodienne de "performance". Débarrassé de ses tics dus au métier d'acteur Tony Leung Chiu Wai n'est ni charismatique ni grandiose. Il est juste formidable de spontanéité, humain tout simplement. Les mots qu'il échange par écrit sont rendus encore plus touchants par l'idée d'en faire des intertitres, un peu comme si La Cité des douleurs se transformait le temps de ses séquences en beau film muet. Quand Wen-ching fait écouter à une jeune femme la Lorelei, ce n'est plus seulement un sourd faisant écouter à quelqu'un qui entend de la musique mais un moment où des rapports émotionnels, personnel à la musique s'échangent. Donc un peu d'humanité qui se crée au détour d'un plan. Humanité d'ailleurs présente dans son autre moyen d'expression: le regard du photographe. Ce qui rend encore plus terrible le fait qu'il devienne lui aussi victime du changement historique, un des personnages du film voyant en cela un reflet du degré de gravité de la répression. Les blocs narratifs dialoguent pour donner un tableau complet d'une histoire en action s'insérant dans le quotidien.

La Cité des douleurs alors? Suite de moments de grâce, film où une forme, un dispositif racontent l'histoire d'une nation. Un chef d'œuvre ni plus ni moins. Et Hou Hsiao Hsien aurait pu à l'instar de la jeune suicidée japonaise alors s'arrêter au sommet, s'étant déjà fait une place unique dans le cinéma contemporain. Ce qu'il ne fera évidemment pas, continuant à tenter de se renouveler au cours des années 90.



15 novembre 2005
par Ordell Robbie


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