Avant de traverser une période de dix ans où il ne pourra pas réaliser de films au Japon, Ishii Sogo avait connu son premier succès international (quoique la sortie en France n'aura bénéficié qu'à quelques 5000 spectateurs...) avec Crazy Family, sélectionné par exemple au festival du film de Berlin. Tourné grâce à l'appui de ses amis Hasegawa Kazuhiko et Kurosawa Kyoshi, Crazy Family est une fois de plus un film totalement atypique dans la filmographie d'Ishii Sogo. Comédie à le fois décapante et satirique vis à vis de la nouvelle cellule familiale japonaise, il se révèle hilarant de bout en bout et opère à un travail de sape étonnant sur le genre ô combien traditionnel du film de « famille japonaise moyenne ». Que ce soit dans la description de sa galerie de personnages (une famille a priori tout ce qu'il y a de plus banale au début des années 80) ou dans le développement de situations décalées, Ishii se révèle brillant. Et même quand le film donne des signes d'essoufflement au bout d'une heure lorsque l'on commence à se demander comment il va parvenir à soutenir ce rythme sur la durée sans épuiser l'énergie de son scénario et sa mise en scène, Ishii se révèle epoustouflant d'inventivité en relançant totalement le film avec le naufrage du chef de famille dans la déraison. Commence alors une course poursuite exaltante et une guerre absolument folle entre les habitants de la maison. Cela jusqu'au final ironique en diable qui vient clôturer en beauté la première partie de la carrière d'Ishii Sogo.
Bien avant d'offrir d'intéréssantes relectures du thriller (Angel Dust) et du chambara (Gojoe), Ishii Sogo avait déjà offert en pleines eighties de crise du cinéma nippon une réussite dans un genre où l'on attendait pas le réalisateur punk de Burst City: la comédie. On peut même dire que ce Crazy Family fait partie avec l'excellent western culinaire Tampopo des vraies réussites de la comédie japonaise eighties. Ishii reprend ici un sujet vieux comme Ozu -le quotidien de la famille japonaise typique- pour mieux lui appliquer son goût du coup d'éclat visuel, un vrai sens du gag et du vitriol. Sous ses apparences de délire faisant mouche avec une régularité que n'a jamais atteinte un Miike d'ailleurs fan du film, le film d'Ishii offre un portrait acerbe d'un Japon alors économiquement au sommet et à l'arrière-boutique bien moins resplendissante que sa façade. Vieillard de nouveau assailli par les fantômes du Japon des années de guerre, petite fille se rêvant star, gamin obsédé par les études, mari ne supportant pas l'exubérance de sa femme et cherchant à faire le ménage dans un chaos intime contrastant trop avec sa vie d'employé modèle.
Spoilers Où se révèle de façon attendue que le plus "malade" n'est pas celui que l'on croit dans cette cellule familiale nipponne type au bord de l'explosion. Pas étonnant d'ailleurs que le salut final vienne de la destruction d'un pavillon/symbole de l'idéal de vie du salaryman nippon eighties et de l'éclatement de la cellule familiale. Comme s'il fallait repartir à zéro pour oublier cet idéal factice... Fin Spoilers Pour mener à bien son entreprise jouissive de démolition de la famille japonaise type, Ishii déploie un arsenal fait de mouvements de caméra parfois aussi énergiques que le montage du film et n'hésite pas à parodier aussi bien le film d'horreur que le film de guerre et le film catastrophe. Il n'oublie pas non plus entre deux gags de rendre à ses personnages un minimum humainement attachants, évitant l'écueil de la caricature.
Du coup, on pardonnera au film de parfois faire dans une surstylisation années 80 dans la mise en scène et le montage. Et aussi certains procédés plus du tout efficaces au visionnage aujourd'hui à force d'avoir été déclinés à outrance par le cinéma asiatique (les cadrages de près sous influence manga pour produire un effet comique). Pour un Ishii n'ayant rien à envier à ses réussites des années 90.
Faire voler en éclat une famille modèle dans un Japon qui connaît l’une de ses ères les plus prospères est aussi jouissif que lourd de sens. Ici, Ishii Sogo se place en rejeton d’Ozu, sans être le plus respectable. Pire encore, il est bien le vilain petit canard de la famille que les plus punks d’entre nous/vous attendaient. En faisant le ménage dans ce train-train quotidien d’une famille qui a réussi (une réussite qui passe par l’acquisition d’une grande maison), vive le miracle économique, Ishii Sogo remet en question ce modèle et y expose le dérèglement psychologique de cette famille entourée de murs et de cloisons. C’est donc cela, le bonheur ? La venue d’un étranger (plus précisément l’un des grands-parents) y est perçue comme une attaque extérieure qui accélère alors le processus de dérèglement, aboutissant à une folie contagieuse. Le résultat n’en sera que plus explosif, à la manière du final incroyable deThe Family Game (Morita Yoshimitsu, 1984) où le cinéaste quadrille sa mise en scène comme l’aurait fait Ozu pour finalement transformer une scène de repas presque anecdotique en un véritable champ de bataille. Sauf que finalement son compère Ishii laisse planer un semblant d’espoir en se servant d’une morale qui viserait à dire « tout détruire pour mieux repartir ». Drôle, épineux, visuellement spectaculaire et habité par l’hystérie de ses interprètes, The Crazy Family envoie du lourd avec un réel panache.
Reconnu comme l'un des premiers réalisateurs se rattachant au mouvement « punk » japonais, Sogo Ishii nous livre ici une décapante satire sociale tour à tour drôle, amère, et résolument décalée. La première moitié, traitée sur un ton sobre et inquiétant, est de loin la meilleure: le gros délire cartoonesque dans lequel s'égare la seconde manque parfois de maîtrise puis s'étire en longueurs – dommage. Avec une bande-son génialissime, à base de beats industriels expérimentaux et en avance sur leur temps.
Ce film est au cinéma ce que le punk est à la musique. Non pas le punk au sens politique du terme (bien que la critique sociale soit essentielle dans ce film) mais au sens artistique du terme... le côté do-it-yourself sans retenue. Alors évidemment c'est bordélique et de qualité inégale mais c'est aussi franchement déjanté et extrèmement créatif. Un peu l'avant "Taste of tea" en plus trash et 20 ans plus tôt. A voir !