Japon: Les années 90 et 2000-2005, 1ère Partie

Une anecdote de Jean-Pierre DIONNET pourrait résumer la difficulté à écrire sur le cinéma japonais depuis 1990 quand on est ni nippophone ni sur place. En 1995, il découvre dans les sections parallèles cannoises Sonatine de KITANO Takeshi. Son seul désir est alors de distribuer le film en France. Il va alors voir les ayant droits japonais du film dont la réponse spontanée est un refus. Ces derniers se demandent en effet pourquoi s'intérésser à l'oeuvre cinématographique ayant alors peu d'écho et de succès au Japon d'un cinéaste surtout célèbre pour son travail de comique. DIONNET devra revenir à la charge afin de leur prouver qu'il pouvait imposer KITANO en France. On pourrait rapprocher cela du fait que les producteurs japonais aient préféré en d'autres temps proposer à l'Occident des jidaigekis de KUROSAWA ou MIZOGUCHI plutôt que des cinéastes évoquant surtout le Japon de leur temps (OZU, NARUSE). Cinéastes dont ils pensaient en outre que la lenteur pouvait laisser un spectateur occidental sur le carreau. A leur décharge, les quelques KUROSAWA et MIZOGUCHI contemporains proposés en leur temps n'ont jamais eu en Occident le même retentissement que leurs jidaigekis. Et s'il a eu une reconnaissance critique rapide dès que ses films furent visibles en Occident, OZU a longtemps traîné derrière lui une réputation de somnifère fait celluloid, de cinéaste difficle d'accès à cause de sa lenteur.

Au vu de ce type de situation, un constat sur le cinéma japonais des années 90 au travers de ce qui a pu être vu en salles, en festival, en import est-il pertinent? On se souvient d'ailleurs avoir lu des critiques s'extasier à la fin des années 90 sur la créativité du cinéma japonais contemporain sur la base de cinéastes pas représentatifs de la production locale et que presque personne n'allait voir à domicile. Aussi cet article sera-t-il forcément biaisé, partiel, cherchant juste à faire un bilan (si tenté que le mot ait un sens ici) de ce qui est "connu", visible ou qu'on a pu voir. Il faudra donc par avance excuser les inévitables lacunes concernant la production commerciale du cinéma japonais, le peu de films disponibles en import US, HK ou coréen et les DVD japonais onéreux quand ils ont des sous-titres anglais (pas toujours le cas, loin de là) ne facilitant pas les choses.

I: Situation du cinéma japonais dans les années 90

Quelques chiffres

En moyenne, les Japonais vont au cinéma une fois par an. En 1960, l'industrie cinématographique japonaise produisait 547 films. En 1998, sa production n'était plus que de 249 films dont 65 produits par les trois grandes compagnies Toho, Shochiku, TOEI. Durant les années 90, les films japonais représentaient à peu près un tiers des revenus totaux de disitrbution, atteignant un pic de 41,5% en 1997. Si cela représente un déclin comparativement aux 50% du milieu des années 80, ce tiers de moyenne n'a rien à envier aux parts de marché du cinéma national de nombreux pays occidentaux, les Etats-Unis exceptés. En 1993, alors que la part mentionnée était de 36% au Japon (alors un plus bas historique), elle était de 33% dans une France au cinéma national subventionné, de 8% en Allemagne et de 7% au Royaume Uni. Sur les 10 films en tête du Box Office, la moitié étaient japonais.

Des genres phares sur le déclin

47rDurant les grandes années du système de studios, deux genres cinématographiques étaient très porteurs en terme de Box Office au Japon: le jidaigeki et le yakuza eiga. Mais le public du premier migra vers la télévision durant les années 60 tandis que celui du second fut capté par le marché vidéo dans les années 80. Se reporter à cet article d'histoire du yakuza eiga pour plus de détails là dessus comme sur le devenir du genre dans les années 90 et les ultimes tentatives des studios. Bien sûr, le direct to video put devenir dans les années 90 un terrain d'expérimentation pour un certain nombre de cinéastes bénéficiant désormais d'une reconnaissance cinéphile en Occident tandis que KITANO se fit un nom à l'étranger grâce au genre. Mais si toutes ces tentatives de renouveler le genre purent parfois se révéler porteuses artistiquement, le yakuza eiga ne redevint jamais un genre porteur au Box Office dans les années 90. Si son déclin fut moins brutal que celui du yakuza eiga, le jidaigeki ne s'est pas révélé capable de capter le jeune public dans les années 90. Du coup, les studios mirent de côté bien des projets dans le genre. La seule exception des années 90, Heaven and Earth, est à elle seule un beau paradoxe. En 1990, le film finit second au Box Office japonais juste derrière Retour vers le futur 2. Mais il le doit à la stratégie de son réalisateur KADOKAWA Haruki : 5 millions de billets (un record) furent mis en prévente. Mais sur les nombreux acheteurs de billets bien peu allèrent voir le film en salles. D'autres tentatives des studios furent moins heureuses. En 1994, la TOHO avec les 47 Ronins d'ICHIKAWA Kon et la Shochiku avec Crest of Betrayal de FUKASAKU Kinji essuyèrent toutes les deux des échecs commerciaux cuisants. Suite à ces deux échecs, les jidaigekis à gros budgets furent abandonnés par les studios sans totalement disparaître. En 1997, la TOEI s'associa avec 5 compagnies productrices de jidaigeki pour la télévision pour créer un Comité pour la Promotion des Drames en Costumes mais leur production trouva d'abord asile sur une chaine satellitaire spécialisée dans le genre.

Les limites du système des préventes

Le système de préventes de billets avant la sortie d'un film est loin d'être neuf au Japon ni dans le reste du monde. Mais à partir des années 80 il devint un élément clé de la stratégie des studios afin de pouvoir éviter les risques financiers dans un business de plus en plus risqué. Cette stratégie avait en effet pour but d'amortir les coûts de production avant la sortie du film. Du coup, la stratégie marketing se mit moins à concerner la promotion du film et de ses qualités que celle des préventes. La prudence se mit à prévaloir aussi bien dans le choix des sujets de films (des biopics) que dans celle des réalisateurs (de vétérans de studios) y compris au mépris de la viabilité commerciale. Mais la récession révéla les limites du système. Avec l'explosion des vendeurs de billets à prix cassé, il n'était plus nécessaire pour un spectateur d'acheter un billet en prévente à plein tarif. Mais les compagnies conservèrent le système malgré ses limites, arguant que sans lui les exploitants seraient moins disposés à diffuser leurs productions en salles.

Des Majors entre prudence et prises de risques ratées

bsDurant les années 90, la TOHO fut le studio qui tira le mieux son épingle du jeu. Possédant la plus grande chaine de cinémas, elle excéda souvent ses prévisions financières annuelles et s'est révélée moins dépendante du système de préventes que ses concurrentes. Après deux tentatives financièrement réussies de faire revenir Godzilla sur grand écran en 1984 et 1989, la TOHO sortit entre 1991 et 1995 un Godzilla par an au moment des vacances du Nouvel an. Très coûteux à une échelle japonaise, ces volets plurent aussi bien aux adultes qu'à un jeune public mordu de dessins animés spectaculaires. En 1995, la TOHO met un arrêt provisoire à la saga. Officieusement pour éviter de prendre des parts de marché à la version d'EMMERICH, version dont la compagnie avait acheté les droits pour le Japon après avoir vendu ceux de sa créature à Tristar. Mais les protestations de fans au visionnage de cette version, ses résultats locaux décevants et l'assurance que la version d'EMMERICH n'aurait pas de suite avant 2000 poussèrent la TOHO à sortir son dinosaure culte d'hibernation en 1999. En dehors de cette série à succès, la TOHO tourna peu de films dans les années 90, préférant distribuer des films faits hors de ses studios. Parmi eux, on compte les comédies satiriques d'ITAMI Juzo ainsi que les films du Studio Ghibli ayant eu le succès que l'on sait. Une des autres sources de succès du studio durant la période fut l'adaptation de séries télévisées à succès (Night Head, Bayside Shakedown par exemple) malgré quelques échecs commerciaux dans ce domaine.

Les années 90 furent par contre une période moins heureuse pour la Shochiku. Depuis 1969, la série des Tora SanATSUMI Kiyoshi jouait un homme tombant amoureux sans jamais arriver à ses fins s'était révélée une affaire très rentable pour la compagnie. La répétition d'une formule immuable associée à de subtiles variations d'un volet à l'autre en firent un succès ininterrompu. En 1996, YAMADA Yoji préparait un 49ème volet lorsqu'ATSUMI Kiyoshi décède. A la place, il réalise The Man who caught the rainbow, croisement entre Tora San et Cinéma Paradiso. Mais ni le film ni sa suite n'eurent de succès au Box Office. Mais en 1989 la Shochiku avait déjà préparé l'après-Tora San en lançant les Tsuri Baka Nishi, série sur un salaryman préférant la pêche au travail, qui égalèrent vite en terme de popularité les Tora San. Du coup, la série fut vite produite à une rythme régulier par le studio. En 1993, YAMADA avait aussi lancé pour le studio la série des A Class to remember sur le monde étudiant, série au succès d'estime supérieur à son succès public. Mais le studio tenta durant la décennie de ne pas se contenter de films à formule à la Tora San et voulut se renouveler en vain.

Un des artisans de cette tentative fut OKUYAMA Kazuyoshi, fils du président du studio à l'époque et producteur depuis l'âge de 20 ans. En 1992, OKUYAMA visionne Rampo, film de MAYUZUMI Rintaro sur RAMPO Edogawa. Il le déteste et accuse le cinéaste de saboter un film célébrant le centenaire du cinéma et du studio. Le cinéaste accepte qu'OKUYAMA retourne lui-même les passages incriminés à condition que les deux versions soient distribuées, le spectateur tranchant in fine. 70% du film est retourné. La présence de nombreuses guest stars dans un des passages retournés fait de la publicité au film et fait de lui un gros succès au Japon. Aux Etats-Unis, le film est un gros succès d'estime. Et OKUYAMA gagne son pari. Il va alors essayer de faire des films ciblant le marché mondial ou de mettre en place des projets en collaboration avec des compagnies US. Tous ceci ne fut qu'échec: les films furent un flop à domicile et passèrent inaperçus hors Japon, le projet de remake US de The Yellow Handkerchief  ne vit jamais le jour de même qu'un remake de Moby Dick avec DE NIRO coproduit avec Tribeca.

sonatineOKUYAMA produisit aussi KITANO Takeshi mais les deux se brouillèrent lorsque Sonatine dépassa son budget et fut un échec public. OKUYAMA accusa KITANO, dont le travail d'improvisation sur la tournage rallongea ce dernier, d'égocentrisme auteurisant. OKUYAMA créa ensuite en 1997 Cinema Japanesque, compagnie voulant distribuer des films indépendants via le réseau Shochiku. Parmi les 11 films du line up de l'année, on comptera la Palme d'or l'Anguille. En 1998, OKUYAMA voudra faire passer le line up à 30 films. L'échec cuisant des films au Box Office associé à celui d'un parc consacré au cinéma mis en place par OKUYAMA père et fils précipita la mise à la porte de ces derniers par une fronde dans la compagnie. L'héritage des années OKUYAMA (parc, Cinema Japanesque) fut démantelé très vite. En déficit pour cause d'absence de gros succès public, la compagnie déplace son siège dans le quartier Ginza de Tokyo. Elle annonce en 1999 une réduction de la production de films compensée par la distribution de films étrangers. Mais la même année le département de distribution de films étrangers de la Shochiku est fermé et le système de prévente des billets supprimé. La compagnie est toujours en mauvaise santé financière.

La TOEI avait elle été pendant longtemps sans l'équivalent d'un Godzilla ou d'un Tora San. Les yakuza eigas remplissaient ce rôle mais leur public avait migré vers la vidéo dans les années. Plus que les autres, la TOEI tenta de boucher les trous avec des drames en costumes aux billets mis en prévente. Très conservateur, le management préférait ce choix-là à un cinéma potentiellement plus lucratif visant le jeune public. Le cas Heaven and Earth (cf plus haut) est à ce titre emblématique. Mais tous ces films en costumes ne furent pas des succès, ils firent parfois partie des plus gros bides de la décennie. Politiquement, la TOEI était aussi conservatrice. En 1995, le film Last Friends réalisé pour commémorer la fin de la Seconde Guerre Mondiale exaltait l'héroïsme des soldats japonais tout en mettant les erreurs de l'armée sur le compte d'une minorité. En 1998, Pride d'ITO Shunya, film sur le proçès de TOJO Hideki pour crimes de guerre, défendait l'expansionnisme du Japon en Asie. Boosté par la controverse, le film fut un succès. Un autre élément phare des productions de la compagnie fut le dessin animé. La division animation de la TOEI avait depuis longtemps produit à la chaine des séries télévisées animées et été le studio d'animation leader en Asie.

A partir de 1991 la TOEI s'est mise à distribuer des versions longues de séries animées à succès. Et un public très jeune fut toujours au rendez-vous. La compagnie fut aussi pionnière du direct to video avec la collection V Cinema (cf article yakuza eiga) à partir de 1989. Ce fut un autre succès et en 1992 la TOEI ajouta une collection V America et une collection V World, les premiers tournés aux Etats-Unis avec des acteurs locaux, les seconds en Australie. Le statut de straight to video n'empêchait pas des budgets corrects et la présence de stars telles que SUGAWARA Bunta ou YAKUSHO Koji. En 1997, la TOEI obtint un très gros succès avec le drame Paradise Lost. Cette année-là, elle profita aussi du succès des séries télévisées Neon Genesis Evangelion. ANNO Hideaki produisit en effet deux longs métrages basés sur la série qui furent des succès. L'année 1998 fut moins heureuse: les revenus de la compagnie provenant de la vidéo, l'immobilier et la télévision décrurent et elle connut un déficit au milieu de l'année. Début 1999, le studio espérait beaucoup du mélodrame Poppoya pour se sauver. Ce fut le cas.

Des tentatives hors Majors de réponse à la crise plus ou moins fructueuses

swdAu final, les choix des trois Majors pour faire face à Hollywood faisaient dans la prudence. Plutôt que d'essayer de proposer du renouveau, elles préférèrent les formules usées susceptible de plaire à un public petit mais captif. En conséquence, les rentrées financières étaient regulières mais jamais élevées. Ce faisant, ils perdaient le jeune public qui préférait Hollywood. Toujours dans cette politique de prudence, les films se retrouvaient produits par des réseaux de chaines télévisées, des distributeurs vidéo, des compagnies ne travaillant pas dans le domaine des médias. Mais en 1997 le succès de Princesse Mononoké, devenu alors record historique de recettes au Japon, fut un défi lancé à cette politique. Au lieu de répéter des formules, Ghibli faisait de chaque film une oeuvre unique et usait de budgets plus élevés qu'un film live pour atteindre un haut niveau technique et artstique. La popularité du studio dépassa le public de l'animation et atteint même l'Occident. De jeunes cinéastes mirent en cause le fonctionnement des Majors par leur succès surprise. Ce fut le cas de SUO Masayuki dont la comédie romantique Shall we dance? (1996) fut un succès au Japon avant de devenir ensuite le plus gros succès aux Etats Unis d'un film japonais.

love letterAncien réalisateur de vidéoclips et de TV Dramas, IWAI Shuji sut quant à lui capter avec Love Letter (1995) un public -féminin, hype, jeune- fréquentant peu les salles de cinéma. Face à cela, les studios tentèrent d'offrir des opportunités à de jeunes cinéastes plus en phase avec le jeune public. Un des exemples est (cf paragraphe Majors) le Cinema Japanesque de la Shochiku même s'il ne visait pas que les jeunes cinéastes. En 1996, la Toho lança un projet nommé YES pour produire des films petits budgets réalisés par de jeunes cinéastes. Mais Cinema Japanesque disparut avec le départ des OKUYAMA et YES ne finança que deux films (Grains de sable d'HASHIGUCHI Ryosuke et Secret Garden de YAGUCHI Shinobu) avant que la TOHO ne la dissolve en 1998. Tout ceci n'empêcha pas une production hors studios d'exister (cf chapitre Cinéma d'auteur 2ème partie de l'article). A partir de la seconde motié des années 90, deux évènements offraient de nouveaux débouchés au cinéma japonais. Depuis 1960, le nombre de salles de cinéma baissait constamment passant de 7457 (1960) à 1758 (1994). Souvent avec l'aide d'investisseurs étrangers, le développement des multiplexes enraya cette tendance. Le développement du cable offrit un autre terrain potentiel pour les cinéastes japonais. Qui plus est, la fin des années 90 s'est caractérisée par un mini-boom des productions panasiatiques, souvent pour exploiter la popularité d'acteurs stars dans toute l'Asie.

II: Tentative de bilan de l'après-1990

Remarque préliminaire

Les calculs à risques limités des Majors n'ont pas empêché l'émergence à partir des années 90 de cinéastes aux préoccupations thématiques et esthétiques extrêmement variées. Du coup, il est difficile de dégager de véritables tendances. Nous nous sommes donc contentés de regroupements hautement arbitraires et subjectifs. La liste de cinéastes qui suivent associée au constat précédemment mentionné achèvent de faire de l'après-1990 une terre de paradoxes pour le cinéma japonais. A nos yeux ont émergé au Japon dans les années 90 un certain nombre d'oeuvres et de cinéastes dignes d'intérêt, les premières ayant souvent été produites en faisant des paris très risqués. Nous essaierons de réduire au minimum les jugements de valeur personnels sur l'importance des cinéastes mentionnés dans la suite de ce qui est écrit.

Le cas Kitano

vcAutrefois ignoré à domcile comme cinéaste, KITANO Takeshi a désormais une situation de cinéaste que bien des auteurs japonais contemporains peuvent envier. Il est avec MIYAZAKI un des seuls cinéastes japonais contemporains véritablement connus en Occident. Le Lion d'or de Hana Bi a changé son image de cinéaste au Japon et il a à son actif désormais un vrai succès à domicile: Zatoichi (2003). Tout commença sur le tournage de Violent Cop (1989), film à l'origine réalisé par FUKASAKU qui devait être une parodie de l'Inspecteur Harry. Alors que le tournage est supposé durer un mois, KITANO annonce au producteur qu'il ne sera là que tous les dix jours à cause des ses contraintes télévisuelles. Il souhaitait de plus que tout soit tourné en une prise. FUKASAKU refusa disant que soit lui soit KITANO devaient quitter le navire. Lors d'une réunion, le producteur exécutif OKUYAMA Kazuyoshi propose sur le ton de la blague que KITANO dirige le film. KITANO le prend au mot à la surprise générale et réécrit en plus le script en en enlevant les éléments comiques. Il doit imposer à l'équipe le fait de ne tourner qu'en caméra immobile pour ne pas que des choses imprévues soient présentes dans le cadre, risque selon lui lorsqu'elle est mobile, et aussi des prises longues. Pendant la post-production naît le projet Jugatsu (1990). Il choisit de le tourner très vite afin de passer du temps à peaufiner le montage. C'est d'ailleurs ici que se développe pour la première fois son fameux style elliptique qui renouvellera le yakuza eiga. Suite au flop du film, KITANO quitta la Shochiku. Premier film sous la bannière Office Kitano, A Scene at the sea (1991) fut réalisé sans KITANO acteur et avec un budget réduit au minimum vital. Producteur du film, son manager MORI Masayuki (rien à voir avec l'acteur) joua aussi le rôle de conseiller sur le tournage.

OKUYAMA Kazuyoshi avait un jour dit à KITANO suite au flop Jugatsu que s'ils refaisaient un film ce serait un Die Hard japonais. KITANO lui dit qu'il a un script correspondant -Sonatine (1993)- et sur la foi du pitch et d'un casting de stars le film est financé. La brouille commence lorsque KITANO annonce qu'il veut tourner en fait sur une île déserte un remake de Pierrot le fou sans aucune des stars prévues. Alors que la Shochiku est en difficulté financière, OKUYAMA se met à sentir le second flop et la rupture (cf paragraphe sur les Majors) sera consommée. Echec commercial, le film sera néanmoins remarqué à Cannes et à Cognac et vaudra à KITANO un début de notoriété hors du Japon. Le film est selon son auteur le premier vraiment maîtrisé. KITANO se met ensuite à sombrer dans la dépression et tourne Getting Any? (1994), comédie plus proche de son travail télévisuel qu'il qualifiera de suicide artistique. Saoul le 2 août 1994, il a alors un accident de moto dont il se sortira avec la partie droite du visage paralysée.

krAlors qu'on parle de sa retraite d'acteur, KITANO joue en 1995 dans le polar Gonin. Il réalise ensuite Kids Return (1996) basé sur son roman du même nom. Très autobiographique, le film est sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes en 1996. Il entame aussi la radiographie d'un Japon en récession poursuivie avec son film suivant. En 1997, la réception vénitienne d'un Hana Bi souvent considéré comme son chef d'oeuvre est très enthousiaste et comme prévu le film décroche le Lion d'or. Lassé des questions journalistiques sur la violence dans son cinéma, KITANO réalise ensuite le road movie naïf l'Eté de Kikujiro (1999). Sélectionné à Cannes en compétition, le film fait parti des favoris pour la Palme. Alors stressé, il annule des conférences de presse et sera très déçu du choix du jury de CRONENBERG se portant sur les DARDENNE pour la Palme. En 1996, KITANO avait rencontré à Cannes le producteur Jeremy THOMAS et évoqué avec lui le projet d'un film américain. Le revoyant à Londres lors d'un festival montrant Hana Bi, THOMAS donne son feu vert pour le projet Aniki mon frère (2000). Thomas souhaite absolument que KITANO puisse travailler dans les mêmes conditions qu'au Japon. KITANO doit lui jongler entre Los Angeles et ses contraintes télévisuelles. KITANO a depuis tenté de se renouveler avec un Dolls (2002) inspiré par Chikamatsu, sélectionné à Venise et mal aimé et une relecture à succès de Zatoichi (2003) lui faisant décrocher le Prix de la Mise en Scène à Venise.  En 2005, Takeshis' est en sélection surprise à Venise: ce "journal intime" désordonné y suscite l'indifférence générale.

Si certains pensent que son zénith artistique est derrière lui, KITANO demeure néanmoins le seul cinéaste japonais hors animation actuel à avoir un statut de quasi-fédérateur de la planète cinéphile.

Nakata et l'essoufflement de la vague Ring

A la fin des années 90, le cinéma d'horreur a sombré en Occident dans une impasse parodique suite à la vague des résucées de Scream. Mais à cette même époque le phénomène Ring (1998) va déplacer le centre de gravité du cinéma d'horreur vers l'Asie. Se faisant remarquer (cf paragraphe cinéma d'auteur 2ème partie de l'article) grâce à la série J Movie Wars, NAKATA Hideo va adapter le Best Seller de SUZUKI Koji et donner le la du cinéma d'horreur asiatique des années suivantes. Avec ce kaidan eiga (film de fantômes), il revient à un des moyens classiques de susciter la peur: la suggestion. Succès immédiat en Asie, le film donnera lieu à une déclinaison en série, un remake coréen ainsi qu'à de (trop) nombreuses résucées en Asie dépourvues de la moindre originalité. On se demande d'ailleurs ce qui a pu faire le succès récent d'un Ju-on: The Grudge (2002) en Asie. Kaïro (2001) semble être le seul film non signé NAKATA un tant soit peu digné d'intérêt engendré par cette vague. Nakata est-il un grand cinéaste à l'ancienne ou simple bon faiseur? S'ils ne renouvelaient en rien son approche stylistique, Chaos (1999) et Dark Water (2001) auront au moins le mérite de ne pas se reposer sur les ficelles scénaristiques de la série. Sa route va désormais passer par Hollywood via sa récente "suite" du remake US de Ring et son futur remake de The Eye.

Sources: Contemporary Japanese Film par Mark Schilling, kitanotakeshi.com

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  • October 2006
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