Entretien avec Partho SEN-GUPTA

A l'occasion de la sortie du film Sunrise sur les écrans français, voici une retranscription de l'entretien qu'il nous avait aimablement accordé l'an dernier. A ne pas lire avant d'avoir découvert le film, on y trouve quelques spoilers.

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À Bombay, l’inspecteur de police Joshi ne parvient pas à se remettre de la disparition de sa fille Aruna, kidnappée 10 ans plus tôt. Dans un cauchemar récurrent, une ombre noire le conduit au Paradise, un bar nocturne dans lequel des gamines dansent pour le plaisir des adultes. En y enquêtant sur la disparition d’autres enfants, Joshi espère bien retrouver sa fille...


— Le film dure à peine une heure et demie, ce qui, pour un film indien, n'est pas des plus communs.

 — Pour un film bollywoodien, oui, là-bas ça dure 2-3h, il y a des chansons, c'est un format complètement différent... Par contre, le cinéma d'Art et Essai est un peu différent. Aujourd'hui, je ne pense pas que ce format dépasse les 90min ou 100min maximum. C'est aussi lié à la vente du film. En sortie cinéma, ils préfèrent les petits films parce qu'ils peuvent passer plusieurs séances. Et nous sommes intéressés par une vente à l'étranger. Il a été vendu en Allemagne, ça sortira au cinéma là-bas, déjà. Si ça reste dans les 90mn, c'est mieux. Les distributeurs préfèrent ce format. Mais c'est aussi une question de rythme. Pendant le montage, j'avais une version qui faisait autour de deux heures. J'ai resserré ça et on est arrivés à 85mn.

 

— Cette durée correspond bien à l'histoire qui nous est racontée. Il n'y a pas de gras, il se suffit.

— Quand j'avais fait le timing du scénario, j'avais estimé ça entre 90 et 95 minutes ; 85 à l'arrivée sur un montage final.

 

— On peut voir aussi voir votre film comme comme un pied de nez à ces longs formats chantant. Chez vous, avec ces femmes qui déambulent dans ce cloaque comme des zombies sur une musique moderne, on obtient un effet qui contraste avec les habituelles femmes souriantes des pellicules chatoyantes de partout.

 — Oui, tout à fait. Elles sont forcées à danser. Moi j'ai vu des bars de ce type [le Paradise] où les filles avaient à peine 14-15 ans. On les habille comme ça et on les met devant des hommes qui regardent. Elles n'ont pas vraiment envie de danser, c'est clair. J'ai voulu un peu donner cette vision de ces filles qui sont obligées de faire ça.

 

— Est-ce qu'en ciblant ce sujet-là, assez grave, ces scènes éparses, on ne peut pas parler d'une perversion de la culture, justement ? Moi, étranger, j'ai une vision folklorique de cet univers-là. Et là je vois danser une Indienne charmante, mais différente des stars habituelles. Elle ne bouge pas vraiment en rythme, elle est un peu maladroite. On a un peu l'impression finalement d'assister à la perversion d'un monde. Sali, noyé sous la pluie, les déchets, la corruption...

 — La ville de Bombay n'est pas une ville historique, elle a été construite pendant la colonisation anglaise. C'était plus une espèce de port dédié aux exportations. On pillait les richesses du pays et on partait par le port de Bombay qui était parfait parce qu'il était sur la côte ouest. De là, ça allait en Angleterre. La ville est construite comme ça, c'est un peu une espèce de gros hangar. Les habitants viennent de Calcutta, de villages ; on dit qu'il y a 15000 personnes qui rentrent dans Bombay tous les jours ! La population officielle est de 16 millions d'habitants, mais nous on pense qu'il y a plus de 22 millions d'habitants, ce qui correspond à un petit pays européen. On a une grande population dans une petite ville où tout est écrasé. Il n'y a pas d'histoire, c'est une ville sans histoire où tout y est possible : musique moderne, musique ancienne, et on trouve une espèce de mélange qui peut être positif ou négatif.

 

— En avez-vous une vision indienne ou étrangère ? Vous avez beaucoup voyagé, vécu à l'étranger...

— Les deux, en fait. Je suis né à Bombay, j'ai grandi à Bombay, je suis parti en France pour faire des études de cinéma à l'âge de 25 ans, donc j'avais déjà vécu une grande partie de ma vie là-bas. Ensuite, j'y suis retourné parce que j'ai de la famille là-bas, des amis. J'y retourne chaque année, mais c'est vrai que ça me donne quand même une vision extérieure parce que j'ai vécu autre chose. Là-bas, je regarde cet endroit avec beaucoup plus de distance désormais, ce qui fait que je vois des choses que les autres ne voient pas ; que je ne voyais pas moi-même quand j'y habitais ! C'est vrai que j'ai un regard doux, mais aussi très dur. Pendant le tournage de ce film, j'ai eu beaucoup de discussions avec beaucoup de gens qui m'ont dit qu'ils ne voyaient pas le problème, que ces filles dansent pour gagner leur vie. C'est faux, elles ne gagnent pas leur vie ! Elles sont esclaves. Dans le film, la mère maquerelle - la vieille dame - c'est elle qui gagne de l'argent ! Là, on parle de prostitution. Ces filles n'ont pas envie d'être là, elles ont été kidnappées, elles ne connaissent pas leurs parents, elles ont été prises lorsqu'elles étaient petites. Moi je n'ai pas d'amour pour ça, je n'ai qu'un dégoût, un regard assez critique.

 

— Parce que vous en êtes partis ? Si vous étiez restés, vous auriez peut-être eu – je ne porte pas de jugement en disant ça - une vision plus culturelle de ce mode de vie, qui reste critiquable pour un Occidental, mais qui ne semble pas l'être sur place. Et même si vous n'en parlez pas dans le film, on a ce sentiment de corruption planante, non montrée, mais perçue. Par le silence, des non dits...

 — Il y a de la corruption, évidemment. Dans presque tous les pays du monde, on trouve différents types de corruption. En occident, en Afrique, en Inde, la corruption existe. Et nous on vit avec cette corruption, c'est normal, on s'habitue. Un flic arrête une bagnole, on lui file des roupies et voilà. C'est vrai que depuis l'extérieur, on a un regard plus critique. J'ai peut-être un regard plus critique que mes amis qui vivent là-bas et qui ont tellement l'habitude de voir ça qu'au bout d'un moment ils ne le voient plus. Ça devient un décor naturel pour eux.

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— Ce qui surprend, c'est que lui, le protagoniste, il est policier et se fait malgré tout enlever sa propre fille. Ça lui arrive à lui parce qu'il est honnête, mais ses collègues qu'on suppose malhonnêtes, eux, ça n'aurait pas pu arriver à leur famille parce qu'il font partie de la bande, d'une certaine façon, non ?

— Je ne pense pas, non. Il est policier, en effet. Cela montre que ça ne change rien au fait qu'il fasse partie d'un système judiciaire ou pas. La corruption et l'esclavage sont tellement puissants, installés, que ces types peuvent enlever la fille d'un inspecteur de police comme ça leur chante ! Et il travaille dans un bureau où l'on recherche les enfants perdus ! Ça ne change rien. Personne ne voit ça comme quelque chose de choquant, c'est comme ça. C'est aussi ce que je critique, ce côté fataliste ; je parle aussi de cela dans mon premier film, Let The Wind Blow. On accepte ça, on n'a pas envie de changer les choses.

 

— Est-ce là une sorte de lâcheté générale ?

— Ça n'est pas de la lâcheté, c'est juste un mauvais côté de l'hindouisme. C'est comme ça et on doit vivre ça comme ça...

 

— Est-ce qu'à travers les nombreuses ombres qui hantent le film il n'y a pas une sorte de prise de conscience ? Le mal n'est pas incarné par telle, tel ou tel personne, c'est un ensemble d'ombres qu'on suit pendant tout le film. Qui pourraient même être celle du policier lui-même !

 — Peut-être... Pour moi, c'était la représentation de notre société. C'est très facile au cinéma de montrer toujours un bouc émissaire. Pour chaque crime, on trouve toujours un auteur, un coupable. C'est lui a fait tout ça, il a massacré telle ou telle personne. On montre un visage et après tout le monde est content. C'est facile, mais la société est responsable de ça. Un homme ou une femme seule ne peut pas faire ça. Si 100000 enfants disparaissent chaque année, ça n'est pas juste le méchant vendeur de filles qui est responsable, nous le sommes tous. L'ombre était pour moi l'image, dans la tête du héros, de notre société à l'origine de tout ce mal.

 

— Vous ne jouez pas la carte rassurante du polar classique. Tout le monde aime les polars parce qu'ils rassurent ; c'est ce que vous venez plus ou moins de dire. Là, on a un faux happy end. J'ai vu la bande-annonce, et on s'attend à un film d’exploitation avec un héros qui s'en irait venger sa fille. Ça n'est pas le cas, vous biaisez et basculez dans le polar social. Était-ce conscient de votre part ?

 — J'ai beaucoup travaillé sur le scénario, j'ai essayé d'éviter la narration classique. Mes producteurs m'avaient dit que ce serait bien qu'à la fin on trouve l'ombre et qu'on découvre un type que le héros tue. C'est classique, on tue le mal et voilà. Je ne voulais pas de ça. Tout se passe dans la tête de Joshi, le protagoniste. Et moi donc je suis parti du principe que l'être humain a un désir de justice. On a tous un désir de justice, de vengeance parce que la justice est née de ça, la vengeance. Œil pour œil ! C'est la base de notre justice moderne, qui dit qu'on ne peut pas crever l’œil de celui qui nous l'a fait, mais que, par contre, on va le mettre en prison, on va lui enlever sa liberté. Mais on a tous quand même ce désir, quelque part, de se venger. Si on marche dans la rue, qu'une voiture passe et envoie gicler une flaque d'eau sur notre pantalon...

 

— On veut lui crever les pneus !

 — Voilà ! Même si on ne le fait pas, on veut juste clôturer cette injustice. Et donc qu'est-ce qui se passe dans une situation comme dans le film ? Le protagoniste a perdu sa fille. Il sait. Il est inspecteur de police, il travaille dans le service social qui enquête sur la disparition d'enfants, il sait qu'il ne va jamais la retrouver. Est-ce que l'être humain est capable d'inventer dans sa tête une espèce de réalité imaginaire dans laquelle il bascule ? Il y devint le héros, parce que c'est important. On a tous envie de devenir un héros. C’est un devoir d'homme. Protéger, sauver... et donc il va devenir ce héros dans un monde imaginaire. Il va construire le méchant, celui qui l’emmène à l'endroit où il va trouver justice. Il rentre dans cet antre...

 

 — Cet antre-là, cette boîte de nuit délirante, c'est un rêve ou une réalité ?

 — C'est un mélange des deux.

 

— A la fin, le policier prend l'enfant, mais ne la ramène pas...

 — Si, il la ramène bien quelque part : dans sa tête. Lui, dans son esprit, il devient un héros. Il fait ce qu'il doit faire.

 

— Il se reconstruit.

 — Pour exister, il a besoin de devenir un héros. On ne peut pas vivre dans cet... c'est horrible une situation où les parents doivent vivre la disparition d'un enfant. Si l'enfant est mort, on est triste, mais on peut clôturer cette histoire. On peut parler sur sa tombe, regarder une photo... Mais lorsqu'il disparaît, c'est une espèce de condamnation. A chaque coin de rue, on attend notre enfant. C'est horrible.

 

— Et comment avez-vous convaincu l'acteur principal, Adil Hussain, de jouer dans ce film, qui n'est pas un gros budget.

 — C'est un grand petit budget ! Il a été très gentil avec nous. Il travaille dans un confort qu'on n'avait pas ! Il a été mouillé pendant tout le film, il pleut tout le temps ! C'est un comédien qui vient du théâtre. C'est un monsieur qui a travaillé pendant des années, il n'a pas fait beaucoup de films au début, il n'aimait pas le cinéma. Il a fait clown, acrobate, etc. C'est vraiment quelqu'un ! Comme j'avais écrit le scénario il y a longtemps, j'en avais parlé avec lui. Il avait dit « Oui, on verra. J'aime bien le personnage ». C'était aussi intéressant pour lui parce qu'il était là du début à la fin du métrage et qu'il y a peu de dialogues. Un comédien aime bien ça. Il doit exprimer sa douleur, sa rage, sans paroles. Il était très attiré par le scénario. Pendant le financement, il a tourné dans plusieurs films : Life of Pie, Tigers... Il tourne quand même dans des films de Bollywood. Mais il était très gentil. Il a contourné son agent, qui lui ne voulait pas qu'il fasse ce film (rires), il voulait pouvoir me parler directement. La production ne parlait pas avec lui. Il m'a dit : « dis-moi ce que tu veux ». Je lui répondais que je souhaitais qu'il soit disponible à ces dates là et là et on s'arrangeait. Il pense d'ailleurs que c'est un des meilleurs travaux qu'il a fait dans sa vie ! Il en est très fier.

 

— Le tournage a duré combien de temps ?

 — 38 jours. 36 nuits en fait, et 2 journées sur la plage. Là, on attend la censure en Inde.

 

— Vous ne l'avez pas encore projeté en Inde ?

 — Si, dans un festival à Mumbai. Mais on n'a pas encore le certificat de censure. Je ne peux pas montrer ça à un distributeur avant d'avoir le certificat de censure. Le film est à l'étude. Ils veulent couper la scène dans le lit.

 

— Ah ? Elle est pourtant assez légère et ce serait dommage de la couper.

— Oui ! Pour moi c'est une scène où un couple exprime sa douleur.

 

— Il y a beaucoup de non-dits et d'ellipses dans le film, j'ai beaucoup apprécié, et ça, c'en est une. On ne passe pas deux heures sur le deuil, sur la reconstruction du couple, quelques scènes suffisent.

— La scène d'amour, c'est en réalité celle de la salle de bain. Après qu'il lave sa femme, il garde ce contact physique. Il s'aiment dans la douleur.

 

— Au final, on a un faux happy end général, sur la situation, mais un vrai petit happy end pour eux, qui arrivent malgré tout à aller de l'avant.

— Oui. Peut-être que malgré ce qui s'est passé, ils vont survivre, et que l'amour va les aider à surmonter cette épreuve.

 

— L'exploitation du film peut-elle être bloquée là-bas à cause du sujet abordé ? Il n'y a pas de tabou par rapport à ça ?

— Non, je ne pense pas. En fait, il n'y a pas de problème avec le film, le certificat je l'ai, mais pour un film « adulte ». Là, je ne peux pas le vendre aux satellites, et moi j'aimerais bien que le film soit juste certifié avec un avertissement. Dans ce cas il pourra passer à la télévision. Avec un certificat adulte, le film ne passera pas à la télé.

 

— La musique du film est assez discrète. Pour le reste c'est une prise de son qui appairait comme directe dans la boîte de nuit. Cela a-t-il été fait sciemment, cette absence de vraie musique de film ?

— Oui. J'ai enregistré quand même une petite musique en Inde. J'ai demandé à un compositeur, Eryck [Abecassis] qui fait des trucs télé. Je ne lui ai pas demandé de faire des chansons un peu kitsch ; il a créé une musique d'ambiance, des bruits mélangés, après je l'ai remixée grâce à Nicolas Becker, le sound designer, qui a, lui, rajouté une autre couche de sons. On a créé des espaces qui n'existaient pas, comme des trains qui passent – il n'y avait pas de train là-bas – on a discuté de tout ça , on a parlé, on a essayé des choses. Moi j'avais une idée dans ma tête, mais ce n'était pas toujours très clair. Je voulais que quand il rentre dans le tunnel on ait l'impression qu'il entre dans un autre espace, où là il rencontre l'ombre. Je ne voulais pas non plus que ce soient des sons irréels, je souhaitais avoir de vrais sons amplifiés. C'était un travail très intéressant, j'ai beaucoup aimé travailler avec Eryck, et après avec Nicolas. Nicolas, c'est quelqu'un que j'ai connu à la Fémis, c'est un des plus grands bruiteurs français. Il a travaillé sur Gravity, 21 grammes, il fait beaucoup de gros films. Mon équipe son travaille avec Gaspard Noé. Ils ont aimé travailler parce qu'ils n'ont pas toujours l'opportunité de faire ce genre de boulot. Ils avaient une sorte de quartier libre autour d'une idée qui était écrite dans le scénario, quelque part. Jouer avec les silences, aussi, était très intéressant.

 

— Sur l'aspect visuel, j'ai pensé à certains films du réalisateur Johnnie To par endroits, mais j'imagine que chacun y voit ses propres passerelles.

— Je me suis pas mal inspiré de films noirs allemands en noir et blanc des années 30. L'ombre a été beaucoup utilisée dans le cinéma allemand. Je me suis aussi inspiré de cinéastes modernes, comme Nicolas Winding Refn, ou même Gaspard Noé.

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Only God Forgives de NWR au-dessus, Sunrise ci-dessous.

 

— Refn, j'avoue y avoir pensé dès la bande-annonce. Il y a de plus en plus de coproductions que l'on voit à l'étranger qui s'internationalisent. Un réalisateur qui voyage beaucoup, des acteurs qui ont beaucoup voyagé également, et tout tend vers une cassure d'un certain folklore. La Thaïlande chez Refn dans Only God Forgives, votre regard à vous, plus tout à fait indien sur un sujet qui l'est. Quelle pensée avez-vous par rapport à ça ? En tant que cinéphile, j'ai parfois l'impression que tout tend vers une certaine norme, et cela concerne les cinémas du monde entier.

— On vit dans un monde où l'on voit beaucoup de films, c'est un marché commun. On voit plein de films chinois, autrefois c'était rare. Il y avait un festival de cinéma asiatique, des gens y allaient voir des films ; aujourd'hui avec le NET tout devient nettement plus accessible, on a des influences qui viennent de partout. C'est vrai que le cinéma d'Art et Essai - ou même le cinéma tout court - devient une sorte de culture commune.

 

— Est-ce qu'à cause de ça les folklores divers ne peuvent pas s'amenuiser, les différences disparaître ?

— Je pense que c'est plutôt une évolution vers un autre type de folklore. Si vous remarquez, dans le cinéma indien aujourd'hui on trouve une tendance néo-noire. Je ne sais pas pourquoi, mais tous les cinéastes travaillent dans ce genre. Ça n'est pas quelque chose qui a été décidé sciemment, on vit en Inde des histoires assez sombres.

 

— Ce qui n'empêche pas ce film de bénéficier de bouffées d'air surprenantes. Une que j'ai aimée dans Sunrise, c'est celle où l'on découvre un meurtrier qui tient encore son couteau, avec à ses côtés deux gamines qui jouent. C'est décalé, ça fait du bien. La vie continue.

— J'ai un peu forcé cette scène. Ces deux enfants jouent à côté d'une scène dramatique et elles ne comprennent pas. Elles continuent de vivre innocemment. Je voulais créer un décalage entre ce qui se passait au premier plan et ce qui se passait à l'arrière-plan.

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— Les acteurs amateurs, les enfants : ont-ils été difficiles à gérer ?

— J'ai fait jouer des figurants professionnels. Ils ont l'habitude de tourner sur des plateaux. Quand j'ai commencé à faire le casting, j'ai vu des enfants défiler. Certains avaient fait des écoles de comédiens, avec des jeux très forcés, très « télé ». Un jour, j'ai remarqué la danseuse qui tient un des rôles principaux. Son travail c'est de chaperonner des enfants sur les plateaux. J'ai parlé avec elle, je lui ai demandé « Tu ne veux pas qu'on fasse un petit test avec toi ? ». Elle a dit « Mais moi je ne joue pas, je fais de la figuration ».

 

— Oui, celle aux grands yeux.

— Elle avait des lunettes. Je les lui ai enlevées, elle ne voyait pas très bien. Elle me le disait : « Je ne vois rien », je disais « ce n’est pas grave ! » (rires). On a fait un petit test, et voilà. On a travaillé avec toutes les filles. C'est bien de travailler avec les enfants, parce qu'ils aiment bien jouer. C'est assez facile de leur expliquer la scène. Elles ne savaient pas vraiment l'histoire, je ne leur disais rien, mais elles comprenaient quand même. La grande scène où l'une pleure pendant que l'autre est habillée par la mère maquerelle...

 

 — Elle est très explicite, cette scène !

— Je leur disais juste : toi tu vas venir, elle s'habille, tu vas être très fâchée,

 

— Est-ce que vous n'avez pas un peu l'impression de tacler le star-système avec cette scène-là ? Avec toutes ces filles qui rêvent d'être de belles stars maquillées, jolies, connues, et à qui l'on devine ce qui arrive ensuite...

— Les grandes filles sont déjà passées par là. L’une d'elles a ce courage de montrer que même dans un espace comme ça, où les filles sont opprimées, on peut décider d'exprimer sa colère, sa révolte. Même si ça ne sert à rien.

 

— Les autres semblent déjà blasées, résignées.

— Lorsqu'elle exprime sa révolte, les autres filles ouvrent leurs yeux. Elles sont toutes complices quelque part de ce qui va arriver à la petite fille amenée là pour sa défloraison. Elle est condamnée à devenir comme elles.

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Merci à SEN-GUPTA Partho de m'avoir accordé cet entretien.
Merci à Clément Rébillat du Public System, pour sa réalisation.

date
  • February 2016
credits
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